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Le succès d’une réaction rapide : (très probable) éradication du Chevesne en Irlande

La présence de Chevesne (Squalius cephalus), poisson non-indigène en Irlande, y a été signalée pour la première fois dans la rivière Inny en 2005. Ce poisson, très apprécié des pêcheurs, a très probablement été introduit intentionnellement par ces derniers afin de leur fournir une nouvelle ressource. L’organisme Inland Fisheries Ireland (IFI), gestionnaire des ressources de pêche irlandaises, a immédiatement réagi à ce signalement en organisant des campagnes de pêches électriques pour tenter d’empêcher l’installation de ce poisson potentiellement envahissant. Dans un article publié en août dernier, Joe Caffrey et son équipe relatent le succès de ces opérations après plus de 10 ans de suivi, et témoignent de l’efficacité d’une réaction rapide suivant la détection d’une nouvelle espèce.

La répartition naturelle du Chevesne inclut plusieurs régions de l’Europe continentale et l’Angleterre. Ce cyprinidé atteint en moyenne 30 à 40 cm de long pour 1 à 1,5 kg et son espérance de vie est estimée à une dizaine d’années. Les larves et les juvéniles se nourrissent d’invertébrés aquatiques, et les adultes consomment principalement des plantes aquatiques, des insectes et des poissons. Le développement de populations de cette espèce dans de nouveaux écosystèmes pourrait donc avoir des impacts sur les communautés indigènes de flore et de faune pouvant lui servir de nourriture.

Étant situés dans un écosystème insulaire, les cours d’eau Irlandais sont naturellement moins riches en communautés piscicoles que l’Europe continentale. L’île constitue cependant une destination réputée pour le tourisme de la pêche. Plusieurs espèces de poissons non-indigènes et potentiellement envahissants ont été introduites dans le but de favoriser le développement de cette ressource économique, telles que la Carpe commune (Cyprinus carpio) ou la Vandoise (Leuciscus leuciscus), espèces naturalisées depuis longtemps et aujourd’hui largement répandues.

Bien que des signalements non vérifiables aient été effectués de 2001 à 2004, c’est en 2005 que la présence de Chevesne a été formellement confirmée en Irlande avec la capture de 3 individus dont l’identification a été validée par les scientifiques du Central Fisheries Board (aujourd’hui Inland Fisheries Ireland). Etant un poisson très apprécié et les habitats des cours d’eau irlandais lui étant propices, de nombreux pêcheurs réclamaient son introduction intentionnelle dans les eaux de l’île ce qui laisse fortement supposer une introduction volontaire. A noter que cette introduction serai désormais illégale car le Chevesne fait partie des espèces de poissons règlementés selon la Directive Habitats de l’Union Européenne de 2011. La rivière Inny, où ces captures ont été effectuées, est le principal affluent de la rivière Shannon. D’une longueur totale de 88 km, elle traverse de nombreux lacs avant de se jeter dans le lac Ree. La zone de présence de l’espèce se situait dans sa partie aval, entre le lac Derravaragh et le lac Ree.

Suite à cette confirmation de présence, l’IFI a aussitôt coordonné la mise en place d’opérations d’éradication de l’espèce et fourni les moyens humains et matériels nécessaires. Des pêches électriques ont été organisées sur les 42 km du cours d’eau entre les lacs Derravaragh et Ree, au printemps et en automne en 2006 et 2007, puis uniquement au printemps en 2008 et 2009.

Le dispositif était constitué de trois équipes en bateau opérant en parallèle : un conducteur du bateau, une personne chargée de la manipulation de l’anode électrique et une personne chargée de récupérer les poissons avec l’aide d’un filet. Ces trois équipes étaient secondées par deux bateaux chargés de récupérer les éventuels poissons manqués. Au total, 15 personnes étaient mobilisées par journée d’opération, et la couverture de toute cette partie du cours d’eau nécessitait entre 4 et 5 jours.

© Inland Fisheries Ireland

Entre 2008 et 2012, les pêches électriques ont eu lieu sur des zones spécifiquement ciblées, puis à nouveau sur l’ensemble des 42 km en 2013. En compléments des pêches, des émetteurs posés en 2008 sur 2 individus ont permis de les suivre pendant 12 mois, afin de localiser un éventuel regroupement d’individus. Au total, de 2006 à 2010, 28 individus ont été capturés et euthanasiés (tableau 1). Ces pêches étaient complétées par un suivi des captures des pêcheurs : enquêtes régulières et contrôle des prises lors des compétitions.

Récapitulatif des captures

En l’absence de capture d’individus à partir de 2010, les opérations de pêche électrique ont été arrêtées après 2013. Les enquêtes auprès des pêcheurs locaux, avec lesquels une relation de confiance s’est instaurée avec les agents de l’IFI, ont été toutefois maintenues.

Aucun signalement de Chevesne n’a donc été noté depuis 2010, il semblerait donc que l’espèce ait été éradiquée de ce cours d’eau et ne soit plus présente en Irlande à l’heure actuelle. Le suivi des communautés piscicoles des rivières est poursuivi afin de maintenir une veille. Ces interventions constituent l’un des rares exemples de succès d’une éradication d’une espèce animale exotique susceptible d’être envahissante en milieu aquatique, et démontre l’importance d’une réaction rapide et coordonnée et d’une sensibilisation des usagers des milieux (ici les pêcheurs) afin qu’ils ne contribuent pas à l’introduction et la dispersion d’espèces éventuellement problématiques mais qu’ils soient au contraire impliqués dans la préservation des milieux.

Rédaction : Doriane Blottière, Comité français de l’UICN
Relectures : Alain Dutartre, expert indépendant, Emmanuelle Sarat, Comité français de l’UICN

En savoir plus :

Caffrey, J., Gallagher, K., Broughan, D., and Dick, T.A. 2018. Rapid response achieves eradication – chub in Ireland. Management of Biological Invasions 9(4): 475 – 482.