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La Pectinatelle, un Bryozoaire dulçaquicole aujourd’hui largement répandu et parfois très encombrant

Pectinatella-magnifica
Pectinatella magnifica – P. Notteghem

S’il est en eau douce un Bryozoaire spectaculaire et dont la détermination ne pose pas de difficulté, même sur la base d’une photographie réalisée à l’air libre, c’est bien la Pectinatelle. Une masse gélatineuse, ferme et transparente (atteignant parfois plusieurs décimètres), dont la surface est recouverte d’une fine pellicule colorée organisée en rosettes contigües d’environ un centimètre, vivant soit fixée à un support immergé à faible profondeur, soit échouée sur une rive, est quasi certainement une colonie de Pectinatelle. Une ponte de Grenouille rousse ou de Grenouille verte s’en distingue par une consistance non ferme et l’absence de pellicule externe.

Les colonies de cet organisme, encore méconnu du grand public, intriguent fréquemment et inquiètent parfois les personnes, pêcheurs ou promeneurs, qui les rencontrent pour la première fois. Ceci conduit souvent à leur signalement, avec diffusion de photographies, ou à des interprétations fantaisistes dans la presse locale ou dans des forums sur Internet. Ce sont là des sources d’information potentiellement utiles pour le suivi de la distribution de l’espèce venant compléter les données issues de publications scientifiques ou produites par des gestionnaires des milieux aquatiques.

Zoarium de Pectinatella magnifica- P Notteghem
Zoarium de Pectinatella magnifica- P Notteghem

Parfois utilisée en français, la dénomination « Bryozoaire magnifique », est la traduction directe et récente du nom courant nord-américain « Magnificent bryozoan » qui pourrait faire référence à la beauté de l’espèce sous la loupe. Mais il existe, en milieu marin en particulier, bien d’autres espèces de Bryozoaires très belles et, par ailleurs, les grosses colonies détachées de leur support ne sont pas particulièrement élégantes…

L’appellation « Bryozoaire d’eau douce », également utilisée dans la presse quotidienne, paraît totalement inadaptée dans la mesure où il existe bien d’autres espèces dulçaquicoles.

Le recours à la dénomination « Pectinatelle » (francisation du nom scientifique de l’unique espèce du genre Pectinatella), de plus en plus couramment employée, a été proposé (Notteghem, 2009) par analogie avec l’usage des termes courants « Cristatelle » et « Plumatelle », traductions des noms latin Cristatella et Plumatella, deux autres genres de Bryozoaires dulçaquicoles.

Quelques mots sur les Bryozoaires d’eau douce (Phylactolèmes)

On compte en Europe 19 espèces, sur les 74 répertoriées à l’échelle mondiale (Wood, 2002 ; Wood & Okamura, 2005 ; Massard & Geimer, 2008).

Zooïdes élémentaires de Pectinatella magnifica - P Notteghem
Zooïdes élémentaires de Pectinatella magnifica – P Notteghem

Les zooïdes élémentaires (de taille millimétrique), microphages filtreurs, pourvus de tentacules ciliés, sont groupés en colonies (zoaria) présentant le plus souvent une structure chitineuse ramifiée, gélatineuse dans quelques cas. Seules les colonies de quelques espèces atteignent de grandes tailles ; beaucoup ne comptent généralement que quelques zooïdes.

La reproduction est assurée par voie sexuée, avec la production de larves nageuses, et par voie asexuée, par bourgeonnement et la production de statoblastes, des propagules résistant aux conditions défavorables, qui après une période de dormance, donnent naissance à une nouvelle colonie.

La Pectinatelle est singulière par ses colonies gélatineuses et massives, pouvant être composées d’un très grand nombre de zooïdes (des milliers et même des dizaines de milliers par zoarium).

Fixées à des supports immergés, à faible profondeur, les colonies de Pectinatelle peuvent avoir des dimensions très variables (de quelques centimètres à un mètre et même davantage). Elles peuvent se présenter sous la forme de disques réguliers, sur les maçonneries planes, de boules plus ou moins ovoïdes ou de manchons, lorsqu’elles sont fixées sur des racines, des plantes aquatiques ou des cordages, ou encore de masses irrégulières quand elles se développent sur des enrochements.

Pour une identification certaine des jeunes colonies, de petite taille, le recours à la loupe binoculaire est nécessaire. La partie antérieure des zooïdes, le polypide, porte un lophophore rétractable constitué de quelques dizaines de tentacules, organisés en fer-à-cheval entourant la bouche. Aux extrémités du fer-à-cheval, à la base des tentacules externes, on observe des taches blanches caractéristiques de l’espèce.

Les statoblastes, dotés d’une couronne d’épines à double crochet (caractéristiques de l’espèce), sont souvent produits en très grand nombre par chaque colonie (en automne en climat tempéré).

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Statoblastes libres de Pectinatella-magnifica – P Notteghem

La dispersion naturelle, parfois sur longues distances, est assurée par les statoblastes qui, dans des conditions favorables, germent et donnent naissance à de nouvelles colonies. Ils sont notamment transportés par le courant ou, grâce à leurs crochets, fixés à la fourrure des Mammifères, aux plumes et aux pattes des Oiseaux (zoochorie). La présence de l’espèce au cœur de la Turquie et en Corse semble devoir être imputée au transport par des Oiseaux aquatiques migrateurs.

L’Homme a multiplié les vecteurs de dispersion : coques des bateaux, eau de leurs ballasts, bacs de transport de poissons vivants…

L’accroissement des transports maritimes transocéaniques et des transports fluviaux, l’interconnexion des voies fluviales navigables (en Europe notamment) favorisent sa dispersion.

La Pectinatelle est considérée comme plutôt thermophile (mais on la trouve à des latitudes élevées, notamment en Finlande). Elle est surtout observée dans des eaux stagnantes mais aussi dans des cours d’eau lents. Parce que sensible aux pollutions chimiques, on prétend souvent que sa présence est le signe d’une eau de qualité. C’est là une affirmation discutable dans la mesure où l’espèce est particulièrement abondante dans les plans d’eau très chargés en matière organique, souvent en raison d’un apport excessif d’azote ou de phosphore. Elle est cependant fréquente dans des étangs oligotrophes (dans le Morvan notamment).

Inoffensive pour l‘homme, elle n’est pas urticante, à la différence de certaines espèces marines de Bryozoaires.

Repères chronologiques de l’expansion de la distribution de la Pectinatelle

  • 1851 : première observation et description de l’espèce en Amérique du Nord, aux environs de Philadelphie (Leidy, 1852a et 1852b).
  • 1883 : première observation en Europe, près de Hambourg (Kraeplin, 1884) ; dès cette date on a considéré qu’il s’agissait d’une introduction depuis l’Amérique du nord via des eaux de ballasts.
  • Au cours du 20e siècle, l’espèce atteint les bassins de l’Elbe, l’Oder, le Danube et la Vistule (Tchéquie, Pologne, Roumanie) et, hors d’Europe, la Turquie (1957), progressivement l’ouest et le sud des USA, le Guatemala, le Japon (1972) et la Corée (1995).
  • 1991-1994 : premières observations françaises avérées, dans les Vosges et en Bourgogne-Franche-Comté (Hondt & Condé, 1996 ; Notteghem, 1999)
  • 1995-2008 : multiplication très rapide des observations à partir de l’est de la France (Rodriguez & Vergon, 2002), avec une expansion spectaculaire de l’aire de distribution de l’espèce qui en une quinzaine d’années s’est implantée dans l’ensemble des bassins hydrographiques et jusqu’en Corse (Notteghem, 2009).
  • Depuis le début du 21e siècle, la Pectinatelle a atteint les Pays-Bas, le Luxembourg, la Belgique, l’Autriche, la Croatie, la Finlande, le Portugal, la Serbie, la Bulgarie, la Suisse, l’Ukraine et, hors d’Europe, en 2005 la Chine (Wang et al., 2016) et en 2009 le Vietnam.

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Une espèce invasive en phase de dispersion accélérée

La progression de l’espèce est actuellement si rapide que la toute dernière synthèse consacrée à sa répartition mondiale (Balounova, 2013) devrait déjà être réactualisée. La multiplication généralisée des réservoirs, leur réchauffement progressif et leur fréquente eutrophisation, favorisant les ressources alimentaires de la Pectinatelle, permettent son installation, sans doute durable, et, localement, sa grande abondance.

Le potentiel d’expansion de l’espèce est considérable dans l’hémisphère nord et possiblement dans l’hémisphère sud, non encore concerné.

Pour la France, il n’a pas eu de publication de carte détaillée actualisée par grands bassins versants depuis celle produite en 2008 (Notteghem, 2009). Une enquête participative, susceptible d’être conduite en 2017-2018, permettrait d’établir une nouvelle carte de synthèse, 20 ans après la première, et ainsi apprécier l’évolution de la distribution de l’espèce.

Une espèce invasive, perturbatrice des écosytèmes ?

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Pectinatella magnifica – P Notteghem

On observe des situations de très grande densité, avec des taux très élevés de recouvrement des supports, susceptibles de nuire à certaines espèces végétales et animales autochtones (des Eponges et d’autres Bryozoaires notamment). En outre dans des eaux oligotrophes, peu riches en nannoplancton (flagellés, algues unicellulaires, cyanobactéries…), il est possible que les colonies de Pectinatelle, notamment grâce au courant produit par les rosettes de zoécies, favorisant l’accès aux proies, représentent une concurrence sérieuse pour les autres organismes microphages filtreurs.

Comme d’autres Bryozoaires dulçaquicoles, la Pectinatelle peut être l’hôte d’un Myxozoaire parasite, Tetracapsuloides bryosalmonae, agent de la maladie rénale proliférante (MRP), qui touche les Salmonidés et le Brochet (Massard et al. 2013). Par sa distribution et localement son abondance, la Pectinatelle représente un risque, encore non évalué, en France en particulier, pour la faune piscicole.


Une espèce dont l’abondance peut localement perturber la pisciculture

Les dommages techniques graves (biosalissure, biofouling), observés aux USA et en Chine (Wang et al., 2016), sont rares en Europe. Cependant des cas de très grande abondance dans des étangs voués à la carpiculture intensive, avec apport excessif d’aliments (maïs) et densité très importante de carpes, ont été signalés dans l’est de la France. L’abondance était telle qu’après leur décollement automnal les colonies recouvraient la totalité de la surface de certains étangs, ce qui a entrainé des dommages au niveau du déversoir de trop plein de l’un d’eux (Notteghem, 2009).

Les équipements techniques des grands réservoirs, destinés à la production d’eau potable notamment, sont peu touchés par le développement excessif des colonies de Pectinatelle, les prises d’eau étant souvent située suffisamment en profondeur, au delà de la limite de développement de l’espèce.

Tenter de contrôler la Pectinatelle ?

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Pectinatella magnifica – P Notteghem

Il est sans doute prématuré de dire aujourd’hui, si une fois installée au sein de nouveaux écosystèmes, la Pectinatelle, comme d’autres invasives parfois, occupera progressivement une place plus discrète ou bien si son abondance restera toujours dépendante de la charge en matière organique des milieux.

Il est illusoire de penser que l’enlèvement et la destruction des colonies, parfois préconisés, pourraient permettre de limiter son abondance d’une année sur l’autre, tant la production annuelle de statoblastes est considérable.

Même si l’espèce est observée dans des étangs oligotrophes (Morvan), ce sont les milieux eutrophes, riches en plancton, qui lui sont les plus favorables. La grande abondance de la Pectinatelle est souvent associée à une eau comportant une forte concentration de matière organique avec un développement important d’algues et de Cyanobactéries.

On peut logiquement espérer réduire l’abondance de la Pectinatelle d’un plan d’eau ou d’un cours d’eau par la maitrise des apports d’azote et de phosphore à l’échelle du bassin versant ou bien, dans les étangs de pisciculture, par une limitation des apports de nutriments et de la densité des poissons, en particulier de la Carpe.

Un phénomène nouveau à suivre

Les trois stades larvaires d’un Névroptère autochtone, la Sisyre noire (Sisyra nigra), parasitent la Pectinatelle, espèce allochtone en Europe, au même titre que d’autres Bryozoaires autochtones (Cristatella mucedo en particulier) et d’Eponges (Notteghem, 2016). Ces premières observations sur cette relation entre l’insecte et le bryozoaire, relation jusqu’alors non identifiée, ne nous permettent pas de conclure sur la pression que pourrait exercer le parasite sur les colonies de Pectinatelle, leurs capacités à se reproduire, leur développement ou leur capacité de survie. Des recherches sur ce point restent à mettre en œuvre.

Patrice Notteghem, Vice-président du Conservatoire d’espaces naturels Bourgogne (patrice.notteghem@orange.fr)

Références :

Balounova, Z., E. Pechouskova, J. Rajchard, V. Joza & J. Sinko, 2013. World-wide distribution of the Bryozoan Pectinatella magnifica (Leidy, 1851). Europ. Jour. Environnemental Sci., 1, 3 : 96-100.

Chanet B., Maliet V., Massard J., Geimer G. & S. Sohier in : DORIS, 17/03/2014 : Pectinatelle. Pectinatella magnifica (Leudy, 1851).

Hondt J.-L. d’ & B. Condé, 1996. Une espèce de Bryozoaire d’eau douce (Phylactolaemates) nouvelle pour la faune française : Pectinatella magnifica (Leidy, 1851). Bull. Mens. Soc. Linn. Lyon, 65(10) : 322-326.

Kraeplin, K., 1884. Zur Biologie und Fauna der Süsswasserbryozoen. Zoll, Anz. 7 : 319-321. Leidy, J., 1852a. On Cristatella magnifica n. sp. Proc. Acad. Nat. Sc. Philadelphia, 5, 1850 & 1851: 265-266.

Leidy, J., 1852b. On some American fresh-water Polyzoa. Proc. Acad. Nat. Sc. Philadelphia, 5, 1850 & 1851: 320-322.

Massard J.-A. & G. Geimer, 2008. Global diversity of bryozoans (Bryozoa or Ectoprocta) in freshwater : an update. Bull. Soc. Nat.Luxemb.,109 : 139-148.

Massard J.A., G. Geimer & E.Wille, 2013. Appartition de Pectinatella magnifica (Leidy, 1851) (Bryozoa, Phylactolemata) dans le lac de barrage d’Esch-sur-Sûre (Luxembourg). Bull. Soc. Nat. Luxemb., 114 : 131-148.

Notteghem P., 1999. Pectinatella magnifica (Leidy, 1851), une nouvelle espèce de Bryozoaire pour la Bourgogne. La Physiophile, Montceau-les-Mines, 131: 12-25.

Notteghem P., 2009. Evolution de la distribution de la Pectinatelle, Pectinatella magnifica (Leidy, 1851), Bryozoaire d’eau douce en France et en Europe. Rev. sci. Bourgogne-Nature, 9/10 : 188-197.

Notteghem P., 2016. La Sisyre noire (Sisyra nigra), Névroptère autochtone, parasite de la Pectinatelle (Pectinatella magnifica), Bryozoaire allochtone. Rev. sci. Bourgogne-Nature, 23 : 139-146.

Rodriguez S. & J.-P. Vergon, 2002. Pectinatella magnifica Leidy 1851 (Phylactolaemates), un Bryozoaire introduit dans le nord de la Franche-Comté. Bull. Fr. Pêche Piscic., 365-366 : 281-296.

Wang B., H. Wang & Y. Cui, 2016. Pectinatella magnifica (Leidy, 1851) (Bryozoa, Phylactolaemata), a biofouling bryozoan recently introduced to China. Chinese J. Oceano. Limno.

Wood T.S., 2002. Freshwater bryozoans : a zoogeographical reassesment. In : P.N. Wyse Jackson, C.J. Butler & M.E. Spencer Jones (ed.), Bryozoan Studies, 2001. Balkema Publishers : 339-345.

Wood T. S. & B. Okamura, 2005. A New Key to the Freshwater Bryozoans of Britain, Ireland and Continental Europe; with notes on their ecology. The Freshwater Biological Association, Ambleside, 113 p.