Mise en ligne à l’automne 2022, la publication “Espèces exotiques en Suisse : Aperçu des espèces exotiques et de leurs conséquences. État 2022” dresse en une soixantaine de pages, un bilan des connaissances, des évaluations de risques et des statuts attribués aux espèces exotiques introduites de fonge, flore et faune en Suisse.
Ce document comporte un examen des informations disponibles sur les aires d’origine de ces espèces, les voies de leurs introductions, les impacts et dommages qu’elles induisent et les méthodes d’évaluation des risques utilisées pour attribuer à certaines d’entre elles un statut d’envahissante.
Il présente ensuite un bilan actualisé de la situation en Suisse et de courtes synthèses sur 16 groupes taxonomiques d’espèces examinés par près d’une quarantaine d’experts pour se terminer par une bibliographie assez importante et des listes complètes d’espèces exotiques.
Réalisé sous la direction de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), le document original en version allemande est également disponible en versions française, italienne et anglaise. Une version antérieure de 2006 est également téléchargeable sur le site de l’Office fédéral (https://www.bafu.admin.ch/bafu/fr/home/themes/biodiversite/publications/publications-biodiversite/especes-exotiques.html).
Une démarche dans le cadre de la CDB
Cette synthèse s’inscrit directement dans la démarche de la Confédération Suisse en lien avec les objectifs de la Convention sur la diversité biologique (CDB) pour prévenir les dommages causés par les espèces exotiques envahissantes stipulés dans le neuvième objectif d’Aïchi du Plan stratégique pour la diversité biologique 2011 – 2020. En tant qu’État signataire de la CDB, la Suisse s’est engagée à atteindre cet objectif et, après l’adoption en 2016 de la Stratégie de la Suisse relative aux espèces exotiques envahissantes, le Conseil fédéral a mis en œuvre une démarche dont la première mesure a été l’établissement de ce qui est appelé ici « socle de connaissances sur les espèces exotiques ». Le présent document est l’actualisation d’un premier bilan établi en 2016.
Un bilan très argumenté
Concernant fonge, flore et faune, le document débute par une courte partie « L’essentiel en bref », consistant en un résumé opérationnel suivi d’une introduction de contenu classique rappelant définitions et dommages concernant les EEE. Le chapitre suivant passe en revue les résultats des diverses évaluations réalisées sur les espèces exotiques, leurs régions d’origine, les voies d’introduction et les modalités d’établissement des statuts d’envahissantes. Les lacunes de connaissances sont également évoquées, en rappelant en particulier la grande variabilité des connaissances globales d’un groupe taxonomique à l’autre, avec également une grande disparité des données disponibles sur les espèces exotiques établies, dont plus de 50 % concernent les plantes alors que les animaux et les champignons sont bien moins représentés (respectivement 33 % et 11 %).
Dans cette partie du document sont fournies des informations synthétiques permettant l’établissement d’un large panorama de la situation en Suisse. Par exemple, les voies d’introduction identifiées ont fait l’objet de l’analyse présentée en Figure 1, montrant en particulier la très grande proportion de plantes dispersées à partir des sites de leurs arrivées (espèces ornementales terrestres et aquatiques).
Un autre point intéressant de cette partie du document porte sur la démarche d’évaluation des dommages causés par ces espèces. Elle s’est en effet référée, en l’appliquant à l’ensemble de l’analyse, à la méthode proposée en 2020 comme norme mondiale par l’UICN, c’est-à-dire « Environmental Impact Classification of Alien Taxa » ou EICAT portant sur les impacts écologiques des espèces.
Il est en revanche précisé que la classification des impacts socio-économiques, ultérieurement proposée par l’UICN, la classification SEICAT pour « Socio-Economic Impact Classification of Alien Taxa », n’avait pu être réalisée que pour les espèces aux impacts socio-économiques l’emportant sur les impacts environnementaux. Sur ce sujet, le potentiel allergène de l’ambroisie à feuilles d’armoise ) sur la santé humaine était cité comme exemple.
Une distinction a aussi été faite entre les espèces dont il pouvait être démontré qu’elles causaient des dommages et celles dont on pouvait supposer qu’elles causeraient des dommages (espèces potentiellement envahissantes).
N.B. : sur les démarches d’évaluation des impacts des espèces exotiques EICAT et SEICAT, voir les articles suivants :
Pour EICAT+ : |
Enfin, dans cette analyse générale, il est indiqué que seuls les dommages à l’environnement avaient été pris en compte dans la constitution de cette liste. Ce choix étant expliqué par l’existence de politiques sectorielles pour les secteurs économiques tels que la production agricole et sylvicole, qui règlementent déjà certaines espèces exotiques, en citant l’exemple de l’Ordonnance sur la protection des végétaux contre les organismes nuisibles particulièrement dangereux (OSaVé), équivalent suisse du Règlement UE 2016/2031 sur la Santé des plantes.
Quel bilan actuel chiffré ?
Compilé dans le Tableau 1, le bilan fait état de 1305 espèces exotiques connues en Suisse, soit 430 animaux, 730 plantes et 145 champignons. Les plantes vasculaires forment le plus grand groupe avec 714 espèces terrestres et 11 espèces aquatiques. Chez les animaux (430 espèces), la plupart des espèces exotiques établies se trouvent parmi les invertébrés : le groupe le plus représenté est celui des insectes avec 296 espèces.
Parmi les espèces exotiques établies, près de 15 % sont considérées comme envahissantes, soit au total 197 espèces, dont 85 animaux, 89 plantes et 23 champignons. Les plantes vasculaires y sont à nouveau les plus nombreuses, avec 80 espèces terrestres et 8 espèces aquatiques. Chez les animaux, les vertébrés et les invertébrés sont représentés dans des proportions à peu près égales, avec respectivement 42 et 43 espèces.
Le Tableau 2 présente la part des espèces exotiques envahissantes pour lesquelles des preuves de dommages existent et celles pour lesquelles, à dire d’expert, il a été estimé qu’elles pourraient causer des dommages. La forte proportion d’espèces de champignons aux impacts négatifs prouvés est remarquable :dans la courte présentation de ce groupe taxonomique dans la suite du document, les auteurs listent quelques exemples concernant aussi bien la flore (chalarose du frêne, chancre de l’écorce du châtaignier) que la faune (chytridiomycose des urodèles, peste de l’écrevisse) en rappelant l’importance de la prévention et les risques d’aggravation des impacts de champignons introduits en lien avec le changement climatique.
Un panorama sur différents groupes taxonomiques
La troisième et dernière partie du document est consacré à de courtes présentations (une ou deux pages) de la situation de 16 groupes taxonomiques d’espèces, rédigées par près d’une quarantaine d’experts (Tableau 3).
Chacune de ces présentations souligne les particularités du groupe d’espèces concerné, fournit un aperçu des espèces exotiques établies en Suisse et, à partir de quelques exemples, évoque dommages constatés, gestion possible et lacunes en matière de connaissances.
Il est important de noter que parmi ces groupes figurent champignons et lichens et bryophytes, peu fréquemment référencés dans des documents de cette nature.
Pour la faune, divers groupes d’invertébrés et de vertébrés sont listés, avec également quelques groupes sur lesquels les informations disponibles restent rares, comme les araignées.
Sur ces groupes où les connaissances restent peu importantes, les rédacteurs de ces synthèses en signalent les raisons (rareté des experts, difficultés en matière d’observations ou d’évaluation de dynamique, etc.) en citant quelques espèces.
Par exemple, pour les bryophytes, il est indiqué que « Parmi les quelque 1100 espèces de bryophytes connues en Suisse figurent cinq espèces exotiques établies, dont l’une est considérée comme envahissante ». L’espèce citée est Campylopus introflexus (torpied exotique) pouvant former des tapis denses sur des sols dégagés empêchant l’installation d’autres espèces.
Pour les araignées et espèces apparentées, les auteurs signalent un état des connaissances faunistiques « généralement très réduit ». Onze espèces d’araignées exotiques sont considérées comme établies en Suisse, mais aucune d’entre elles n’est actuellement considérée comme envahissante. Ils citent cependant deux espèces se propageant « fortement » à l’heure actuelle, Mermessus trilobatus, araignée originaire d’Amérique du Nord, et la zoropse à pattes épineuses (Zoropsis spinimana) d’Europe du Sud, dont les influences en tant que prédatrices et concurrentes de la faune indigène seraient importantes. Ils concluent en indiquant nécessaire de combler les lacunes en matière de connaissances et de données.
Un réseau de base de données de référence et d’expertise
Dans le cadre de la mise en œuvre de la Stratégie relative aux espèces exotiques envahissantes, un collège d’experts (Comité d’experts Néobiota) comprenant des spécialistes de tous les groupes taxonomiques a été mis en place en collaboration avec les centres nationaux de données et d’informations sur la flore, la faune, les champignons, les bryophytes et les lichens. Le présent document a pu être établi grâce à la coopération de ces experts.
Les signalements d’espèces exotiques et les informations sur celles-ci sont gérés en Suisse par ces centres nationaux. L’harmonisation et la mise à disposition en ligne des données sont réalisées par Info Species (www.infospecies.ch). Le réseau collecte et compile les connaissances pertinentes pour la Suisse acquises au niveau national et international sur les espèces exotiques envahissantes. Les listes d’espèces sont périodiquement actualisées et disponibles en ligne (https://www.infospecies.ch/fr/neobiota/fr/informations.html).
Par ailleurs, à l’échelle cantonale est installé un groupe de travail en interface entre le comité de pilotage national et les services cantonaux de réalisation des interventions. Ce Cercle Exotique permet de transmettre les informations nécessaires à tous les acteurs concernés par la problématique.
Il édite une lettre d’information en allemand, italien et français. Dans la dernière de ces lettres, il est par exemple fait état des résultats de « Mesures de protection contre les néobiontes du lac de Hallwil » un lac proche de Zurich (en l’occurrence une obligation de nettoyage des embarcations par les propriétaires de bateaux pour agir sur la colonisation par la Moule quagga, Dreissena rostriformis), de mesures de lutte efficientes contre des néophytes ligneuses impactant la forêt et d’observations récentes de Noyer ailé du Caucase (Pterocarya fraxinifolia) et de Chèvrefeuille de Henry (Lonicera henryi).
Listes d’espèces
En annexe du document sont rassemblées trois listes d’espèces. La première, « espèces dont il est prouvé qu’elles causent des dommages à l’environnement », porte donc sur les espèces envahissantes avérées, la deuxième concerne les « espèces dont il faut supposer qu’elles causent ou causeront des dommages à l’environnement », potentiellement envahissantes, et la troisième passe en revue des « espèces non présentes en Suisse ».
Cette dernière liste porte en fait sur des espèces exotiques envahissantes non encore présentes en Suisse « ou qui ont été complètement éliminées par des mesures d’éradication, mais dont on ne peut pas exclure la présence ou la réapparition en Suisse ». Il est précisé que les 40 espèces citées dans cette liste non exhaustive sont des « exemples bien connus ».
Commentaires
Hormis l’importance et la qualité de l’analyse des données disponibles et du bilan qui en est tiré, un des intérêts majeurs de ce document est le large panorama taxonomique sur lequel il est construit, montrant la très grande diversité des invasions biologiques qui peuvent être perçues et évaluées à l’échelle d’un territoire comme la Suisse.
Ce type de panorama est une ouverture tout à fait utile sur l’ampleur des insuffisances de connaissances en matière d’observation et d’évaluation des incidences d’arrivées d’espèces moins visibles ou facilement identifiables que la gamme d’EEE, finalement assez restreinte, fréquemment évoquée dans les médias et maintenant connue par le grand public qui comporte quelques mammifères ou amphibiens, ou encore certaines plantes aquatiques très largement répandues.
Il n’est bien sûr pas possible de faire une comparaison quantitative des bilans d’EEE de la Suisse et de la France métropolitaine, deux territoires aux superficies respectives d’environ 41 000 et 550 000 km², dont les bilans respectifs sont de 730 et 1379 espèces de plantes et 430 et 708 espèces de faune (chiffres pour la France issus de NatureFrance, 2022), d’autant plus que le bilan suisse comporte plus de 10 % de champignons et lichens, un groupe taxonomique sur lequel aucun bilan n’est actuellement disponible en métropole.
En revanche, un examen des trois listes établies par le collège d’experts montre que 24 espèces notées en Suisse comme envahissantes avérées et 8 de la liste des « non présentes » figurent dans la liste actuelle des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l’Union Européenne, ce qui représente plus de 30 % des espèces de ladite liste. Pour la faune cela concerne tous les groupes de vertébrés, pour la flore presque exclusivement les plantes aquatiques puisque sur les 11 espèces de la liste européenne la Laitue d’eau (Pistia stratiotes) et la Jacinthe d’eau (Eichhornia crassipes) sont les seules à ne pas être citées dans les listes suisses.
Mais après tout, rien de surprenant puisque la Suisse, bien que ne faisant pas partie de l’Union Européenne, se trouve bien au cœur de l’Europe !
Rédaction : Alain Dutartre, expert indépendant
Relecture : Madeleine Freudenreich (Comité français de l’UICN)
Pour en savoir plus :
OFEV (éd.) 2022 : Espèces exotiques en Suisse. Aperçu des espèces exotiques et de leurs conséquences. 1re édition actualisée 2022. 1re parution 2006. Office fédéral de l’environnement, Berne. Connaissance de l’environnement no 2220 : 62 p.