Limnobium laevigatum s’installerait-il dans l’hexagone ?

Après une première observation et identification le 28 mai 2022 de cette espèce dans une retenue située sur un affluent de la Vilaine dans sur la commune de Brécé (Ille-et-Vilaine), deux séries d’observations réalisées au mois d’octobre 2023 dans quatre sites des rives du Lot et de la Garonne viennent compléter les informations sur sa répartition. Avec un attrait horticole apprécié pour la beauté de son feuillage flottant à la surface des eaux, cette espèce originaire d’Amérique du Sud, non règlementée en France et en Europe et donc toujours en vente libre, est également connue pour ses importantes capacités de colonisation de milieux aquatiques favorables qui doivent amener à mettre en place une vigilance spécifique la concernant.

Observations d’octobre 2023

Lors de relevés IBMR réalisés début octobre, la présence de Limnobium laevigatum a été signalée par Jérôme SIMON du bureau d’étude Aquabio dans trois sites, le premier sur le Lot, à la cale de mise à l’eau de Clairac (47), les deux autres en aval sur la Garonne à hauteur des communes de Sénestis (47) et de Bourdelles (33). Les plantes observées se trouvaient en zone de rive dans des embâcles de branchages d’arbres couchés en compagnie d’autres plantes flottantes du genre Lemna et de Spirodela polyrhiza et Azolla filiculoides.

La seconde campagne d’observations réalisée par Fabrice BERNARD (OFB, SD 47) a eu lieu le 24 octobre au Temple-sur-Lot (47) à la suite d’un signalement par l’A.P.P.M.A. de FONGRAVE (47) d’un important développement de plantes aquatiques. Elle a permis de constater une colonisation de Limnobium laevigatum s’étendant sur plusieurs milliers de m² d’une partie d’un bras du Lot d’une superficie totale d’environ 7 000 m².

Deux formes de la plante y étaient observables : l’une plane, appliquée en surface, à feuilles petites à moyennes et pétioles courts, l’autre, érigée au-dessus de l’eau avec des feuilles plus grandes et longuement pétiolées. Aucune fleur n’était visible.

Un bras du Lot situé 350 m plus en aval abritait environ 1000 m² de la plante.

                                                                                                                                              Crédits photo : Fabrice Bernard 

N. B. : l’intérêt horticole de l’espèce conduit même à ce qu’elle soit maintenant proposée comme espèce de remplacement en bassins extérieurs de la Laitue d’eau (Pistia stratiotes), interdite à la vente depuis juillet 2022 sur la liste des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l’Union Européenne, en application du règlement européen  n°1143/2014. De telles propositions commerciales la concernant, dont certaines sont par exemple disponibles en ligne sur la plateforme eBay, pourraient ainsi contribuer indirectement à accroître la dispersion de l’espèce sur le territoire.

Les autres observations concernent des sites en aval du Temple-sur-Lot, une quinzaine de kilomètres pour Clairac sur le cours du Lot, une cinquantaine pour Sénestis et environ 80 km pour Bourdelles sur le cours de la Garonne avec des individus dérivant, piégés dans des embâcles. Il est probable que d’autres individus dérivants depuis cette source aient pu trouver et trouvent encore des sites favorables le long de ces deux cours d’eau…

Observations avril-juin 2024

Selon Fabrice BERNARD, la plante a été observée de nouveau sur le site du Temple-sur-Lot dès le 9 avril. Un passage le 2 juin a permis de comptabiliser seulement un peu moins d’une centaine d’individus, conséquence d’un arrachage de jussies programmé par le Syndicat Mixte pour l’Aménagement de la Vallée du Lot en Lot-et-Garonne (Smavlot 47). Cet arrachage mécanique réalisé le 25 avril par une entreprise spécialisée utilisant un engin amphibie a éliminé toutes les plantes présentes dans le site, y compris donc L. laevigatum et, lors du passage du 2 juin, les jussies semblaient se développer faiblement. Les rives du Lot à l’aval n’ont pas fait l’objet de prospections.  Lors de cette campagne d’observations, deux autres plantes ornementales exotiques envahissantes ont également pu être observées dans le site du Temple-sur-Lot : un individu d’Aponogeton distachyos et une touffe de plusieurs m² de Saururus cernuus.

Une visite de terrain sur le site du Temple-sur-Lot début décembre montrait une population dense de l’espèce subsistant dans le petit bras en aval et des individus épars sur le bras proche de la pépinière. L’historique depuis le printemps des interventions d’arrachages qui pourrait expliquer cette situation  n’est pas connu.

Commentaires

Si une vigilance particulière est portée à cette espèce, c’est en lien direct avec les informations disponibles sur ses importantes capacités de dispersion, facilitées par son intérêt horticole, et de colonisation de milieux aquatiques de nature diverses.

Une première évaluation du risque la concernant, réalisée en 2013 par le Département de l’Agriculture des USA (USDA), signalait que, malgré son caractère d’envahisseur relativement récent, cette espèce devait être considérée comme présentant un « risque élevé ». La fiche du CABI, très complète sur cette espèce, permet d’évaluer aussi ces capacités.

Pour ce qui concerne sa présence en Europe, elle a déjà fait l’objet de deux articles du CdR EEE.

Le premier, daté d’octobre 2021, faisait état d’une première observation en 2021 dans la flore andalouse et fournissait des informations sur les connaissances acquises sur les capacités colonisatrices de l’espèce et les analyses de risques déjà établies. La même année, dans une note du Service d’Information de l’Organisation européenne et méditerranéenne pour la protection des plantes (OEPP) figurait un appel à porter une attention particulière à cette espèce pouvant former des tapis couvrant les eaux aux impacts environnementaux similaires à ceux de la Jacinthe d’eau ou de la Laitue d’eau, souhaitant que des prospections soient menées dans les zones plus étendues autour des sites d’observations et la réalisation d’une analyse de risque phytosanitaire pour la région OEPP.

En décembre 2022, le deuxième article présentait des informations sur une première observation de l’espèce en milieu naturel dans l’hexagone et sur l’intervention mise rapidement en place pour espérer éradiquer cette nouvelle arrivée dans la commune de Brécé (Ille-et-Vilaine). L’espèce a été repérée le 28 mai 2022 lors d’un inventaire floristique destiné à améliorer les connaissances de la flore de la commune et rapidement identifié, ce qui a conduit à intervenir pour la retirer du site. Deux interventions successives ont été réalisées les 7 et 31 août. L’article se terminait par un appel à la vigilance et signalait un projet d’action de sensibilisation du public sur la problématique des EEE.

Ainsi que le montre cette carte mondiale de répartition de l’espèce originaire d’Amérique du sud, elle a été assez largement dispersée en Afrique, Amérique du Nord, Asie, Australie et Europe et cette dispersion est toujours en cours. 

Par exemple, des colonisations récentes au Zimbabwe et en Zambie ont suscité des publications telles que celles de Howard et al. (2016) attirant l’attention sur les risques de propagation de l’espèce dans d’autres parties de l’Afrique tropicale. Début 2019 un blog du CABI portait d’ailleurs sur la dangerosité de l’espèce en Afrique du Sud en signalant qu’elle était très similaire à la Jacinthe d’eau et susceptible d’avoir des impacts négatifs sur la biodiversité, la pêche, le transport par voie d’eau, l’hydroélectricité et les loisirs….

Également introduite en Australie, elle y est par exemple classée comme « mauvaise herbe interdite » (Prohibited Matter Weed) en Nouvelle-Galles du Sud. Zhu et al. (2024) viennent de proposer un test d’ADN environnemental d’identification de l’espèce pour faciliter sa détection en milieu naturel. Ils précisent que ce test spécifique a été validé sur 25 espèces aquatiques et terrestres non cibles, à l’aide d’échantillons environnementaux collectés sur des sites avec et sans la présence de L. laevigatum, et qu’il s’est avéré très sensible : un outil efficace pour une détection ciblée…

Dans sa revue des informations disponibles sur l’espèce à l’échelle européenne publiée en 2023, Pablo Garcia-Murillo indique que l’espèce a été observée dans six pays européens : Belgique, Hongrie, Pays-Bas, Pologne, Espagne et Suède. Les premières observations semblent dater de 2018, l’une dans un site du Nord de la Hongrie, un ruisseau alimenté par des eaux chaudes, les autres dans trois sites en Espagne. L’auteur note qu’à l’heure actuelle, les seules populations naturalisées de la plante en Europe semblent se trouver en Hongrie et en Espagne. En effet, les autres observations dispersées en Belgique, Pays-Bas, Suède et plus récemment (2020) en Pologne concernent des populations qui ne se sont pas maintenues à cause des conditions hivernales.

Pablo Garcia-Murillo rappelle également les possibilités de son contrôle, dont l’extraction mécanique et l’applications d’herbicides. Il cite aussi les recherches en cours sur le contrôle biologique, comme par exemple les travaux de Pratt et al. (2021). Dans cet article, les auteurs citent une espèce de charançon, Bagous lunatoides, dont les adultes consomment L. laevigatum, et signalent que la spécificité de consommation de la plante par ce coléoptère fait l’objet de controverses entre chercheurs (l’espèce est référencée dans la compilation d’espèces d’insectes phytophages réalisée par Harms & Grodowitz, 2010). Ils indiquent également que d’autres consommateurs de la plante seraient à rechercher.

N.B. : le nom scientifique de l’espèce pour lequel il semble y avoir un consensus international est Hydrocharis laevigata (Humb. & Bonpl. ex Willd.) Byng & Christenh. de manière à l’intégrer dans le genre Hydrocharis de la famille des Hydrocharitaceae. C’est d’ailleurs le nom utilisé par Garcia-Murillo (2023). Il faudrait à l’avenir utiliser cette dénomination.

Remarques finales

Ainsi, compte tenu des risques futurs de dispersion de l’espèce, la vigilance nécessaire sur Limnobium laevigatum / Hydrocharis laevigata devrait-elle intégrer à la fois l’amélioration de sa détection, facilitée par l’accès à des fiches illustrées telle que le document d’alerte rédigé par le CBN SA ou la fiche du site CDREEE et une analyse des sources et des voies de son introduction en milieu naturel.

Sur la démarche et l’importance des détections précoces, certaines des photos disponibles montrant l’ampleur possible de certaines de ses colonisations, soit celles des premiers sites observés dans l’hexagone, soit provenant de certaines des publications en accès libre comme celles de Howard et al. (2016), Garcia-Murillo (2023) ou l’évaluation de risque de l’USDA, permettraient sans aucun doute d’en illustrer le besoin !

Rédaction : Fabrice BERNARD (OFB, SD 47), Aurélien Caillon (CBN SA), Alain Dutartre (expert indépendant)

Relectures : Emilie Breugnot (OFB), Mickaël Mady (CBN MC)

Crédits photo en bandeau : Fabrice Bernard