Signalement d’Halophila stipulacea au large du port de Cannes

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Une équipe de plongeurs vient de découvrir un herbier de Halophila stipulacea au large du port de Cannes. Arrivée en Méditerranée par le canal de Suez, cette espèce originaire de la mer Rouge, du golfe Persique et de l’océan Indien, a été signalée en Grèce dès 1894. Sa présence sur nos côtes représente un saut de 340 km au nord par rapport à Razza di Juncu (Sardaigne), où H. stipulacea est signalée depuis 2018, faisant ainsi de ce signalement ainsi la localité la plus septentrionale de l’espèce en méditerranée.

Halophila stipulacea (Forsskål) Ascherson (Hydrocharitaceae) est une plante marine originaire des eaux tropicales et subtropicales de la mer Rouge, du golfe Persique et de l’océan Indien. Elle est considérée comme une espèce exotique (ou espèce non indigène, ENI) envahissante en Méditerranée (Boudouresque et Verlaque, 2002) où elle s’est répandue très rapidement en arrivant par le canal de Suez dès la fin du XIXe siècle. Également identifiée comme une EEE dans la Mer des Caraïbes, les îles des Antilles françaises sont toutes concernées par la propagation de cette espèce (voir encadré ci-dessous). Les herbiers de H. stipulacea se développent sur divers substrats, dans une large gamme de salinité et de température.

Herbier de Halophila stipulacea à Saint-Martin © J. Chalifour

Halophila stipulacea a été observée pour la première fois en Martinique en 2006, puis signalée à Saint-Martin et en Guadeloupe en 2011. Elle est également présente à Saint-Barthélemy. Son introduction dans la Caraïbe serait liée aux navires de plaisance venant d’abord de Méditerranée, puis naviguant entre les îles des Antilles disséminant ainsi des fragments de cette plante capable de se reproduire de manière végétative. L’espèce s’installe particulièrement sur des zones sableuses et celles occupées par des herbiers indigènes à Syringodium filiforme et Halophila baillonis, qu’elle a en grande partie remplacés en Guadeloupe. L’espèce entre également en compétition avec les herbiers à Thalassia testudinum, bien que ces derniers semblent plus résistants à l’invasion. En raison de la fragilité de l’ancrage racinaire d’H. stipulacea, il est probable que lors d’épisodes cycloniques une grande part de ces herbiers soient arrachés par la houle, ce qui perturberait les communautés faunistiques et floristiques qui y sont associées tout en permettant à l’espèce de se disperser.

Pour en savoir plus sur ses enjeux en outre-mer  : Espèces exotiques envahissantes marines : risques et défis pour les écosystèmes marins et littoraux des collectivités françaises d’outre-mer. État des lieux et recommandations. 2019. Comité français de l’UICN, Paris, France. 100 pages.

Une nouvelle donnée pour la France

En métropole, un premier herbier de H. stipulacea a été observé sur la côte d’Azur en juin 2021 (fig. 1) par des plongeurs de la société Andromède océanologie lors d’une mission de terrain menée dans le cadre de la directive cadre sur l’eau et de la directive cadre stratégie pour le milieu marin. L’analyse des échantillons par des chercheurs de l’Institut méditerranéen d’océanologie de Marseille a confirmé l’identification de l’espèce et une communication a ensuite été publiée dans le journal Aquatic Botany (Thibaut et al., 2022).

Couvrant une surface de 16,5 ha, la population est présente en association avec Caulerpa cylindracea, sur des fonds de matte morte d’herbier de Posidonie (enchevêtrement compact de rhizomes et de racines, plus ou moins couverts de sédiment), entre 11 et 17 m de profondeur.

Figure 1 : Dans la zone où l’espèce a été observée, la matte morte domine et un réseau dense de traces d’ancrage est visible. D’après Thibaut et al., 2022.

Biologie, dispersion et impacts

Comme visible sur la Figure 2, Les feuilles d’H. stipulacea sont regroupées par paires sur de courts rameaux. Étroites et allongées, les feuilles mesurent de 3 à 6 cm de long sur 0,25 à 0,8 cm de large et possèdent une nervure médiane et des nervures latérales. Le sommet des feuilles est arrondi et leurs bordures finement dentelées. Le limbe des feuilles est parfois duveteux, les pétioles mesurent 0,5 à 1,5 cm de long. Les rameaux foliaires possédant à leur base deux écailles formant une gaine, s’insèrent sur le rhizome à chaque entrenœud. Le rhizome, d’environ 0,5 à 2 mm de diamètre, comprend également une racine à chaque entrenœud (Le Moa, 2015).

Figure 2 : Rameau d’Halophila stipulacea © Andromède Océanologie, 2021

Différentes des algues, ces phanérogames marines sont des plantes à fleurs (angiosperme). Chez H. stipulacea, les plantes mâles et femelles sont distinctes (plante dioïque) et produisent des fleurs solitaires sur chaque nœud foliaire. Une surreprésentation des fleurs mâles a été observée sur la côte Ouest italienne (Gambi et al., 2009) et la production de fruit n’a été observée que deux fois à l’Est de la Méditerranée (Lipkin, 1975 ; Gerakaris et Tsiamis, 2015).

Quadrat d’Halophila stipulacea © Andromède Océanologie, 2021

À Cannes, aucun indice de reproduction sexuée n’a pour l’instant été constatée (Thibaut et al., 2022).

Contrairement à l’aire de répartition naturelle de H. stipulacea où se produisent à la fois reproduction sexuée et multiplication végétative, seul ce second mode semble être dominant dans son aire d’introduction (Malm, 2006 ; Chiquillo et al., 2019 ; Nguyen et al., 2018).

La présence d’un réseau dense de traces d’ancrage des bateaux laisse supposer que son introduction est liée au mouillage des bateaux de plaisance dans la baie de Cannes, un lieu très fréquenté par les touristes.

L’importance de la superficie colonisée par l’espèce laisse supposer que l’introduction est antérieure à 2021, ce qui implique que H. stipulacea ait résisté aux conditions hivernales du site.

En raison de sa capacité à s’étendre rapidement et à supporter différents types de conditions environnementales, cette espèce représente une menace potentielle pour la biodiversité locale et régionale. En Guadeloupe, l’espèce est très compétitive vis-à-vis de Syringodium filiforme et des autres espèces d’Halophila indigènes au point d’entraîner la disparition de ces herbiers, autrefois dominants, lorsqu’elles rentrent en contact avec ces derniers (Bouchon et al., 2015). Ses impacts environnementaux restent cependant à étudier sur les côtes méditerranéennes.

Une augmentation des introductions marines

Après le Crabe bleu, les poissons lapin (Siganus rivulatus et Siganus luridus), , l’algue brune, Rugulopteryx okamurae, cette nouvelle découverte démontre que la métropole n’est pas épargnée par les invasions biologiques marines, et nul doute que de nouvelles espèces devraient arriver sur nos côtés dans un contexte d’intensification des transports maritimes, des activités touristiques, de la navigation de plaisance et de réchauffement climatique.

Pour faire face, la règlementation en matière d’introduction d’espèces exotiques doit poursuivre son renforcement. À l’échelle européenne, seules deux ENI marines sont à ce jour visées par le Règlement (UE) 1143/2014 : Plotosus lineatus et Eriocheir sinensis. Une prochaine mise à jour de cette liste, prévue pour la fin de l’année, devrait permettre l’inscription de 4 nouvelles ENI (voir notre article à ce sujet). À l’échelle de la France, une proposition d’ajout de 14 nouveaux taxons à la règlementation nationale a été faite par Pisanu et al. Si à l’époque, H. stipulacea n’était alors pas inclue dans la liste des 69 espèces exotiques préalablement sélectionnées pour cette priorisation, il conviendrait de surveiller de près cette nouvelle venue et de la reconsidérer pour une prochaine analyse de risque en vue de son inscription dans une liste règlementée, à l’échelle européenne ou métropolitaine.

Faute de connaissances et d’expérimentations de méthodes de régulation, peu de leviers d’action sont actuellement disponibles pour contrôler l’expansion de cette espèce, dont la dynamique de reproduction et d’installation n’est pas connue sur nos côtes. Aucune mesure de gestion spécifique n’est actuellement déployée en France métropolitaine ou dans les pays européens concernés. Aux Antilles, les superficies concernées sont désormais trop importantes pour envisager des opérations d’arrachages qui pourraient par ailleurs amplifier le risque de propagation.

Pour éviter toute dispersion accidentelle de cette espèce sur nos façades maritimes, il convient d’exercer une vigilance particulière en mobilisant l’ensemble des acteurs de la mer et de rappeler les gestes de biosécurité nautique, seuls à même d’assurer une prévention efficace : inspecter, nettoyer et sécher les équipements entre chaque sortie en mer.

 

Signaler une observation ?

Les observations de cette espèce peuvent être signalées sur les programmes participatifs BIOLIT (action : nouveaux arrivants) et INPN Espèce, en transmettant une photo accompagnée du lieu, de la date et de la profondeur de l’observation.

 

Rédaction : Madeleine Freudenreich, Comité français de l’UICN

Relecture : Emmanuelle Sarat, Clara Singh et Yohann Soubeyran (Comité français de l’UICN), Cécile Massé (UMS PatriNat) et Alain Dutartre (expert indépendant)

 

Pour en savoir plus :

Référence principale :

Thibaut, T., Blanfuné, A., Boudouresque, C. F., Holon, F., Agel, N., Descamps, P., … & Verlaque, M. (2022). Distribution of the seagrass Halophila stipulacea: A big jump to the northwestern Mediterranean Sea. Aquatic Botany, 176, 103465.

Références citées :

  • Bouchon, C. Mellinger, J. et Bouchon-Navaro, Y., 2015. Halophila stipulacea : une espèce invasive de Phanérogame marine dans les Antilles. UMR BOREA, DYNECAR, Labex CORAIL, Université des Antilles. Pointe-à-Pitre, Guadeloupe, France
  • Boudouresque, C. F., Verlaque, M., 2002. Biological pollution in the Mediterranean Sea: invasive versus introduced macrophytes. Marine Pollution Bulletin, 44(1), 32-38. https://doi.org/10.1016/S0025-326X(01)00150-3
  • Chiquillo, K.L., Barber, P.H., Willette, D.A., 2019. Fruits and flowers of the invasive seagrass Halophila stipulacea in the Caribbean Sea. Bot. Mar. 62 (2), 109–112.
  • Gambi, M.C., Barbieri, F., Bianchi, C.N., 2009. New record of the alien seagrass Halophila stipulacea (Hydrocharitaceae) in the western Mediterranean: a further clue to changing Mediterranean Sea biogeography. Biodivers. Rec. 2, e84. https://doi.org/10.1017/S175526720900058X
  • Gerakaris, V., Tsiamis, K., 2015. Sexual reproduction of the Lessepsian seagrass Halophila stipulacea in the Mediterranean Sea. Bot. Mar. 58 (1), 51–53. https://doi.org/10.1515/bot-2014-0091
  • Le Moal, M., 2015. Halophila stipulacea. Fiche descriptive. Inventaire national du patrimoine naturel. UMS 2006 Patrimoine Naturel. Agence française pour la biodiversité. Centre national de la recherche scientifique. Muséum national d’Histoire naturelle. En ligne : https://inpn.mnhn.fr/espece/cd_nom/368620/tab/fiche
  • Lipkin, Y., 1975. Halophila stipulacea, a review of a successful immigration. Bot. 1, 203–215. https://doi.org/10.1016/0304-3770(75)90023-6.
  • Malm, T., 2006. Reproduction and recruitment of the seagrass Halophila stipulacea. Bot. 85 (4), 345–349.
  • Nguyen, H.M., Kleitou, P., Kletou, D., Sapir, Y., Winters, G., 2018. Differences in flowering sex ratios between native and invasive populations of the seagrass Halophila stipulacea. Mar. 61 (4), 337–342. https://doi.org/10.1515/bot-2018-0015.
  • Pisanu B, Massé C, Thévenot J, Bachelet G, Bierne N, Curd A, Guérin L, Gouillieux B, Labrune C, de Montaudouin X, Nowaczyk A, Pezy JP, Raybaud V, Viard F, Vincent D, Souquière A. 2020. Proposition d’espèces non indigènes pour les façades maritimes du territoire métropolitain à soumettre à réglementation. Note technique, non publiée. UMS Patrimoine Naturel, 18p.
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