Cette plante aquatique vivace herbacée est assez facile à identifier avec ses nombreuses feuilles, organisées en rosettes, lancéolées, raides et assez épaisses, dentées-épineuses (d’où son nom français), pouvant atteindre 40 cm de longueur. La plante est émergée durant le courant de l’été; immergée en hiver et au printemps, particularité écologique assez surprenante (voir par exemple le diagramme de Renman, 1989).
La floraison a lieu en début d’été et ses fleurs blanches solitaires mesurent de 30 à 40 mm de diamètre.
Sa reproduction est surtout végétative, de nouvelles rosettes de feuille pouvant se développer à l’extrémité de stolons issus de la base des pieds “mères”.
Dans les biotopes favorables (absence de courant, pleine lumière, faible profondeur, réchauffement estival des eaux), la plante peut se développer en herbiers très denses pouvant coloniser en été toute la surface des eaux.
Selon l’INPN, cette espèce en France est “indigène ou indéterminée”. Elle est considérée par l’UICN comme introduite en France.
Dans la liste rouge des espèces menacées de l’UICN, sa situation est classée comme non préoccupante car cette espèce est très répandue avec de nombreuses populations apparemment stables. Elle est toutefois notée comme disparue en Italie, vulnérable en Croatie et en Suisse, quasi menacée en Hongrie et en voie de disparition en République Tchèque.
Elle est considérée comme naturalisée en métropole et sa relative rareté a conduit à ce qu’elle soit protégée dans plusieurs régions du Nord et de l’Ouest (Bourgogne, Champagne-Ardenne, Franche-Comté, Haute-Normandie, Île-de-France, Nord-Pas-de-Calais, Poitou-Charentes, Rhône-Alpes).
En métropole, elle ne présente généralement pas de dynamique notable d’extension. Toutefois, sa colonisation importante dans une mare de Normandie menaçant des espèces protégées a récemment conduit à une intervention d’extraction.
Un second cas, beaucoup plus préoccupant, est en cours d’évaluation pour définir une gestion efficace d’une prolifération de cette espèce dans deux plans d’eau lorrains proches de Sarrebourg gérés par Voies Navigables de France pour l’alimentation en eau du réseau de canaux de la région. La plante a été observée en 2008 dans l’étang du Stock et a fait l’objet d’une première campagne générale d’observation sur ce plan d’eau en 2011. Comme sa colonisation croissante a causé des nuisances importantes pour les usagers des plans d’eau, particulièrement pour la navigation de plaisance et la pêche, une étude a été commandée en 2015 par VNF au bureau d’étude ECOLOR pour évaluer les caractéristiques et l’ampleur de la colonisation, et les moyens de la gérer. Cette étude bénéficie d’une aide financière de l’Agence de l’Eau Rhin-Meuse.
Un premier rapport faisant le point sur la colonisation de deux plans d’eau (Stock et Gondrexange) par l’aloès d’eau et l’élodée de Nuttal, espèce invasive déjà connue en Lorraine, a été remis à VNF en 2015. Il présente des cartes de répartition très précises de l’espèce et comporte des éléments de description et de quantification de sa colonisation : par exemple, profondeur maximale d’implantation de 2,3 m, plus de 6 ha colonisés dans le secteur de Gondrexange, plus de 20 ha dans l’étang du Stock.
A la suite de ce rapport, une fiche d’information destinée aux élus et aux usagers a été rédigée début 2016 et diffusée depuis par VNF : elle comporte des éléments de description de la plante, un bilan de la colonisation, un aperçu des possibilités de gestion et quelques prescriptions pour les usagers.
Le développement tout à fait exceptionnel de cette espèce dans ces sites nous a conduits à rechercher des informations complémentaires sur Internet et auprès de différents chercheurs européens travaillant sur les questions de gestion des plantes aquatiques.
Ces premières recherches ont permis de rassembler des documents sur l’écologie de l’espèce en Allemagne (ou l’espèce est protégée), en Slovaquie, Pologne, Lituanie, Suède, Serbie, Russie et Irlande du Nord.
Pour l’Europe, les chercheurs contactés ont signalé quelques interventions d’enlèvement mécanique (Pays-Bas, Grande-Bretagne), des extensions en cours dans quelques sites, sans intervention de gestion (Grande-Bretagne, Irlande). Enfin, un ensemble d’interventions comportant des enlèvements mécaniques et manuels et l’application d’herbicides, ont été entrepris sur la Trent River dans l’état d’Ontario, sur une importante colonisation par l’aloès d’eau, espèce considérée comme invasive au Canada.
Le développement 2016 de l’espèce présente des différences importantes dans certains des sites colonisés en 2015 : si les secteurs n’ayant pas présenté de variations de niveaux des eaux au cours de l’hiver 2015 – 2016 et du printemps 2016 (c’est-à-dire des sites non directement en connexion directe avec les plans d’eau, c’est-à-dire “cornées” et contre-fossés) sont colonisés avec la même densité, il n’en est pas de même pour l’étang du Stock où la plante a apparemment fortement régressé cette année. Selon les observations récentes de Bruno Dhirson de VNF (Unité Territoriale du Canal de la Marne au Rhin, DT de Strasbourg), elle est toujours présente sous les eaux dans les zones de faibles profondeurs du plan d’eau mais en densité beaucoup moins importante.
Un second rapport présentant les informations recueillies lors de la campagne de terrain de 2016 devrait être prochainement remis à VNF.
Par ailleurs, une première expérimentation d’enlèvement manuel de l’espèce a été réalisée durant l’été sous l’égide du Parc Naturel de Lorraine, dans le cadre de Natura 2000. Le chantier d’une journée a réuni une dizaine de personnes (Association de Pêche locale, agents du PNR, membres du bureau d’étude ECOLOR). Il a eu lieu dans la cornée de Ketzing, une des zones déconnectées des étangs où le développement de S. aloides est resté très important. Cette première tentative d’intervention a permis de vérifier les possibilités d’enlèvement manuel de cette plante lorsqu’elle est situation émergée mais a montré les limites de travaux menés en waders dans ce type de milieu. Elle a aussi permis d’observer les modalités de dégradation de la plante une fois hors d’eau et de recolonisation du site après enlèvement. D’autres expérimentations sont envisagées avec en particulier l’utilisation d’embarcations permettant à la fois le déplacement des intervenants et le transport vers la rive des plantes retirées des eaux.
Sans préjuger de l’évolution de la situation, des compléments d’analyses du fonctionnement des sites et des paramètres environnementaux contrôlant le développement de l’aloès d’eau semblent nécessaires pour mettre en œuvre des mesures de gestion appropriées.
Bruno Dhirson (VNF), Alain Dutartre (GT IBMA), Laure Lebraud (PNRL)
En savoir plus :
https://inpn.mnhn.fr/espece/cd_nom/125219