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Trichonephila clavata : une araignée asiatique en cours d’installation aux Etats-Unis qui fait beaucoup parler d’elle

Introduction

Au fil de vos parcours depuis deux ou trois ans sur internet, peut-être avez-vous eu accès à des informations issues de médias canadiens, étatsuniens ou français sur une araignée exotique en cours d’installation aux Etats-Unis. Je suppose que si cela vous est arrivée, la curiosité a dû vous conduire à en savoir un peu plus sur cette araignée Joro.

Il est vrai que les titres des articles qui la présentaient avaient de quoi attirer l’attention, en voici une dizaine d’exemples avec les liens de connexion, qui ont été publié entre octobre 2021 et avril 2024 :

De quoi inquiéter le public et encore plus les arachnophobes, n'est-ce pas ?

C’est pourquoi il nous a semblé utile de nous intéresser à cette espèce, pour examiner de plus près les raisons de cet emballement médiatique : quelle est donc cette araignée et que savons-nous sur elle dans son nouveau territoire ?

Tout a commencé fin septembre 2014, par la découverte de Wesley Huffmaster d’une grande araignée femelle très colorée, mais non identifiée, dans une toile tissée entre les branches d’un arbre dans un site du comté de Madison, en Géorgie (Etats-Unis). L’identité de l’araignée a été confirmée par examen des structures génitales et en comparant les spécimens avec les images publiées sur Internet pour cette espèce commune dans une grande partie de l’Asie (Hoebeke et al., 2015).

Un communiqué de presse accompagné d’une photo couleur, publié dans un journal local fin octobre, attirant l’attention sur une première détection de cette araignée en Amérique du Nord, a suscité très rapidement diverses observations dans les jours suivants, dont des réactions de citoyens inquiets.

A partir de ces premières observations, de nombreuses autres sont venues progressivement alimenter dans la base iNaturalist les informations sur des localisations de l’espèce.

Quelle est donc cette espèce ?

N.B. : dans l’article de Hoebeke et al. (2015), l’espèce est citée comme appartenant au genre Nephila. Une révision taxonomique réalisée en 2019 et signalée dans le Catalogue mondial des araignées (World Spider Catalog) l’a placée dans le genre Trichonephila, une dénomination qui a été ensuite utilisée dans tous les travaux de recherches.

Description

Les araignées de ce groupe des néphiles sont présentes dans toutes les régions tropicales et subtropicales du monde. Selon le World Spider Catalog (consultation du 16 mai 2024), le genre Trichonephila comprend 26 espèces.

Originaire d’Asie de l’Est, Trichonephila clavata est appelée araignée Joro au Japon (nom japonais : joro-gumo), d’où le nom largement utilisé dans les articles médiatiques. Les femelles de l’espèce arborent un opisthosome (partie postérieure du corps) jaune vif, et des bandes de diverses couleurs sur les faces dorsale, ventrale et les pattes. L’article de Hoebeke et al. (2015) en libre accès en donne une description très complète. Les femelles de T. clavata mesurent de 17 à 30 mm de longueur de corps. Nettement plus petits et moins colorés que les femelles, les mâles mesurent seulement 4 à 8 mm (Figure 1). Seules les femelles fabriquent des toiles.

Au Japon, les jeunes émergent des cocons début juin. Les mâles atteignent la maturité fin août et les femelles en septembre et début octobre. Après l’accouplement, la ponte a lieu de la mi-octobre à novembre, une femelle ne produisant qu’un seul sac d’œufs. Les observations de Hoebeke et al. (2015) en Géorgie ont porté sur des femelles matures de la fin septembre à mi-novembre, avant une baisse significative des températures. La plupart des araignées ont été trouvées sur de grandes toiles tissées à l’extérieur des habitations, près des lampes de porche, sur les terrasses en bois, ou parmi les arbustes et les buissons à fleurs. Ces toiles suspendues entre des arbres ou des structures quelquefois à de grande hauteur peuvent couvrir jusqu’à 1 600 cm² (Chuang et al., 2023).

Figure 1 :  Photos de Trichonephila clavata suspendue dans sa toile dans le nord-est de la Géorgie, prises en octobre 2014. (A) femelle, vue dorsale ; barre d’échelle, 30 mm. (B) femelle, vue latérale. (C) femelle, vue ventrale. (D) mâle, vue dorsale ; barre d’échelle, 5 mm. Les photos A à C ont été prises à Hoschton, Géorgie par Jeremy Howell ; la photo D a été prise à Braselton, Géorgie par BJ Freeman.

Capacités d’adaptation et impacts

Diverses réactions médiatiques et des questions portant sur une éventuelle dangerosité de cette nouvelle arrivante ont rapidement émergé, en particulier en lien avec son installation fréquente dans des paysages urbains. L’espèce peut en effet se trouver à proximité de routes très fréquentées, même soumise ainsi à de fréquentes perturbations, ce qui la rend assez facilement visible. Aussi des recherches ont-elles été mises en place pour examiner plus précisément ses caractéristiques et son comportement.

Davis & Frick (2022) ont examiné et comparé les capacités de survie de T. clavata, cette nouvelle arrivée, avec celles d’une autre espèce du même genre, l’araignée à “soie dorée”, T. clavipes, exotique et originaire des tropiques elle aussi, considérée comme naturalisée dans la région puisque présente depuis plus d’un siècle et demi. Elle n’y a cependant pas étendu son aire de répartition au-delà du sud-est des États-Unis. Ils ont constaté que T. clavata pouvait accomplir son cycle de vie sur de plus courtes périodes, que son métabolisme et son rythme cardiaque étaient nettement plus élevés, comme son taux de survie suite à un bref gel, concluant qu’elle pourrait occuper des régions climatiques plus froides que le sud-est des États-Unis.

Le fait qu’elle s’installe très fréquemment dans des zones urbaines ont conduit Davis & Anareo (2023) à tester le comportement de l’espèce en réaction à des menaces perçues. Il s’agissait d’évaluer les interactions avec ses congénères mais aussi la tolérance aux perturbations anthropiques. Ils ont soumis les deux espèces de Trichonephila introduites et trois espèces indigènes d’araignées également tisserandes à une perturbation (une brève bouffée d’air, “a brief puff of air“) pour mesurer la durée d’immobilité suivant la perturbation. Alors que la plupart des araignées restaient immobiles moins d’une minute, les deux espèces de Trichonephila le restaient pendant plus d’une heure, ce qui pourrait leur permettre de mieux tolérer les environnements urbains. Les auteurs signalent que ce comportement semble sans précédent et notent que les araignées de ce genre sont les plus “timides” jamais documentées (the “shyest” ever documented“) !

Comme T. clavata était observée localement en abondance en construisant le plus grand nombre de toiles, un des objectifs des travaux de Nelsen et al. (2023) a été d’évaluer les effets de la présence de T. clavata sur l’abondance et la diversité des araignées tisseuses indigènes, c’est-à-dire de savoir si les densités de la nouvelle arrivée se faisaient à leur détriment. Ils ont procédé par l’étude de transects dans des endroits accessibles au public, tels que des parcs ou des lisières de forêts le long de routes. De fin aout à début novembre des prospections ont été réalisées dans 103 sites.

19 espèces différentes d’araignées tisseuses ont été observées sur ces transects. Les deux espèces les plus abondantes étaient T. clavata (moyenne de 5 individus par site) et une espèce indigène Micrathena mitrata (moyenne supérieure à 3 individus par site). Par ailleurs, T. clavata a été observée dans 51,5 % des sites et dans la moitié des sites où elle était présente, elle était numériquement dominante. M. mitrata a été trouvée dans 47,6 % des sites. Toutes les autres espèces étaient beaucoup moins abondantes (moins de 2 espèces en moyenne par site).

Ces résultats ont amené Nelsen et al. (2023) à constater une réduction de la diversité des araignées tisseuses indigènes dans les zones où T. clavata est présente. Ils indiquent cependant que cette conclusion doit rester provisoire et que des études ultérieures devront être poursuivies pour préciser ces éventuels impacts. En rappelant que T. clavata est une espèce synanthropique (c’est-à-dire capable d’habiter des écosystèmes urbains ou anthropisés) mais capable aussi de s’installer dans des zones à très faible densité de population humaine, ils notent que cette très large capacité d’adaptation augmente les risques d’impacts sur les communautés indigènes.

Des recherches complémentaires de Davis et al. (2024) ont porté sur le comportement de capture de proies d’individus de T. clavata installés à proximité de diverses routes présentant des conditions de trafic variables (de faible à intense). Ils ont exposé les araignées à une proie simulée (un diapason à une fréquence de 128 Hz, touchant la toile) et noté si elles attaquaient ou non. Sur un total de plus de 350 essais réalisés sur 20 routes différentes, les araignées ont attaqué dans 59 % des cas. La corrélation négative entre le trafic routier quotidien et le taux d’attaque est restée faible mais significative. Ils en ont cependant conclu entre autres éléments que, même si les individus de cette espèce étaient légèrement moins susceptibles d’attaquer des proies à proximité de routes à trafic modéré ou intense, l’espèce pouvait se maintenir dans les paysages urbains, ce qui pouvait favoriser sa propagation ultérieure.

Répartition et dispersion

Le World Spider Catalog signale l’espèce comme étant présente de “l’Inde au Japon” et introduite aux Etats Unis (carte du GBIF).

Des transports intercontinentaux accidentels d’individus ou de masses d’œufs peuvent se produire dans ou sur des conteneurs de marchandises, sur du matériel de pépinière et des plantes en pot, et sur des caisses et des palettes, en particulier avec des expéditions de fruit, ainsi que le signale Nentwig (2015). Ces transports anthropiques pourraient être très efficaces par le déplacement d’au moins une femelle gravide ou de sac d’œufs, ce qui a d’ailleurs probablement permis l’introduction de l’espèce en Amérique du Nord (Hoebeke et al., 2015).

Selon Hoebeke et al. (2015), environ 60 espèces d’araignées non indigènes ont été détectées en Amérique du Nord, la majorité provenant d’Europe et d’Asie, T. clavata étant la plus récemment arrivée.

En octobre 2022, l’aire de répartition de T. clavata s’étendait depuis la Géorgie vers le nord et l’ouest sur au moins 120 000 km², en Caroline du Sud, Caroline du Nord et Tennessee, avec des signalements supplémentaires en Virginie et au Maryland, et en Alabama et Oklahoma (Chuang et al., 2023).

Ils indiquent que, selon le modèle de diffusion observé dans les enregistrements d’iNaturalist au fil du temps, la majeure partie de l’expansion de l’aire de répartition de T. clavata se fait probablement par dispersion “naturelle” aérienne c’est-à-dire par “ballooning“. En effet, de nombreuses espèces d’araignées se dispersent à partir d’individus très jeunes libérant depuis un point élevé, des fils de soie (“les fils de la Vierge”) qui se dévident au vent, leur permettant de parcourir en vol des distances plus ou moins importantes.

N.B. : sur la page Wikipédia consacrée aux araignées une courte vidéo est disponible dans “Les différents types de toiles et de soie” montrant une araignée Xysticus audax émettant des “fils de la vierge”.

Cette possibilité de transport atmosphérique de jeunes individus de l’espèce pourrait par exemple expliquer les faibles différences génétiques entre les populations coréennes et japonaises indigènes, séparées par plus de 100 km (Jung et al., 2006, in Chuang et al.,2023).

Dans l’aire d’introduction américaine, le transport par les activités humaines serait probablement rare mais pourrait représenter des sauts sur de longues distances comme passager clandestin de véhicules de transport le long de corridors ferroviaires ou routiers. Chuang et al. (2023) rappellent un cas confirmé d’une seule T. clavata transportée sur plus de 1000 km jusqu’en Oklahoma. Hoebeke et al. (2015) indiquent qu’une observation locale signalait la présence de l’espèce depuis au moins 4 ans dans une ville abritant de nombreuses entreprises transportant du fret en provenance de l’étranger et que d’autres sites se trouvaient le long d’un corridor routier. Ils notent enfin que d’autres sites de présence de l’espèce se trouvaient sous les vents dominants à une cinquantaine de kilomètres des premières observations et pouvaient correspondre à une dispersion par voie aérienne.

Un autre objectif des travaux de Nelsen et al. (2023) a été de tester plusieurs modèles de distribution des espèces à partir de l’ensemble des données d’observation disponibles sur T. clavata afin de comparer les conditions climatiques de ses aires de répartition indigène et introduite. Après avoir constaté que le climat de l’aire d’origine de T. clavata différait significativement de celui de son aire d’introduction, ils précisent que, selon les modèles de distribution utilisés, les habitats les plus appropriés en Amérique du Nord se trouvent au nord de son aire d’introduction actuelle. Une grande partie du nord-est des États-Unis et du sud du Canada serait ainsi climatiquement adaptée à T. clavata.

Ces prédictions, associées à la capacité de dispersion de l’espèce par “ballooning” déjà signalée, permettent aux auteurs de conclure que son expansion vers le nord va se poursuivre et que, malgré son arrivée récente, des indications existeraient sur le déclin de la biodiversité des araignées indigènes. Ils rappellent que les impacts de T. clavata sur la santé des humains et des animaux domestiques n’ont pas encore été documentés et ils estiment enfin que les impacts écologiques pourraient ne pas être aussi bénins au fur et à mesure de la progression de l’invasion (“their ecological impacts may not be similarly benign as their invasion progresses“).

Figure 2 : Prédictions du modèle de distribution des espèces (SDM) de la répartition adaptée de Trichonephila clavata en Amérique du Nord, basées sur sa distribution native en Asie : (a) Modèle linéaire général, (b) Modèle additif général, (c) Maxent, (d) Random Forest, et (e) Prédiction moyenne des quatre modèles, calculée comme une moyenne pondérée entre les quatre modèles principaux, incluant la zone d’introduction de T. clavata en décembre 2022.

N.B. : si vous souhaitez en savoir un peu plus sur l’araignée Joro, voici une vidéo Six choses…” en français d’environ 6 minutes du 9 mai 2022 sur TVA Nouvelles, Canada, démystifiant les craintes grâce à l’intervention d’un chercheur de l’Insectarium de Montréal. Où vous apprendrez, entre autres informations sérieuses et documentées, une méthode de régulation assez directe de cet arachnide proposée par la journaliste, “un bon coup de pantoufle“, ce qui d’ailleurs ne doit pas être facile ni très efficace pour éliminer une araignée suspendue à une certaine hauteur… .

Traitement publics et médiatiques de l'information

Nelsen et al. (2023) rappellent que la grande taille des individus, leur coloration très vive, leur propension à s’installer aux environs des maisons et l’accroissement très rapide des populations de T. clavata expliquent la grande sensibilisation du public. La base d’informations iNaturalist a également joué un rôle important dans les échanges entre chercheurs, naturalistes et profanes dans l’acquisition de photos, de vérification des identifications et la cartographie de ces populations. Ils précisent qu’en mai 2023 plus de 6700 observations de T. clavata de “qualité recherche” (photographie et identification) étaient disponibles, dont près de la moitié provenait de l’aire de répartition non indigène, l’ensemble de ces observations ayant contribué aux estimations de l’aire actuelle de répartition introduite et de l’aire future possible.

Avec son appel à un journalisme raisonnable (“…a call for reasonable journalism“), l’article de Chuang et al. (2023), se réfère explicitement aux aspects non maîtrisés de cette sensibilisation médiatique du public. Dans le chapitre consacré à “la nécessité d’un journalisme fondé sur des preuves”, en partant du fait qu’une attention médiatique intense peut être à la fois une bénédiction et une malédiction, ils indiquent que près de la moitié des reportages sur les araignées privilégient le sensationnalisme et contiennent des erreurs factuelles, favorisant ainsi la diffusion d’informations erronées. Autant d’occasions gaspillées de diffuser des informations exactes.

En lien avec l’insuffisance des connaissances actuelles sur l’espèce, en particulier sur les prévisions d’expansion d’aire, ils invitent les journalistes et les experts à faire preuve de prudence dans leurs présentations. Il s’agit également des commentaires présentant ces araignées comme des “parachutistes”, discours pouvant contribuer au développement d’une panique. Ils remarquent les risques de développement de la négativité à l’égard de l’ensemble des araignées. En citant certains articles parus début 2022 soulignant les effets bénéfiques potentiels de T. clavata dans les jardins, encourageant le public à les adopter, ils mettent également en garde contre une telle attitude d’accueil. Par ailleurs, l’absence d’effets négatifs actuellement connus sur l’écosystème ne peut être une justification suffisante pour conclure à cette absence d’impacts, faute d’études suffisantes, aussi en appellent-ils à la nécessité d’une approche médiatique mesurée et fondée sur des preuves.

Dans la continuité de ces réflexions sur les limites et les risques d’une communication mal maîtrisée, Deitsch et al. (2024) ont réalisé une analyse sur les possibles biais d’information dans les plateformes de sciences citoyenne en ligne, en l’occurrence ici iNaturalist, qui pouvaient être fondés sur les caractéristiques des organismes. Ils se sont servis de l’exemple de T. clavata, cette araignée de grande taille, très colorée, régulièrement présente en zones urbanisées, la plus fréquemment signalée, y compris par des utilisateurs peu expérimentés, en rappelant que cette fréquence d’indications pouvait suggérer une sous-représentation relative d’espèces plus petites et ternes.

Selon eux, la représentation des espèces dans les ensembles de données scientifiques communautaires est influencée par les caractéristiques des espèces enregistrées, les modèles de comportement de leurs utilisateurs et les interactions entre ces deux facteurs. Dans le cas de T. clavata la sensibilisation du public par la couverture médiatique a également pu jouer un rôle important.

Leur analyse s’est appuyée sur l’ensemble des observations iNaturalist d’aranéides tisseuses de l’est des États-Unis (à l’est du fleuve Mississippi), identifiées au niveau de l’espèce et comportant une photographie, une date, des coordonnées et une identité d’espèce convenue par la communauté, soit environ 118 000 observations réalisées par environ 47 000 utilisateurs uniques. Elle a effectivement porté sur 31 des espèces les plus rapportées avec plus de 250 observations retenues. Leur analyse très complète sur les différents biais identifiables dans les processus de recueil d’informations n’est pas détaillée ici.

Seulement 1,3 % des observations de l’ensemble de données ont été fournies par des utilisateurs n’ayant observé qu’une seule espèce. Parmi elles T. clavata avait le pourcentage le plus élevé de rapports, 7,6 %, alors que les taux de signalement suivant les plus élevés étaient seulement de 2,3 %. Deitsch et al. (2024) notent que l’autre espèce introduite, T. clavipes (d’introduction beaucoup plus ancienne), n’était pas aussi présente dans les données : alors qu’elle est d’une taille un peu plus grande, la densité de ses observations corrigée en fonction de la taille de son aire de répartition était inférieure à la moitié de celle de T. clavata. Ils signalent ici l’effet probable d’une espèce envahissante bien connue pour piquer l’intérêt des membres de la communauté.

Leur publication se termine par des recommandations aux chercheurs pour réduire les biais d’interprétation et “maximiser les avantages de l’utilisation” de la plateforme iNaturalist :

  • Mener des actions de sensibilisation sur des espèces d’intérêt en créant des projets et des articles de journaux, en annonçant de manière précise des besoins de recherche et en partageant des ressources dans le forum de la plateforme.
  • S’engager auprès de la communauté, en particulier auprès des utilisateurs expérimentés, comme contributeurs, en fournissant par exemple des retours sur les identifications et des commentaires sur les traits distinctifs des espèces pour améliorer le nombre des observations valides. Il est noté qu’au moment de la publication, environ 60 % des observations et 75 % des identifications sont effectuées par 1 % des utilisateurs.
  • Télécharger les données des enquêtes dans iNaturalist, en particulier les photographies géolocalisées provenant d’ensembles de données d’enquêtes structurées pour améliorer les capacités d’identification de la plateforme et contribuer à des enregistrements plus précis de la diversité et de la répartition des espèces.

Une démarche à l'échelle mondiale pour améliorer la perception des araignées

En complément de ces publications portant spécifiquement sur le cas de Trichonephila clavata, il parait utile de faire état d’une démarche beaucoup plus large, portant sur l’ensemble des araignées et menée par un ensemble mondial de chercheurs. Il s’agit de deux publications datant de 2022, citées dans les articles de Chuang et al. (2023) et Deitsch et al. (2024), l’une portant sur la création d’une base de données mondiale d’articles de journaux en ligne sur les araignées et les morsures d’araignées (Mammola et al., 2022), l’autre, issue de cette base de données, proposant une analyse de la diffusion mondiale d’informations erronées sur les araignées (Mammola S., Malumbres-Olarte J., Arabesky V., et al. 2022). Ces travaux collectifs réunissant plus de 50 coauteurs nous semblent être une démarche particulièrement importante et pouvant fortement améliorer l’évolution des échanges entre chercheurs, naturalistes, public intéressé et réseaux médiatiques sur ce groupe animal.

La diffusion mondiale d’informations sur les araignées a été analysée à partir de l’examen de plus de 5000 articles de presse en ligne provenant de 81 pays et de 40 langues, publiés entre 2010 et 2024. Il s’agissait de rassembler les interactions araignée-homme recensées, dont les rencontres araignée-homme et morsures.

Les principaux éléments issus de ces deux publications sont les suivants. Le bilan indique que 47 % des articles contenaient des erreurs et que 43 % étaient sensationnalistes, ce sensationnalisme sous-tendant la propagation de la désinformation. La base de données rassemble des informations sur 211 espèces d’araignées identifiées et non identifiées et 2644 rencontres uniques entre l’homme et l’araignée, comportant 147 morsures mortelles sur un total de 1121 morsures recensées.

Les auteurs rappellent le fait que les araignées sont des animaux souvent très craints et que l’arachnophobie est probablement la plus répandue des peurs des animaux tout en étant très variable selon les pays (ils citent une prévalence estimée entre 3,5 et 11,4 % de la population mondiale). Ceci conduit à la diffusion réussie de fausses informations (anecdotes, histoires apocryphes et légendes urbaines…) représentant, selon une estimation récente, une perte économique annuelle d’environ 78 milliards de dollars. De plus, cette désinformation peut influencer diverses décisions sociopolitiques, dont certaines concernant la conservation de la faune sauvage.

 

Des araignées exotiques dans l'hexagone ? Un premier et très court aperçu…

Un catalogue mondial des araignées est disponible, ainsi qu’un catalogue européen soutenu par diverses structures universitaires ou associatives, dont l’Association Française d’Arachnologie (AfsfrA) Une consultation du site de cette association d’arachnologues permet de constater la dynamique et la diversité des actions mises en place dans ce réseau, dans une large gamme depuis l’acquisition de données sur les espèces (identifications, inventaires) à la promotion de la recherche en passant par la formation et la collaboration avec les gestionnaires de site, etc.

L’association édite deux publications, la “Revue Arachnologique“, depuis 2014, et un “Bulletin de l’AfsfrA” depuis fin 2018. Une grande part des articles est en accès libre.

Une courte incursion exploratoire (courant mai) avec le critère “espèce exotique” a permis de repérer deux publications s’y référant.

La première fait état de la découverte de trois espèces nouvelles pour la France (Oger & Van Keer, 2017). Dans cet article, une des trois espèces, Thyene coccineovittata, connue de l’ouest et du sud de l’Afrique, est nouvelle pour l’Europe. Les auteurs considèrent qu’il s’agit d’une introduction accidentelle en notant qu’à proximité du site de découverte se trouve un entrepôt appartenant à une société de logistique aux implantations multiples, dont certaines en Afrique. Ils précisent qu’il conviendra de vérifier son implantation lors de prochaines prospections.

La deuxième publication de Déjean & Verhoogt (2022) présente la découverte en Occitanie d’une espèce d’araignée d’origine américaine en cours d’installation dans l’hexagone. Les auteurs font part d’observations grandissantes depuis 2018 d’Erigone dentosa générant un peu d’inquiétude quant à cette colonisation rapide. Dans le nord de l’Europe, l’espèce, qui ne mesure que 2-3 mm, a été observée essentiellement dans des jardins, jardineries ou serres, pouvant correspondre à des transports de plantes en pot par les filières horticoles. Les auteurs précisent que leurs observations montrent clairement que l’espèce est désormais établie dans l’hexagone, y compris dans des milieux naturels humides en zone de montagne et de plaine, montrant donc une capacité d’adaptation à diverses conditions écologiques. En rappelant deux autres exemples d’espèces d’araignées exotiques en expansion, ils concluent en indiquant l’intérêt d’études à mener sur la concurrence qu’elles peuvent exercer sur les populations locales.

Commentaire final

L’objectif originel de cet article était de présenter un exemple d’espèce exotique dite envahissante appartenant à un des groupes d’animaux auxquels le Centre de Ressources EEE n’avait jusqu’à présent accordé qu’une attention assez distante. Avec toutes les réactions médiatiques identifiées présentant “une invasion, un assaut par des araignées massives, menaçantes, voire terrifiantes, mais gentilles” (termes tous inappropriés !), la recherche et l’examen des publications scientifiques sur cette espèce dans le contexte géographique de son installation et de son début d’expansion avait bien montré l’intérêt démonstratif qui pouvait émaner d’un article faisant un point sur les connaissances scientifiques disponibles sur elle.

Les publications de Hoebeke et al. (2015), de Davis & Frick (2022), Davis & Anareo (2023), Davis et al. (2024) et de Nelsen et al. (2023) apportaient des éléments d’informations tout à fait utilisables dans l’objectif de cette rédaction.

La publication de Chuang et al. (2023) contribuait également à cette compilation de connaissances mais l’insertion d’un chapitre portant “appel à un journalisme raisonnable” a amené à élargir la thématique de l’article vers des aspects de communication, de représentation des EEE dans les échanges entre recherche, gestion et grand public. Il s’agit bien d’un domaine où le Centre de Ressources peut et doit exercer son rôle de transmetteur d’informations et de réflexions : cet exemple d’araignée y devenait une carte à jouer…

C’est pourquoi, passé un bilan synthétique des connaissances sur l’écologie de l’espèce dans son aire d’introduction et sur les prévisions d’expansion, l’attention s’est portée sur les analyses et propositions de Chuang et al. (2023) puis de Deitsch et al. (2024) à propos de la compréhension des causes de diffusion d’informations erronées sur les espèces exotiques soi-disant envahissantes et des besoins d’améliorations de la qualité des informations à fournir au grand public. Cet exemple est bien sûr tout à fait particulier mais il semble cependant pouvoir être une source de réflexions à propos d’autres espèces et d’autres situations.

Rédaction : Alain Dutartre (expert indépendant)
Relecture : Christine ROLLARD (enseignante-chercheuse, UMR 7205 (MNHN – CNRS – SU – EPHE–PSL – UA)

Références

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Davis A.K., Anerao A. 2023. Startle responses of jorō spiders (Trichonephila clavata) to artificial disturbance. Arthropoda,60–67.

Davis A.K., Stewart K., Phelan C., Schultz A. 2024. How Urban-Tolerant Are They? Testing Prey–Capture Behavior of Introduced Jorō Spiders (Trichonephila clavata) Next to Busy Roads. Arthropoda, 2, 55–65. https://doi.org/10.3390/

Deitsch J., Chuang A., Nelsen D., Sitvarin, M.I., Coyle, D.R. 2024. Quantifying How Natural History Traits Contribute to Bias in Community Science Engagement: A Case Study Using Orbweaver Spiders. Citizen Science: Theory and Practice, 2024-04-24

Hoebeke ER, Huffmaster W, Freeman BJ. 2015. Nephila clavata L Koch, the Joro Spider of East Asia, newly recorded from North America (Araneae: Nephilidae). PeerJ 3: e763. https://doi.org/10.7717/peerj.763

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Mammola S., Malumbres-Olarte J., Arabesky V., et al. 2022. The global spread of misinformation on spiders. Curr Biol 32: R71–R873. https:// doi. org/ 10. 1016/j. cub. 2022. 07. 026

Nelsen D.R., Corbit A.G., Chuang A., Deitsch J.F., Sitvarin M.I., Coyle D.R.2023. Veni, vidi, vici? Future spread and ecological impacts of a rapidly expanding invasive predator population. Ecol. Evol., 13, e10728.

Nentwig W. 2015. Introduction, establishment rate, pathways and impact of spiders alien to Europe. Biological Invasions, 17, 2757–2778. https://link.springer.com/article/10.1007/s10530-015-0912-5

Crédits de la photo en bandeau : Masaki Ikeda