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Bilan du stage : Analyse et valorisation des retours d’expériences de gestion de métropole du CdR EEE

Contexte

Une des attentes majeures des gestionnaires confrontés aux EEE est la mise à disposition de méthodes de gestion. Plutôt que de proposer des « recettes » généralement inapplicables à la plupart des situations, il a été décidé de développer cette démarche de compilation de retours d’expériences de gestion (REX). Ces REX ont l’intérêt d’être concrets et de proposer aux gestionnaires, non des solutions mais des pistes à explorer pour leur permettre de développer leurs propres méthodologies adaptées à leurs situations locales de gestion. Initiée en 2013 par le Gt IMBA et perpétuée depuis par le CdR EEE grâce à un appel à contribution permanent, cette démarche a depuis permis l’élaboration de près d’une centaine de REX en métropole. Bien que ces derniers ne représentent qu’un faible échantillon des interventions effectivement mises en œuvre, ils peuvent être considérés comme en nombre suffisant pour en dégager quelques tendances, par exemple quant aux espèces les plus fréquemment gérées, les milieux ciblés, les protocoles mis en œuvre et leur efficacité…  En effet, la collecte et la conservation des informations inhérentes à la rédaction de ces fiches assurent non seulement une sauvegarde historique des interventions menées mais constituent aussi un jeu de données pouvant faire l’objet d’une analyse.

Déroulement et mise en oeuvre

Ce travail d’analyse de cette centaine de REX de métropole a été réalisé pendant un stage de 6 mois d’octobre 2023 à mars 2024 suivant 3 axes :

  1. Analyse générale du corpus de REX métropolitains;
  2. Analyses relatives aux interventions conduites sur le terrain et aux techniques de gestion ;
  3. Etat des lieux de la démarche des REX du CdR EEE et pistes d’améliorations.

Préalablement à cette analyse, une base de données structurée d’après la trame de rédaction des REX a été puis alimentée avec les informations majoritairement textuelles contenues dans ces fiches. Cette base comprend 110 champs tous ou partiellement renseignés, pour lesquels un travail de standardisation des données a été effectué afin d’en réduire le nombre de modalités et faciliter la réalisation d’une analyse pertinente, sans dénaturer significativement les informations recueillies.

En parallèle de la création de la base de données et de son analyse, deux enquêtes ont été diffusées au sein des réseaux concernés :

  • la première sur l’évaluation du potentiel de mise à jour des REX adressée à l’ensemble des corédacteurs pour organiser ce travail
  • la seconde sur l’utilisation et la valorisation des REX auprès du réseau national d’acteurs afin d’alimenter les réflexions quant à des améliorations possibles de la démarche

Remarque : L’élargissement de cette démarche à l’outre-mer étant récente, les REX ultramarins étaient trop peu nombreux et divers en termes d’espèces concernées et de techniques utilisées pour permettre de dégager des tendances probantes sur ce qui est réellement réalisé en matière de gestion des EEE dans ces territoires.

 

Les principaux résultats de l’analyse

L’analyse ayant porté sur de nombreux aspects des REX, seuls quelques résultats sont présentés ci-après et l’ensemble du travail réalisé est disponible dans le rapport de stage accessible par un lien en bas de page.

Analyse descriptive générale du corpus de REX

Le corpus est composé de 94 retours d’expériences provenant de toutes les régions de métropole avec toutefois une répartition très inégale caractérisée par un nombre de REX plus important à proximité des littoraux. Au total, 52 des 96 départements de métropole ont contribué à la démarche, la Gironde et la Loire-Atlantique étant ceux qui comptabilisent le plus de REX, suivis du Gard. A l’inverse, peu de REX proviennent de Bourgogne-Franche-Comté et d’Île-de-France (Fig 1).

Concernant les milieux traités, un tiers des REX illustre des interventions menées en milieu terrestre, les deux autres concernant les milieux aquatiques. Ces proportions reflètent l’historique de la démarche, initialement mise en place par le GT IBMA dédié à ces biotopes. Un nombre plus élevé de REX porte sur des interventions conduites en milieux stagnants (zones humides, plans d’eau, mares, étangs…). Ces milieux abritent souvent de nombreux usages humains et font l’objet de protections. Les EEE peuvent-y être plus facilement perçues qu’en eaux courantes et, dans leurs capacités à développer rapidement des populations importantes, y être plus visibles. Par ailleurs l’ampleur de leur colonisation est généralement source d’impacts potentiellement plus sévères. Dans des milieux délimités, les interventions peuvent aussi être plus simples à mettre en place qu’en milieu courant. La distinction entre milieux terrestre et aquatique n’est pas toujours précise. Les berges par exemple, sont aussi fréquemment ciblées par les interventions car très exposées aux colonisations, offrant des conditions variables et favorables à une large diversité d’espèces.

1-Carte de répartition du nombre de REX produits à l’échelle départementale (Gradient de 0 à 9 REX)

Plus de la moitié des REX décrivent des interventions conduites dans une ou plusieurs aires protégées traduisant un investissement plus important des gestionnaires de ces espaces dans cette démarche de valorisation de leurs travaux.

Les REX du corpus concernent la gestion de 25 espèces de flore parmi lesquelles les plantes amphibies, en particulier les Jussies et la Crassule de Helms, sont les plus représentées. Cependant, les herbacées sont le type biologique le plus diversifié avec près de 50 % des espèces référencées, le plus souvent en berges (Fig 2). Seize espèces de faune sont représentées dans le corpus et la classe des mammifères comptabilisant à elle seule le plus grand nombre de REX est la plus diversifiée en nombre d’espèces gérées. Cependant, la Tortue de Floride, seule représentante des reptiles, est l’espèce à qui le plus de REX a été consacré (Fig 3). Cette répartition des espèces concorde avec les biotopes les plus présents dans les REX du corpus.

2-Répartition des REX Flore en fonction du type biologique. Le statut réglementaire actuel (niveau I ou II) est aussi indiqué.
3-Répartition des REX Faune en fonction de la classe. Le statut réglementaire actuel (Niveau I ou II) est aussi indiqué.

Une grande majorité des REX (95 %) présente des interventions débutées avant 2018, c’est-à-dire avant la mise en place des listes nationales d’espèces réglementées. La mise en place des actions de gestion présentées dans ce corpus a donc précédé la réglementation (Fig 2 et 3).

Les impacts causés par les EEE d’ordres écologique, économique, sanitaire, de loisirs, et de sécurité, sont mentionnés dans les REX comme moteurs des actions, les interventions ayant pour finalité de les atténuer voire de les éliminer. 63 % des REX font référence à plus d’une catégorie d’impacts et 98 % des interventions sont explicitement motivées par des impacts écologiques, le plus souvent l’atteinte à une ou plusieurs espèces indigènes. Les nuisances sur les activités de loisirs le plus souvent en milieu aquatique sont également citées. 22 % des REX mentionnent des impacts économiques, en particulier sur des productions alimentaires. Les impacts sanitaires et de sécurité sont moins cités comme moteurs mais tout de même mentionnés comme justification complémentaire de la nécessité d’intervenir.

Analyses relatives aux interventions conduites sur le terrain et aux techniques de gestion

4-Schéma des notions de protocoles, méthodes et techniques utilisées dans l’analyse

Afin d’effectuer une analyse de la diversité des interventions décrites dans les REX, une standardisation préalable des informations relatives aux protocoles a été établie. Dans ce contexte, un protocole est défini par la succession éventuelle de plusieurs méthodes (mécanique, physique, chimique, biologique…) auxquelles sont rattachées des techniques (moissonnage, bâchage…) (Fig 4).

Au sein des 94 REX analysés, 159 protocoles détaillés ont été identifiés, dont 49 pour la faune et 110 pour la flore avec parfois une redondance de certains dans plusieurs REX. Sur l’ensemble du corpus, 73 protocoles différents ont finalement été incorporés dans la base dont 15 pour la faune et 58 pour la flore. 55 REX présentent un seul protocole, 39 REX en présentent entre 2 et 5 : rappelons que les chantiers de gestion constituent parfois une opportunité d’expérimenter plusieurs méthodologies dans un objectif d’amélioration des pratiques.

Concernant la flore, 6 méthodes et 41 techniques ont été répertoriées. Les méthodes mécaniques sont les plus diversifiées. Les trois techniques les plus utilisées sont l’arrachage mécanique, l’arrachage manuel et le bâchage. Sur les 58 protocoles différents de gestion de la flore, 36 incluent une succession d’au moins deux techniques. Les protocoles comportant une seule technique restent toutefois majoritairement utilisés, en particulier l’arrachage manuel qui figure dans 22 protocoles. Les Jussies, ayant fait l’objet du plus grand nombre de REX, sont les espèces pour lesquelles le plus grand nombre de protocoles a été testé, témoignant des dommages qu’elles causent dans un nombre de site toujours croissant depuis deux décennies. La Canne de Provence a également fait l’objet de différents protocoles dans 2 REX comportant des expérimentations. A l’inverse, la gestion de la Crassule de Helms, deuxième espèce comptabilisant le plus de REX, a fait l’objet de moins de protocoles différents. Sur les 25 EEE flore du corpus, presque la moitié ont été gérées avec au moins trois protocoles différents.

Les protocoles de gestion de la faune reposent sur 7 méthodes d’intervention et 16 techniques différentes dans 15 protocoles. La capture par piégeage (létal ou non létal) est la méthode la plus utilisée suivie du tir. Par rapport à la flore, la gestion de la faune implique moins de succession de techniques et en termes de nombre de REX et de protocoles testés, aucune espèce ne se démarque particulièrement du corpus examiné. Par ailleurs, la technique de mise à mort (hors tir et capture létale) n’est pas systématiquement précisée.

5-Définition des objectifs et résultats des protocoles du corpus

L’atteinte des objectifs de régulation ou d’éradication a également été analysée à partir des données chiffrées des résultats figurant dans les REX. Au sein du corpus, les REX visaient à 68 % une régulation. Une différence d’objectif est notable entre les REX faune et les REX flore qui visaient l’éradication respectivement à 41 % et 28 %.

Les protocoles décrits dans les REX atteignent les objectifs fixés dans 42,5 % des cas. La gestion de la flore présente un taux de réussite légèrement supérieur à la faune probablement en raison des objectifs d’éradication fixés pour cette dernière, plus difficiles à atteindre.

Pour les REX faune ciblant l’éradication, seuls trois protocoles ont permis de l’atteindre tandis que 19 protocoles visant cet objectif, ont seulement permis une régulation. Concernant la flore, sur les 17 protocoles qui visaient l’éradication, l’objectif a été atteint pour 7 d’entre eux, les 10 autres ayant seulement permis une régulation. En revanche, les protocoles visant la régulation, soit 62 % pour la faune et 51 % pour la flore atteignent leur objectif. Il arrive également que l’objectif d’éradication soit abandonné au cours de la mise en œuvre des opérations pour finalement cibler une régulation.

6-Nombre de REX en fonction du coût total en euros de leur intervention
7-Nombre d’occurrences dans les REX de chaque type de financeur

Les informations relatives aux budgets des interventions ont été partiellement renseignées dans les REX et les coûts humains et financiers ne sont pas suffisamment précisés pour respectivement 83 et 73 REX. Même s’ils ne sont pas détaillés, les coûts totaux sont renseignés dans 57 % des REX. 30 % d’entre eux font état d’un coût total compris entre 10 000 et 30 000 euros (Fig 6). L’écart entre l’intervention la moins coûteuse (300 euros) et la plus onéreuse (plus de 7 millions d’euros) est très important et s’explique par des variables telles que la superficie de territoire à traiter, la durée d’intervention, la mobilisation de personnel ou encore les techniques utilisées. Au sein du corpus, 50 REX ont précisé au moins une source de financement de leur intervention de gestion (Fig 7)

L’analyse des informations relatives aux interventions de terrain a également porté sur : les délais d’interventions suite à la détection des EEE ciblées ; la diversité des structures porteuses de projets de gestion ; la prise en compte du traitement des déchets dans la démarche pour les REX faune et flore ; les risques d’impacts collatéraux aux interventions de gestion ; sur les freins et limites à la réalisation des chantiers de gestion. Ces résultats sont consultables dans le rapport.

 

Etat des lieux de la démarche des REX et pistes d’amélioration

Dans un premier temps, la réalisation des REX a été fréquemment une suite d’opportunités (contacts privilégiés avec des gestionnaires, émergence de nouvelle problématique, …) et non ciblée sur une espèce, un milieu ou une localisation. La création du CDR EEE explique l’élargissement progressif de la démarche d’élaboration des REX aux milieux terrestres et à l’outre-mer. Désormais, la réalisation d’une proportion similaire de REX métropolitains et ultramarins est recherchée. La présente analyse souligne également l’absence de REX en milieu marin au sein de ce corpus, résultat cohérent avec le très faible nombre d’interventions mises en œuvre du fait des contraintes inhérentes à ces biotopes. Toutefois, des REX sur des programmes de biosécurité, de surveillance ou de sensibilisation dans ces milieux seront recherchés. De même, dans un objectif d’enrichissement du corpus, des REX sur des espèces actuellement non représentées ou pour lesquelles peu de techniques ont été testées, pourront être également recherchées. L’identification de nouveaux protocoles de gestion appliqués à des espèces déjà bien représentées dans le corpus et toujours aussi problématiques sur le territoire sera également maintenue.

Conjointement au développement et à l’amélioration des pratiques, la trame de rédaction des REX a évolué afin de collecter des informations progressivement identifiées comme faisant partie intégrante de la démarche de gestion des EEE (traitement des déchets, protocoles de suivi, communication…). Les informations renseignées augmentent en quantité et deviennent de plus en plus précises au cours du temps, témoignant d’un effort croissant des porteurs d’interventions dans leur collecte de données et dans leur contribution à la démarche du Centre de ressources EEE. Des pistes d’amélioration ont été identifiées et permettront de compléter et d’affiner la trame de rédaction, ce qui permettra aussi de mieux évaluer la pertinence et l’efficacité des opérations de gestion mises en œuvre. Des informations peuvent en effet parfois être : plus précisément renseignées (techniques de mise à mort et traitement des cadavres, détails du bilan financier, description précise du site avant et après intervention, première observation de l’EEE sur le site) ; ajoutées à la trame (risque d’impacts collatéraux des interventions, identification des freins et leviers d’atteinte des objectifs, avis du gestionnaire sur son intervention) ; ou standardisées. Par exemple, faute de standardisation possible des informations relatives aux suivis, en particulier sur leur fréquence et leur régularité, et bien que de plus en plus collectées, ces données n’ont pu être exploitées dans cette analyse. Cette étape est pourtant déterminante dans l’atteinte des objectifs à long terme. Des limites et freins à la réalisation des interventions transparaissant également dans les informations textuelles peuvent être sujets à une interprétation de la part du lecteur. Afin de limiter la subjectivité pouvant concerner l’atteinte des objectifs des opérations, des modalités qualitatives pourraient être utilisées pour mesurer l’efficacité des interventions et permettraient au gestionnaire de mieux statuer de ses propres résultats. L’obtention de ces informations sera donc recherchée par le CdR EEE lors de la rédaction de futurs REX.

Conclusion

Cette analyse a permis de montrer la relative richesse du corpus actuel de retours d’expériences de gestion des EEE en métropole après une décennie de mise en œuvre de la démarche.

Le recueil des données des expériences de gestion n’avait pas été originellement pensé et organisé dans l’optique d’une telle analyse, ce stage a toutefois permis une première évaluation d’un ensemble de REX suffisamment important pour qu’il puisse en être tiré des enseignements et perspectives d’amélioration, tant sur leur rédaction que sur l’enrichissement du corpus. Ce travail se poursuivra grâce à la mise en œuvre des recommandations du rapport dans l’élaboration des prochaines fiches et s’appuiera sur les résultats des enquêtes diffusées auprès des corédacteurs et utilisateurs des REX.

Rédaction : Clara Singh (Comité français de l’UICN) et Alain Dutartre (Expert indépendant)

Relecture : Camille Bernery (Comité français de l’UICN)