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Entretien : « Dans le Sud, les stratégies se poursuivent et se complètent pour faire face aux EEE »

Bonjour, qui êtes-vous et dans quelle région agissez-vous ?

Pauline Jean – ARBE Provence-Alpes-Côte d’Azur

Pauline Jean : Je suis chargée de mission au sein de l’Agence Régionale de la Biodiversité et de l’Environnement (ARBE) Provence-Alpes-Côte d’Azur (qui vient tout juste de passer EPCE  – Établissement Publics de Coopération Environnementale). Je suis arrivée en avril 2021 et je m’occupe de l’élaboration de la stratégie régionale espèces animales exotiques envahissantes (EAEE) pour l’ensemble de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur en lien avec tous les partenaires de cette mission.

Théo Alabert : Moi c’est Théo Alabert, je suis en stage de fin d’études au Conservatoire botanique national méditerranéen (CBNMed) qui est un établissement public d’État créé en 1979. J’agis sur le territoire d’agrément du conservatoire botanique, à savoir l’ensemble des régions méditerranéennes continentales françaises, c’est-à-dire le Languedoc-Roussillon et la Provence Côte d’Azur.

Quelles sont vos principales missions en lien avec les EEE ?

Théo Alabert – CBNMed

TA : Pour remettre mon stage dans son contexte, il faut savoir que le CBNMed et le CBN alpin sont les coordinateurs de la stratégie espèces végétales exotiques envahissantes (EVEE) qui a été publiée en 2014. Il s’agit là de l’une des nombreuses actions que portent les CBN sur la problématique des EVEE.
Après presque 10 ans d’animation de la stratégie, le moment du bilan arrive et c’est dans ce cadre que j’interviens, en réalisant l’évaluation de la stratégie. Je mène ainsi plusieurs types d’évaluation : une évaluation sociale, avec un questionnaire en ligne et des entretiens semi-directif ; et une évaluation des actions du plan avec la méthode de scoring EDEN 62 (Driencourt et al. 2013) que j’ai dû adapter pour l’appliquer à la stratégie EVEE Provence-Alpes-Côte d’Azur avec l’aide de Virginie Croquet (de l’OFB) et Cyril Cottaz (CBNMed).

PJ : Comme je l’ai mentionné, j’anime l’élaboration de la stratégie régionale EAEE. Pour l’instant, je réalise l’état des lieux des espèces qui sont présentes en région et celles susceptibles d’y parvenir afin de dresser les listes catégorisées de ces espèces. Pour valider ces listes, nous animons 8 groupes de travail. Il y en a un par taxon (mammifères, oiseaux, amphibiens et reptiles, poissons, mollusques, crustacés (hors arthropodes), arthropodes et autres taxons). C’est un travail qui se fait avec les associations naturalistes, et aussi des laboratoires de recherche, des parcs nationaux et régionaux, des musées, etc.

A ce sujet, qui sont vos partenaires ? Avec quels organismes travaillez-vous ?

PJ : En plus des groupes de travail, nous travaillons avec les financeurs de la stratégie régionale EAEE, qui sont la Région Sud, Provence-Alpes-Côte d’Azur et la DREAL Provence-Alpes-Côte d’Azur. Et évidemment, nous sommes en étroite collaboration avec l’OFB, CEN Provence-Alpes-Côte d’Azur et le CBNMed qui est notre partenaire technique, d’autant que nous reprenons leur stratégie pour avoir un vocabulaire commun.

TA : Le CBNMed est dans plusieurs groupes de travail, notamment des comités de pilotage par exemple avec celui du réseau « ambroisie » Provence-Alpes-Côte d’Azur, qui est mené par l’Agence régionale de de santé. Nous sommes également dans plusieurs groupes de travail et groupes de recherche, tel celui sur les archéophytes et néophytes de France, qui réunit plusieurs chercheurs et experts pour se mettre d’accord sur les définitions des statuts et dater les anciennes introductions de végétaux.

Êtes-vous en relation avec d’autres coordinations ?

TA : A l’échelle régionale, le CBNMed est en relation avec plusieurs coordinations telles que la FREDON Provence-Alpes-Côte d’Azur (pour les actions sur les ambroisies), le réseau régional des espaces naturels protégés (RREN – copiloté par la Région et la DREAL et animé par l’ARBE) et les gestionnaires des sites Natura 2000. Au niveau territorial, nous soutenons les initiatives territoriales en participant aux groupes de travail pour l’élaboration de stratégies à l’échelle des collectivités et des métropoles, et nous intervenons aussi dans des parcs naturels départementaux. Et enfin au national, nous sommes présents dans le REST EEE.

PJ : Je suis également membre du REST EEE, et j’ai rencontré les coordinatrices du CEN Occitanie pour échanger sur les listes régionales.

A propos des listes régionales, en avez-vous et qui les réalise ?

TA : Pour la flore, une liste actualisée a été réalisée en 2022 (et revue) par le CBNMed, avec l’appui du CBN Alpin. Elle comptabilise désormais 143 espèces végétales exotiques envahissantes (EVEE) et 153 espèces végétales exotiques potentiellement envahissantes (EVEpotE).
On constate une augmentation du nombre de taxons par rapport à la liste de 2014 qui comprenait 285 taxons (Terrin et al., 2014). La méthodologie utilisée a été publiée dans la revue scientifique Biological invasion (Terrin et al., 2022) et permet de classer les espèces en fonction de critères et par une analyse du risque de prolifération sur le territoire.

PJ :  Pour la faune, l’élaboration a commencé en 2021. J’utilise la méthodologie qui a été rédigée par Cyril Cottaz, Virginie Croquet et Alexandre Viguier (2020). En fait c’est une méthode dite de « scoring » qui permet de regarder les impacts environnementaux, sociaux, économiques et sanitaires en s’appuyant sur la bibliographie. On réalise ensuite des analyses de risques, auxquelles s’ajoutent différents paramètres de pondération dont le coefficient d’abondance et le coefficient de répartition pour chaque espèce. Nous utilisons les mêmes catégories que la liste pour la flore.
De mémoire, je crois que nous sommes à 400 espèces exogènes pour notre territoire, dont 200 espèces d’arthropodes.

Quelles sont les EEE sur lesquelles vous êtes actuellement les plus sollicités ?

PJ : Je ne suis pas vraiment sollicitée sur la gestion, mais les différents membres du réseau d’acteurs en région Provence-Alpes-Côte d’Azur m’alertent sur les différentes espèces qui arrivent, ou bien qui s’étendent comme la Fourmi électrique (Wasmannia auropunctata) qui a été découverte dans le Var ou la population de Moule quagga (Dreissena bugensis) du lac de Serre-Ponçon.

TA : De même, je ne reçois pas directement les sollicitations, mais lors des entretiens avec les acteurs régionaux, j’ai remarqué que les gestionnaires ciblaient surtout les espèces de la catégorie « émergente » ou les espèces largement répandues qui affectent des zones protégées. Cela correspond notamment aux priorisations qui sont préconisées dans la stratégie régionale. Pour citer quelques espèces, il y les griffes de sorcière (Carpobrotus edulis et C. acinaciformis) et le Mimosa d’hiver (Acacia dealbata).

Pouvez-vous m’en dire plus sur la stratégie régionale ?

PJ : Pour notre région, l’élaboration de la stratégie a commencé avant même la parution de la Stratégie nationale EEE (2017). La stratégie régionale relative aux EVEE a été publiée en 2014 et dès 2016, une première contribution à la stratégie régionale relative aux EEAE (Cottaz, 2016) a été réalisée suite à une commande de la DREAL Provence-Alpes-Côte d’Azur à la Délégation Interrégionale Provence-Alpes-Côte d’Azur-Corse de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS). Ce travail a été complété en 2020 par le diagnostic social du CEN Provence-Alpes-Côte d’Azur (Guimier et al., 2019) qui a identifié les besoins en région, les partenaires intéressés par le projet et la gouvernance qui pourraient être mise en place.
Cette préfiguration a permis la création d’un poste au sein de l’ARBE pour travailler dans un premier temps sur l’élaboration des listes, puis dès la rentrée prochaine, sur la rédaction de la stratégie et du plan d’action. L’objectif visé serait la parution de la stratégie en mai 2024.

TA : À la suite de l’évaluation en cours de la stratégie de 2014, une synthèse des résultats sera publiée ainsi qu’un guide méthodologique (pour évaluer les plans d’actions en général). Mon travail a pour but de dresser le bilan des 10 années de l’animation de la stratégie, les perceptions des acteurs et de leurs attentes. Il viendra ainsi alimenter les réflexions pour la prochaine stratégie et la création d’indicateurs de suivi.

Vos actions concerne-t-elle également le milieu marin ?

PJ : À l’ARBE, nous ne les prenons pas en compte car c’est tout un vocabulaire et une méthodologie différente qui s’appliquent pour les ENI marines. Toutefois, il me semble qu’un travail est en cours du côté de l’OFB et concerne toute la façade méditerranéenne.

TA : Le CBNMed n’est pas légitime à travailler sur le milieu marin (hors milieux lagunaires) et nous nous limitons dans le cadre de cette stratégie aux plantes vasculaires continentales (et insulaires).

Si vous aviez la possibilité de faire disparaître de votre région une population d’EEE, laquelle serait-ce et pourquoi ?

Callosciurus erythreaus © J-P. Fischer

PJ : Le Moustique tigre (Aedes albopictus). C’est la période où il nous embête bien et surtout, sa gestion est aussi coûteuse que difficile. Je pense aussi à l’Écureuil de Pallas (Callosciurus erythraeus), car il y a deux populations – une dans le les Bouches-du-Rhône et une dans les Alpes-Maritimes – et elles commencent à s’étendre… C’est un écureuil qui cause pas mal de dégâts pour les vergers et surtout qui exclut l’Écureuil roux indigène.

TA : Nous avons plusieurs candidats pour la flore, mais le genre Carpobrotus (les griffes de sorcière) a des impacts négatifs très importants sur l’abondance, sur la richesse des espèces indigènes. Et ce, principalement dans les écosystèmes littoraux et insulaires, qui sont qui sont assez fragiles et où les griffes de sorcière prolifèrent. Leur disparition contribuerait à la conservation de la Romulée d’Arnaud (Romulea arnaudii) qui est une espèce endémique de la presqu’île de Saint-Tropez, inscrite sur la liste rouge (en danger critique).

 

Romulée d’Arnaud, Romulea arnaudii Morret, 2000  – En danger critique © L. Dixon

Arrachage des griffes de sorcière dans le cadre du plan régional d’actions Romulée d’Arnaud (Saint-Tropez, Var) © C. Cottaz, CBNMed
>> En savoir plus sur les actions réalisées dans le cadre du plan régional d’actions en faveur de la Romulée d’Arnaud (Romulea arnaudii Moret, 2000)

Sur quel(s) projet(s) travaillez-vous actuellement (ou avez-vous travaillé récemment) ?

TA : Outre la rédaction du guide méthodologique pour évaluer les plans d’action, j’ai aussi travaillé récemment sur plusieurs fiches projets disponibles sur la plateforme INVMED. Elles font la synthèse de grands projets menés dans la région sur les EVEE, avec des informations sur les actions réalisées, les résultats, les types de partenaires et les financeurs mobilisés.
En parallèle, je travaille sur le questionnaire qui a été diffusé en juin dernier, et j’analyse les résultats des 90 répondants.

PJ : Il faut que je finalise les listes pour la fin d’année en lien avec toutes les parties prenantes, en prévision de leur présentation au Conseil scientifique régional de la protection de la nature (CSRPN). Et aussi, le 26 septembre, nous organisons un webinaire d’1h à destination des collectivités territoriale. Il sera animé par l’ARBE, avec l’appui de plusieurs partenaires dont le CBNMed.

Rencontrez-vous des difficultés ou des contraintes sur certaines thématiques ?

PJ : J’ai travaillé principalement sur les listes, et j’ai pu constater un manque de connaissances, surtout pour certains groupes taxonomiques. A titre d’exemple pour les papillons, il y a de bons naturalistes pour les papillons de jour, mais très peu pour les papillons de nuit alors que c’est un taxon qui comporte plusieurs espèces envahissantes sur notre territoire. Il y a donc parfois un manque d’experts régionaux, mais également de connaissances sur la répartition d’espèces qui résulte aussi d’une diffusion partielle des données de répartition sur Silene (la plateforme régionale du SINP en région Provence-Alpes-Côte d’Azur).

TA : Un retour qui revient souvent chez les gestionnaires en région membres du réseau, c’est la gestion des déchets verts générés par les opérations. Les filières de valorisation sont encore peu sensibilisées, mais je pense que cela va évoluer car la région Sud s’est dite intéressée à travailler avec le CBNMed sur ce besoin.
Une autre difficulté, c’est de rester mobilisé sur de la gestion sur le long terme, ce qui peut être décourageant après 10 ans de travaux, mais qui est essentiel pour la pérennité des résultats.

Quel est l’aspect de votre travail que vous appréciez le plus ?

PJ : Mes missions me permettent d’apprendre énormément sur la biologie des espèces et leur écologie et de diffuser ces connaissances. C’est impressionnant toutes les différences de traits de vie. Les genèses des différentes introductions sont parfois surprenantes, comme celle du Xénope lisse qui a été introduit pour faire des tests de grossesse. Élaborer une stratégie permet de faire le lien entre les acteurs de terrain et le monde universitaire.

TA : C’est un sujet qui présente des enjeux variés, par rapport à la biodiversité, mais aussi avec des enjeux sanitaire (ex. la Berce du Caucase et sa sève photosensibilisante). Cela nous amène à toucher des acteurs de différents horizons. Ce que j’apprécie également, c’est que la communication est un axe important de la stratégie. Nous réalisons beaucoup d’opérations auprès de différents publics, des scolaires, des gestionnaires, des jardins botaniques, etc. Je trouve ça intéressant un petit peu de pouvoir être en contact avec tous ces acteurs, et de pouvoir agir de manière concrète.

Pour finir, comment décririez-vous votre réseau en un mot ?

PJ : C’est un peu compliqué de répondre puisque le réseau reste encore à construire, mais on peut déjà affirmer que ce sera un lieu d’échange et de partage. Il devrait s’appuyer sur tous les partenaires et les experts mobilisés pour la construction de la stratégie.

TA : Même si tout n’est pas encore formalisé, il n’en reste pas moins très dynamique. Il convient de souligner la vivacité des coordinateurs de la stratégie, que ce soit pour répondre aux sollicitations ou partager de l’information. Le réseau est encore un petit peu informel mais il va continuer d’évoluer en fonction des personnes qu’il faudra toucher et des messages à faire passer.

 

Lien et ressources à partager :

Références citées :

 

Toutes ces ressources sont disponibles sur la plateforme INVMED-Flore : https://invmed.fr/src/home/index.php

INVMED-Flore est une plateforme d’informations, de ressources et d’échanges sur les espèces végétales exotiques envahissantes (EVEE) des régions Provence-Alpes-Côte d’Azur, Occitanie et Corse, animée par les CBN méditerranéen et de Corse en étroite collaboration avec les CBN alpin et des Pyrénées et de Midi-Pyrénées. Elle a été conçue afin que toute personne travaillant dans ces régions trouve les informations dont elle a besoin sur la thématique des EVEE, puisse échanger et partager ses expériences et trouver les contacts utiles dans le cadre de ses activités.

 

Rédaction : Cet entretien a été mené le 11 juillet 2023, en présence de Madeleine Freudenreich (Comité français de l’UICN), Pauline Jean (ARBE) et Théo Alabert (CBNMed).