La gestion des EEE est très fréquemment confrontée à des difficultés techniques et financières plus ou moins importantes selon les situations mais elle peut également se retrouver au sein de fortes controverses dès lors que les espèces à gérer bénéficient d’un capital de sympathie de la part du grand public. Ces écarts ou inadéquations entre les besoins de conservation des écosystèmes et le fonctionnement social sont alors sources de débats pouvant remettre en question les stratégies de gestion envisagées. Dans un article d’Erik A. Beever et ses collègues sont présentées trois études de cas, portant sur les chevaux en liberté, les perruches en Europe et les introductions de salmonidés dans le monde. Leur analyse se termine par des propositions de stratégies de développement collaboratif des connaissances et de gestion adaptative susceptibles de contribuer à résoudre ces problèmes.
Introduction
Bien qu’il soit relativement facile de rallier le public à l’idée de contrôler certaines populations d’espèces exotiques envahissantes, comme, par exemple en métropole, les jussies, les renouées asiatiques, le Ragondin ou le Frelon asiatique, il n’en est pas de même pour les espèces charismatiques, c’est-à-dire présentant un capital de sympathie pour leur esthétique, leur comportement ou les utilisations que les populations locales peuvent en faire. La mise en œuvre de stratégies de régulation de leurs populations peut alors rencontrer de fortes résistances de la part du public ou d’associations de protection des espèces, créant des controverses souvent très médiatisées rendant toute intervention beaucoup plus complexe, voire conflictuelle.
Dans leur article, Beever et ses collègues rappellent que ces “inadéquations socio-écologiques” au sens de Cumming et al. (2006) ont une influence déterminante sur de nombreux conflits impliquant la gestion des espèces. Ces conflits de gestion peuvent résulter de l’opposition des membres de la société tirant un profit de l’espèce exotique envahissante, des valeurs personnelles ou morales divergentes entre les opposants et les partisans de la gestion (par exemple, opposition de défenseurs des droits des animaux à des campagnes d’éradication d’espèces de mammifères ou d’oiseaux introduits) ou encore de l’importance spirituelle ou culturelle de l’espèce pour les habitants locaux.
Les espèces animales charismatiques (Tableau 1) sont souvent au centre de ces controverses, et les auteurs se servent donc de trois exemples significatifs pour montrer comment la perception des coûts et des avantages de ces espèces introduites peut varier en fonction des valeurs des différentes parties prenantes et des échelles temporelles et spatiales auxquelles les introductions sont considérées, et comment peuvent se présenter des inadéquations entre des échelles spatiales ou temporelles s’appliquant respectivement à la gestion et à l’acceptation sociale.
Étude de cas 1 : Chevaux en liberté
Dans le monde
En raison de leur rôle central dans l’histoire de l’humanité, des chevaux ont été introduits sur tous les continents, à l’exception de l’Antarctique. Dans 18 pays, certains se sont retrouvés en liberté et les populations qui en sont issues ont eu des effets écologiques variables sur les écosystèmes indigènes. Dans tous les cas, les perceptions du public sur les rôles écologiques des chevaux et les mesures de gestion de la conservation ont été similaires, c’est-à-dire que les interventions de régulation mises en place pour tenter de réduire les impacts identifiés de ces populations ont rencontré de nombreuses oppositions.
Les auteurs de l’article citent divers exemples dans le monde, dont par exemple celui de l’Australie, où l’on estime qu’environ 400 000 à 1 million de chevaux sont présents dans l’outback (la zone centrale) de l’Australie. Dans ce pays les animaux considérés comme «excédentaires» sont éliminés par des tireurs d’élite héliportés, ceci pour minimiser la famine des chevaux et préserver les ressources naturelles de ces zones arides. Malgré la mise en place de certains processus décisionnels collaboratifs, cette élimination a suscité l’indignation du public local et régional.
D’autres exemples d’importance variable sont présentés, en Nouvelle-Zélande, en Argentine ou aux Pays-Bas, dans lesquels des réactions négatives du public ont été observées, mais la situation aux Etats-Unis fait l’objet d’un exposé plus complet.
En effet, en Amérique du Nord, les zones occupées actuellement ou récemment par des chevaux en liberté couvrent une superficie de 36,7 millions d’hectares dispersés majoritairement dans l’ouest des États-Unis, quatre provinces canadiennes et au Mexique. Au Canada, les chevaux génèrent des opinions contradictoires entre les objectifs et priorités écologiques et la place importante qu’ils occupent dans les traditions et les pratiques de gestion de nombreux membres des Premières nations.
Situation aux Etats-Unis
Dans l’Ouest des États-Unis, les taux de croissance annuels des troupeaux sont élevés, en moyenne de 8 à 30 %, en raison de la bonne disponibilité des ressources (eau et fourrage) et d’une faible prédation. Les seules options de gestion socialement acceptables à l’heure actuelle sont l’immunocontraception et le déplacement des animaux vers des centres de détention. En conséquence, il y a sur ces territoires 2,8 fois plus de chevaux que la limite recommandée par le Bureau américain de gestion des terres (US Bureau of Land Management’s ou BLM) et les coûts liés aux installations de détention, soit annuellement près de 48 millions de dollar US, représentent environ 58 % du budget total du programme Wild Horse and Burro (chevaux sauvages et ânes) de ce Bureau. De plus, la plupart des retraits de chevaux en cours font l’objet de litiges, compliquant encore les problèmes de gestion.
Échelle temporelle et spatiale des processus sociaux par opposition aux processus écologiques
Les phénomènes naturels (tels que la sécheresse, les incendies ou les invasions de plantes envahissantes) peuvent influer sur la dynamique des populations de chevaux et atténuer leurs impacts sur les écosystèmes. Mais ceci peut prendre de quelques jours à quelques mois, tandis que l’élaboration de plans de gestion complets ou la modification de politiques peuvent nécessiter des années.
La planification est également compliquée par les cycles annuels de crédits de financement des agences de gestion, qui ne permettent pas de concilier souplesse à court terme et gestion adaptative à long terme. Les agences sont également confrontées à la variabilité des situations (composition des écosystèmes, niveaux de ressources, etc.), et au désir de reproductibilité et de normalisation des pratiques de gestion pour faciliter les analyses. De plus, cette planification à plusieurs échelles est contrecarrée par l’intérêt de disposer d’un contrôle et d’une mise en œuvre adaptés aux conditions locales.
Une autre difficulté provient du fait que les effets jugés positifs des chevaux sont plus visibles à l’échelle nationale, et souvent vantés par des personnes vivant en réalité loin des zones occupées par des chevaux, au contraire des impacts négatifs, sociaux et écologiques des chevaux sont généralement ressentis à l’échelle locale.
Le grand nombre de lois et de politiques relatives à la gestion des chevaux sauvages est également un frein aux programmes de gestion, chacune d’entre elles fonctionnant à une échelle spatio-temporelle unique. Par ailleurs, les chevaux en liberté sur des terres administrées par le BLM sont légalement tenus de rester dans des zones de gestion du troupeau (ZGD) statiques, aux tailles relativement petites et aux frontières renforcées (clôtures permanentes) ne permettant pas des déplacements importants qui pourraient permettre aux chevaux de fuir les aléas climatiques. Cette contrainte a récemment été corrigée à certains endroits par la désignation par le BLM de «complexes de gestion» plus étendus regroupant des ZGD adjacentes.
La situation des chevaux introduits en Australie est sans doute beaucoup plus problématique car depuis leur introduction en 1778, leur population sur le continent, devenue plus importante que toutes les autres populations mondiales de chevaux en liberté, est maintenant en concurrence avec la faune indigène pour des ressources limitées en eau limitée et en nourriture. Comme les déplacements journaliers des chevaux peuvent dépasser 100 km, de telles distances peuvent englober de multiples juridictions de gestion et ne pas correspondre aux échelles locales dans lesquelles les actions de gestion sont mises en œuvre.
Etude de cas 2 : les perruches en Europe
Les perroquets (Psittacidae spp.) sont des animaux de compagnie populaires depuis des siècles en raison de leur plumage coloré, de leur comportement plaisant et de leur intelligence. Le transport mondial d’oiseaux exotiques pour le commerce des animaux de compagnie a conduit de nombreuses espèces de perroquets à s’évader de captivité et à s’établir dans la nature en dehors de leur aire de répartition d’origine. La Perruche à collier (Psittacula krameri) est l’une des espèces de perroquets les plus répandues au monde. Originaire d’Asie et d’Afrique sub-sahélienne, elle est présente dans plus de 35 pays sur cinq continents. Principalement résidents des zones urbaines, ces perruches sont pour beaucoup une nouveauté bienvenue aux parcs et jardins locaux, mais elles deviennent déjà un spectacle habituel dans certaines zones périurbaines.Dans leurs aires d’introduction, elles sont en compétition avec les oiseaux et les chauves-souris indigènes pour les cavités de nidification (par exemple, avec l’espèce de chauve-souris en Italie et en Espagne, voir notre article à ce sujet). Plus récemment, des perruches à collier au sein de l’archipel des Seychelles ont été ciblées pour être éradiquées en raison du risque de maladie qu’elles représentent pour le Perroquet noir des Seychelles (Coracopsis barklyi), une espèce en voie de disparition. Les perruches à collier peuvent aussi avoir des conséquences économiques et sociales ; par exemple, cette espèce est considérée comme un ravageur important des cultures dans leur aire de répartition d’origine asiatique, et des dégâts agricoles ont également été observés dans plusieurs pays de l’UE, y compris dans les vignobles du Royaume-Uni (bien que ces impacts soient encore relativement limités) et dans certaines plantations en Israël (Menchetti et al,. 2016). En France, des stratégies de gestion de l’espèce sont actuellement à l’étude (Croquet et Rozzo, 2018).
Echelle spatiale et temporelle dans les processus sociaux versus écologiques
Les perruches sont généralement relâchées dans les villes, où elles sont largement appréciées, présentent des impacts économiques négligeables et où la biodiversité susceptible d’être impactée est relativement faible. Leurs impacts écologiques les plus importants peuvent être observés dans les zones proches, par exemple par les dommages causés à l’agriculture rurale par des populations en expansion. Tant que les populations de perruches restent urbaines et localisées, les interventions de gestion ne semblent pas nécessaires mais l’inaction dans ces secteurs pourrait avoir ultérieurement des conséquences écologiques considérables.
Une des inadéquations socio-écologiques de la gestion de cette espèce est de nature temporelle. En effet de nombreuses populations de perruches introduites sont présentes depuis des années, voire des décennies. Si ces délais sont écologiquement courts pour ce qui est du développement de la population d’oiseaux, ils sont suffisamment longs pour que les communautés humaines locales s’habituent – et souvent émotionnellement – à leur présence. Ces communautés peuvent donc, sur une échelle de temps humaine, être amenées à apprécier les perruches très différemment des écologues et des gestionnaires de l’environnement, qui évaluent la problématique sur une échelle temporelle écologique. En raison de cette inadéquation temporelle, les écologues et gestionnaires ont des difficultés à convaincre les résidents que des interventions urgentes sont nécessaires, et l’application du principe de précaution est d’autant plus difficile à mettre en œuvre. Expliquer qu’une fois établies, les populations introduites risquent de croître soudainement, empêchant alors tout contrôle ou gestion, reste complexe.
Étude de cas 3 : introductions mondiales de salmonidés
Parmi les salmonidés, poissons d’eau froide introduits dans le monde entier pour la pêche récréative et l’aquaculture, les deux espèces les plus introduites sur le globe sont la Truite arc-en-ciel (Oncorhynchus mykiss), originaire d’Asie de l’Est et de l’ouest de l’Amérique du Nord, et la Truite brune (Salmo trutta), originaire d’Europe, d’Afrique du Nord et d’Asie occidentale. Ces deux espèces ont maintenant développé des populations autonomes sur tous les continents, à l’exception de l’Antarctique, et sont considérées comme faisant partie des 100 pires espèces exotiques envahissantes au monde (Lowe et al., 2004).
Leurs effets écologiques sur les espèces et les écosystèmes indigènes sont très documentés. Par exemple, en Nouvelle-Zélande, en Australie et en Amérique du Sud, les introductions de salmonidés ont entraîné un déclin des populations, des changements de comportement et une réduction de l’aire de répartition géographique des espèces indigènes de Galaxiidae, famille de poissons pour la plupart d’eau douce présents dans l’hémisphère sud. De tels effets sur les assemblages aquatiques indigènes ont également été observés, ainsi que d’autres effets comme des altérations de réseaux trophiques, en Amérique du Nord, en Afrique, en Europe et en Asie. Plus généralement, les salmonidés non-indigènes constituent l’un des plus grands obstacles à la conservation de nombreux poissons indigènes dans le monde (Muhlfeld et al., 2017).
L’échelle spatiale et temporelle dans les processus sociaux versus écologiques
Selon les auteurs de l’article, les projets de régulation de ces deux espèces restent entravés par les tensions entre les forces économiques, politiques, sociales et écologiques, dans un contexte où des pêcheurs peuvent parcourir des milliers de kilomètres à la recherche de truites sauvages introduites et où la valeur économique de la pêche à la ligne atteint annuellement des dizaines, voire des centaines de millions de dollars. Un contraste pour le moins dramatique avec la situation des Galaxiidae indigènes, à peu de valeur récréative (Bockstael et al., 2000). Cet attrait mondial des pêcheurs à la ligne pour des salmonidés introduits dans des pays étrangers semble tout à fait inadéquat sur le plan spatial avec les taxons locaux, qui plus est, souvent endémiques. Probablement en raison des pressions socio-économiques liées aux industries de la pêche et du tourisme, ces salmonidés introduits peuvent même bénéficier d’une protection juridique plus forte que celle des Galaxiidae indigènes, y compris dans des cours d’eau où la pêche à la ligne n’est pas pratiquée. Cette inadéquation entre les réglementations, les pêcheurs à la ligne et les taxons indigènes peut engendrer un effondrement du système socio-écologique.
En Australie, aux États-Unis et dans d’autres pays, des salmonidés exotiques sont présents dans les parcs nationaux, ce qui remet en question les objectifs et les idéaux de ces zones en tant que réserves naturelles pour les espèces indigènes et accès à la nature pour des millions de personnes, sans compter les possibilités d’interaction avec des environnements autochtones protégés. Elles sont ainsi fortement inadéquates sur le plan spatial avec les industries de pêche locales qui résistent aux efforts de contrôle de ces salmonidés. Avec chaque génération de pêcheurs et le développement de ces industries, les défis sociaux deviennent de plus en plus insurmontables pour la conservation de poissons moins charismatiques et ne permettant pas de pêche sportive, au fur et à mesure que la base culturelle devient de plus en plus scellée (Pauly, 1995) Les valeurs culturelles des salmonidés introduits sont présentes à l’échelle locale depuis plusieurs décennies ou plus, mais les efforts pour évaluer leurs impacts sont relativement nouveaux. Cette inadéquation temporelle entrave les efforts visant à renforcer les populations de poissons indigènes, souvent moins charismatiques, et à enrayer l’accélération des pertes de biodiversité en eau douce (Dudgeon et al., 2006).
Conclusions
Au cours des dernières décennies, la gestion des espèces introduites a fait partie des aspects les plus controversés dans la gestion des espaces publics, en particulier en Amérique du Nord, en Europe, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Les gestionnaires se retrouvent alors pris entre les objectifs opposés d’un large éventail de parties prenantes (dont les priorités peuvent être en contradiction flagrante), et celui d’atteindre l’intégrité écologique.
Les auteurs citent par exemple une controverse entourant les tentatives de gestion du Goyavier-fraise (Psidium cattleinanum) introduit à Hawaii. La situation présentée est pour le moins complexe, entre propriétaires fonciers et Hawaïens autochtones : le goyavier-fraise étant un aliment de base des porcs sauvages, la régulation en cours du goyavier-fraise par introduction d’une cochenille risquerait donc de provoquer la régression des populations de porcs faute de nourriture, ce qui remettrait en cause la tradition culturelle de sa chasse. Cette espèce produisant des fruits consommables a été également introduite sur l’île de la Réunion et y fait également l’objet de controverses où, face à des activités de récolte et de transformation des fruits devenant un fait culturel, sont également identifiés des risques pour la biodiversité (UICN, 2018).
Bien que de nombreux conflits puissent surgir entre les gestionnaires et les communautés intéressées, en raison des différences de valeurs et de perceptions du risque que représentent les espèces introduites, il est important de comprendre pourquoi et comment ces différences se produisent. Sur ce point, les auteurs constatent que la valeur accordée par le public aux chevaux, aux perruches ou aux truites se développe selon des échelles de temps différentes de celles des évaluations et des objectifs de gestion des gestionnaires. Alors que les gestionnaires ont de manière récente tendance à voir les chevaux de manière négative et à considérer leur influence écologique comme perturbatrice, le grand public les considère positivement, en partie parce qu’ils sont perçus comme faisant partie intégrante de l’histoire sociale.
Les perruches introduites, même au tout début de leur établissement, peuvent devenir un élément distinctif positif d’espaces essentiellement urbains et, au fil des générations, les salmonidés introduits s’intègrent davantage dans les traditions et les pratiques locales. Les études de cas présentés dans l’article montrent donc que les perceptions du public à l’égard des espèces introduites changent, allant des espèces nouvellement établies (les perruches) à celles culturellement enracinées pendant des décennies, voire des siècles (les salmonidés, les chevaux en liberté).
En raison du changement climatique actuel induisant des changements d’aire de répartition d’espèces indigènes, de nombreux gestionnaires peuvent se retrouver face aux implications écologiques de nouveaux arrivants d’espèces indigènes régionales. Dans ces situations, des conflits peuvent alors survenir en lien avec des différences d’échelle entre les valeurs et les priorités des différents groupes d’intérêt concernés : certains se concentrent sur le sort des arrivants, d’autres accordent la priorité à la conservation des espèces, des populations ou des processus écologiques. Il est important que les gestionnaires et les conseillers scientifiques acceptent et prennent en compte les préoccupations éthiques des autres parties-prenantes.
Selon les auteurs, plusieurs points communs sont identifiables dans leurs études de cas :
- les gens s’habituent aux changements lents et graduels dans la répartition et l’abondance des espèces introduites, en raison des inadéquations dans les échelles de temps de la perception humaine par rapport aux changements écologiques,
- les impacts écologiques négatifs d’une espèce peuvent être importants à une échelle spatiale donnée, alors que leurs impacts sociaux positifs sont plus apparents, et donc plus influents, à une échelle spatiale différente : par exemple, les chevaux et les truites présentent une importance culturelle aux échelles nationale ou internationale mais leur impact écologique existe et nécessite d’être estimé à l’échelle locale.
- les processus écologiques, dont les invasions biologiques, peuvent s’étendre au-delà des frontières et des limites organisationnelles et politiques, toutes humaines, limitant ainsi les mesures de gestion des espèces introduites : par exemple, la gestion des perruches urbaines peut être de la responsabilité d’autorités locales, pour qui ce n’est pas une priorité, mais l’inaction pourrait avoir des effets importants sur les écosystèmes à proximité.
Des solutions permettant de réconcilier ou de remodeler ces inadéquations socio-écologiques peuvent émerger de plusieurs disciplines (par exemple, la sociologie, l’économie, l’écologie), utilisées seules ou de concert. Dans de nombreux cas, une première étape importante consiste à cartographier de manière conceptuelle le problème de gestion sous plusieurs angles afin d’identifier les éventuels déséquilibres socio-écologiques (Moon et Adams, 2016).
Une attention insuffisante accordée à l’analyse des différentes considérations et conceptions au préalables peut compromettre la perception des parties prenantes au sujet de fiabilité des organisations et institutions gestionnaires et à la confiance à leur accorder. Par exemple, pour atteindre le plus haut niveau de justification scientifique et pour éviter l’érosion de la confiance des parties prenantes, les méthodes gestion et d’évaluation doivent être robustes, mises à jour et quantitatives ainsi que suffisamment claires, cohérentes et spécifiques pour pouvoir être répétées tout en étant structurées de manière à permettre l’application à la problématique cible.
Identifier et corriger es inadéquations en matière d’évaluation des espèces et de perception des risques entre les parties-prenantes implique une transparence dans la manière dont les connaissances sont générées et interprétées et la participation précoce de toutes ces parties-prenantes aux processus de prise de décision. Des processus analytiques délibératifs inclusifs, intégrés et itératifs, tels que la prise de décision structurée (Guerrero et al., 2017) ou les analyses de décision multicritères (Davies et al. 2013), peuvent améliorer la communication et instaurer la confiance entre les parties intéressées, conduisant finalement à un meilleur appui pour les décisions (Crowley et al., 2017).
La mise en place d’une gestion adaptative, des démonstrations claires de l’efficacité et de la nécessité des méthodes de gestion proposées, ainsi qu’un équilibre en matière de flexibilité des échanges et de normalisation peuvent également aider à réduire les conflits (NRC 2013). En associant les principes, les stratégies et le savoir-faire des sciences écologiques et sociales aux efforts de collaboration visant à développer les connaissances et à rechercher des solutions, il peut être utile de clarifier les sources d’inadéquation et d’aboutir à des compromis techniquement, socialement et écologiquement réalisables pour résoudre des problèmes complexes à différentes échelles.
Rédaction : Alain Dutartre, expert indépendant
Relectures : Doriane Blottière et Emmanuelle Sarat, Comité français de l’UICN
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