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Reproduction de tortues dulçaquicoles asiatiques en conditions naturelles

L’observation de tortues exotiques en milieu naturel devient de plus en plus fréquente en France (voir notre article de 2020). Bénéficiant de conditions climatiques plus favorables, certaines de ces tortues parviennent même à s’implanter et à se reproduire sur notre territoire. Ce qui n’est pas sans incidence sur l’avenir des tortues autochtones (Emys orbicularis, Mauremys leprosa et Testudo hermanni) qui se heurtent à une menace supplémentaire.

Dans le dernier bulletin de la Société Herpétologique de France, un article rapporte pour la première fois plusieurs cas documentés de reproduction de deux espèces d’origine asiatique, Pelodiscus sinensis et Mauremys sinensis en France métropolitaine. Rédigée par Jérôme MARAN du Refuge des Tortues de Bessières (Haute-Garonne), la publication indique qu’en 2020, l’association a été confrontée à plusieurs situations soulignant la capacité d’adaptation non négligeable de certaines espèces de chéloniens exogènes.

 

Le Trionyx de Chine, Pelodiscus sinensis (Wiegmann, 1835)

Pelodiscus sinensis, femelle adulte © Jérome Maran, Refuge des tortues

Cette tortue à carapace molle est originaire de l’Asie du Sud-Est, où elle se rencontre en Chine et sur l’île de Taïwan (Turtle Taxonomy Working Group 2017). Le Trionyx de Chine a été commercialisé en France comme animal de compagnie durant les années 90. Depuis l’application des arrêtés du 10 août 2004 (revus par celui du 8 octobre 2018 fixant les règles générales de détention d’animaux d’espèces non domestiques) toute personne souhaitant détenir une espèce de la famille des Trionychidés doit être titulaire du certificat de capacité autorisant l’élevage d’espèces non domestiques, ainsi que d’une autorisation d’ouverture d’établissement. Ces conditions administratives contraignantes représentent un obstacle au commerce de Pelodiscus sinensis à destination du grand public ; la vente de cette espèce n’étant plus rentable, les animaleries cessent d’en proposer.

À la naissance, les jeunes tortues mesurent entre 2 et 3 cm de long, pour un poids n’excédant pas 3,5 grammes (Ernst & Lovich 2009). Leur petite taille et leur coloration attractive (dossière olivâtre, plastron blanc, rosâtre à rougeâtre tacheté de noir) ont suscité chez le grand public un engouement certain lorsqu’elles étaient en vente libre. À l’âge adulte, cette espèce atteint 33 cm de longueur (Ernst & Lovich 2009) pour un poids de 2 à 3 kg en quelques années seulement. C’est la raison pour laquelle, devenues trop encombrantes, certaines ont été relâchées dans les cours d’eau de France par leurs propriétaires importunés.

Pelodiscus sinensis a été introduite dans de nombreux pays à travers le monde, en s’y acclimatant parfois : Brésil, Corée du Sud, Espagne, Indonésie, Iran, Japon, Laos, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande, Timor, USA (Hawaï) et Vietnam (Turtle Taxonomy Working Group 2017).

Cas de reproduction de l’espèce en France

Du fait de sa répartition géographique naturelle, le Trionyx de Chine est une espèce capable de supporter nos hivers, de vivre à l’année en extérieur et de se reproduire sans problème dès lors que des individus des deux sexes ont la possibilité de se rencontrer. Cette espèce est d’ordinaire très craintive et extrêmement discrète, ce qui rend sa rencontre difficile en milieu naturel. Son observation dans l’Hexagone demeure rare, même si elle s’exonde fréquemment sur les berges des cours d’eau, les rochers et les troncs d’arbres immergés ou flottants pour thermoréguler. Depuis plusieurs années, de plus en plus de spécimens adultes de Pelodiscus sinensis sont observés et/ou capturés dans la nature au sein de l’hexagone.

L’association de Bessières indique avoir été contactée en juillet 2020 par un particulier venant de trouver une jeune tortue en pleine nature. Il s’agissait d’un nouveau-né, ramassé sur une piste cyclable en plein soleil, à environ 150 m du Lez (fleuve côtier qui coule dans le département français de l’Hérault, entre les communes de Saint-Clément-de-Rivière et Palavas-les-Flots, en passant par Montpellier avant de déboucher dans la Méditerranée). Après examen des photographies transmises par l’observateur (Figures 1 et 2), la tortue juvénile est identifiée comme étant un Trionyx de Chine.

Illustration extraite de l’article de Maran, 2021 © Jérôme Maran

Ce signalement n’est pas la première mention de l’espèce dans ce secteur. En août 2017, une jeune tortue déshydratée avait également été retrouvée à Montpellier, sur la rive gauche du Lez. La photo de la tortue transmise au Refuge des Tortues avait également permis de l’identifier comme appartenant à l’espèce Pelodiscus sinensis. L’observation de deux nouveau-nés de Trionyx de Chine à trois ans d’intervalle renforcent l’idée de sa présence et de son implantation probable dans le département de l’Hérault, à proximité du fleuve du Lez. Bien entendu, des recherches plus poussées sont nécessaires pour confirmer ou infirmer ce qui n’est pour l’instant qu’une supposition.

Au Refuge des Tortues, plusieurs spécimens de Pelodiscus sinensis sont élevés dans des bassins extérieurs. Malgré des périodes hivernales parfois rigoureuses (gel continu durant plusieurs jours), elles ne paraissent absolument pas affectées. Des naissances naturelles ont déjà été constatées dans les enclos.

 

L’Émyde à cou rayé commune, Mauremys sinensis (Gray, 1834)

Mauremys sinensis, femelle © Fred Lavail, Refuge des tortues

L’Émyde à cou rayé commune est une tortue aquatique originaire de l’Asie du Sud-Est, plus précisément de la Chine, de Taïwan et du Vietnam (Turtle Taxonomy Working Group 2017).

L’espèce fait partie de ce cortège d’espèces qui a remplacé la Trachémyde à tempes rouges (Trachemys scripta elegans) peu après son interdiction à la vente. L’Émyde à cou rayé commune est vendue à peine âgée de quelques semaines. « L’espèce passe mais la problématique demeure » car il s’agit aussi, à l’instar de sa cousine américaine (Trachemys scripta elegans), d’une tortue aquatique qui une fois adulte, atteint des mensurations non négligeables : 25 cm de longueur pour un poids qui atteint 5 kg pour les femelles. Comme pour Pelodiscus sinensis, un nombre croissant d’abandons de spécimens appartenant à cette espèce est constaté.

Du fait de l’étendue de son aire de répartition, cette espèce présente une grande plasticité écologique. En Europe, les premières observations de son adaptation ont été faites depuis l’Espagne (Martínez-Silvestre et al., 2019) jusqu’à la Slovaquie (Jablonski et al., 2018) et l’espèce parviendrait même à s’y reproduire naturellement (Martinez-Silvestre et al., 2019). En Espagne, des chercheurs ont montré que cette espèce pouvait s’hybrider avec l’Émyde lépreuse (Sancho et al., 2020).

L’Émyde lépreuse, Mauremys leprosa, est une tortue dulçaquicole méditerranéenne ibéro-maghrébine qui possède une aire de répartition relativement vaste, allant du Sud-Ouest de la France (Languedoc-Roussillon) jusqu’au Maroc, en passant par la péninsule Ibérique (Espagne et Portugal), pour la sous-espèce Mauremys leprosa leprosa (Schoepff in Schweigger 1812). L’Emyde lépreuse est également signalée sporadiquement en Région Nouvelle-Aquitaine, bien que cela ne reflète en rien la présence avérée de populations viables, mais plutôt de spécimens isolés échappés de captivité ou introduits volontairement (Cistude Nature 2010, Pottier 2016).

Cas de reproduction de l’espèce en France

En 2003, Mauremys sinensis a été signalée pour la première fois sur l’île de la Réunion (Hoareau 2003). Dix ans plus tard, plusieurs nouveau-nés d’Emyde à cou rayé commune sont trouvés dans une rivière de l’île, prouvant ainsi sa reproduction naturelle à l’état sauvage (Probst & Sanchez 2013, Abhaya & Probst 2013). Des actions de lutte précoce ont été engagées dès sa découverte afin d’identifier sa distribution, d’enrayer le processus d’invasion potentiel et d’évaluer la faisabilité d’une éradication (Sarat et Sanchez, 2017). Son statut actuel sur l’île demeure à préciser.

Espèce robuste, Mauremys sinensis s’avère résistante aux températures très basses, dès lors qu’elle bénéficie de cachettes adaptées. Au Refuge des Tortues de Bessières, un groupe d’une quarantaine d’individus adultes vivent dans des bassins situés à l’extérieur l’année durant. Les tortues bénéficient de zones aquatiques végétalisées où elles ont l’habitude de creuser de larges galeries immergées qui les protègent des températures les plus basses. En captivité, il a été observé que la surface du bassin peut geler plusieurs jours durant sans que cela ne semble affecter les fonctions vitales des individus. Les seuls décès enregistrés concernent des animaux confiés par des particuliers et qui n’avaient jamais hibernés auparavant. Ainsi, sous réserve qu’elle puisse bénéficier durant la première année de son relâcher dans la nature de conditions favorables, l’espèce semble ainsi très vite s’adapter à sa nouvelle situation, et un hiver doux entraînera une plus forte proportion de survivantes dès l’hiver suivant.

Dans un élevage extérieur installé dans le village de Givors (Rhône) à une altitude de 400 m, quatre jeunes émydes à cou rayé communes sont nées naturellement en septembre 2020. L’été y a été exceptionnellement chaud et sec avec une absence marquée de pluie, ce qui peut expliquer d’après l’auteur cette reproduction impromptue.

 

L’observation de jeunes tortues exotiques en milieu naturel pourrait devenir de plus en plus commune dans les années à venir, et ne se limitera plus à la présence de spécimens isolés échappés de captivité ou introduits volontairement, mais bien à l’apparition de populations viables bénéficiant de conditions climatiques favorables à leur reproduction. Dans le cadre du Plan National d’Actions (PNA), consacré à la Cistude d’Europe, un groupe de réflexion a été mis en place sous l’égide de la Société Herpétologique de France (SHF) pour faire le point sur la problématique des espèces de tortues exogènes et permettre la mise à disposition d’outils nécessaires à leur gestion (collectif SHF, en préparation).

En cas d’observation d’une tortue exotique, il est important de faire remonter ses informations sur les plateformes adaptées pour contribuer à mieux connaître la répartition des différentes espèces. Les données peuvent être communiquées via l’application mobile INPN (voir aussi Comment transmettre ses données à l’INPN) et/ou la Société herpétologique de France (GeoNature). Elles peuvent également être directement adressées aux agents départementaux de l’OFB, ou, le cas échéant, au Centre de ressources Espèces exotiques envahissantes.

Enfin, il convient de rappeler que la capture et le transport de ces espèces par des particuliers n’est pas autorisée sans encadrement administratif.

 

Rédaction : Madeleine Freudenreich, Comité français de l’UICN d’après l’article de J. Maran (2021)

Relecture : Agnès Merlet (Société Herpétologique de France), Stéphanie Thienpont (Société Herpétologique de France), Laurent Barthe (Société Herpétologique de France), Audrey Trochet (Société Herpétologique de France), Jérôme Maran (Refuge des Tortues à Bessières), Emmanuelle Sarat (Comité français de l’UICN)

 

Pour en savoir plus : Maran, J. 2021. Premières observations sur la reproduction en conditions naturelles de deux espèces de tortues dulçaquicoles asiatiques en France métropolitaine. Bull. Soc. Herp. Fr. (2021) 177 : 81-89 

Le Bulletin de la Société Herpétologique de France est une revue scientifique trimestrielle publiée depuis 1976. Il propose aux herpétologues professionnels et amateurs de publier des articles et notes sur divers sujets concernant les Amphibiens et les Reptiles : descriptions d’espèces, distribution et biogéographie, conservation, écologie, physiologie et écophysiologie, évolution.

 

Références de l’article :

  • Abhaya K. & Probst J.M. 2013 – Monographie préliminaire : Mauremys sinensis (Gray, 1834) (Émyde de Chine ou Émyde à cou rayé). La Réunion. Données Naturalistes Animalières, 19: 42.
  • Cistude Nature (coordinateur : Matthieu Berroneau). 2010 – Guide des Amphibiens et Reptiles de France. Association Cistude Nature. 180 p.
  • Courmont L. 2019 – Bilan 2012-2017 Plan national d’actions en faveur de l’Émyde lépreuse Mauremys leprosa. CEN Occitanie – ministère de l’Écologie, du Développement Durable, des Transports et du Logement. 76 p.
  • Ernst C.H. & Lovich J.E. 2009 – Turtles of the United States and Canada. Second Edition. The Johns Hopkins University Press. Baltimore. 827 p.
  • Hoareau E. 2003 – Observation d’une tortue aquatique à la Rivière des Galets. Bulletin Phaethon, 18: 111.
  • Jablonski D. Grul’a. D. & Christophoryovà J. 2018 – First record of Mauremys sinensis (Gray, 1834) and its natural overwintering in Central Europe. Herpetology Notes, 11: 949-951.
  • Martínez-Silvestre A., Soler J. & Cano J.M. 2019 – Adaptación y reproducción de Mauremys sinensis a las condiciones naturales del nordeste de la península ibérica. Asoc. Herpetol. Esp., 30(1): 159-162.
  • Pottier G. 2016 – Les Reptiles des Pyrénées. Muséum national d’Histoire naturelle, Paris, 352 p. (Patrimoines naturels ; 73).
  • Probst J.-M. & Sanchez M. 2013 – L’Émyde de Chine Mauremys sinensis (Gray, 1834) (Testudines : Geoemydidae), une tortue aquatique naturalisée à La Réunion ? Bulletin Phaethon, 33: 55-56.
  • Sancho V., Lacomba I.V., Bataller J., Verissimo J. & Velo-Anton G. 2020 – First report of hybridization between Mauremys leprosa and Mauremys sinensis highlights the risk of exotic Mauremys pet trade. Basic and Applied Herpetology, 34. DOI: 10.11160/bah.186.
  • Turtle Taxonomy Working Group . 2017 – Turtles of the World: Annotated Checklist and Atlas of Taxonomy, Synonymy, Distribution, and Conservation Status (8th Ed.). Pp. 1-292 in: Rhodin A.G.J. Iverson J.B., van Dijk P.P., Saumure R.A., Buhlmann K.A., Pritchard P.C.H. & Mittermeier R.A. (Eds.). Conservation Biology of Freshwater Turtles and Tortoises: A Compilation Project of the IUCN/SSC Tortoise and Freshwater Turtle Specialist Group. Chelonian Research Monographs 7. DOI: 10.3854/crm.7.checklist.atlas.v8.2017.

 

Illustration, bandeau du haut : Montpellier – Le Lez, secteur Port Marianne, par Fred Romero CC BY SA 2.0 (Flickr)