La Stratégie nationale relative aux espèces exotiques envahissantes, parue en mars 2017, est dans sa deuxième année de mise en œuvre. Elle est dotée d’un plan d’action opérationnel qui comprend les actions dont la mise en place est exigée par la réglementation européenne (par exemple, la surveillance, les mesures de gestion et la limitation des flux d’introduction), ainsi que celles qui déterminent le cadre d’action général (gouvernance, communication, liste d’espèces réglementées, centre de ressources et accompagnement des acteurs). La plupart de ces actions sont en cours d’élaboration, certaines sont en voie d’achèvement. Au niveau national, le comité de pilotage, regroupant toutes les administrations centrales et têtes de réseaux d’acteurs mobilisées sur la problématique, permet d’échanger de manière régulière et fluide les informations nécessaires à la mise en œuvre de la politique ; en parallèle, le Centre de ressources sur les espèces exotiques envahissantes et son réseau national d’acteurs créent des passerelles avec les échelles territoriales, là où doivent s’effectuer les interventions de gestion et de prévention.
Une stratégie à vocation généraliste
En complément de la réglementation générale sur les espèces exotiques envahissantes, éparpillée dans différentes parties du Code de l’environnement (propagation des EEE, espèces nuisibles, faune sauvage captive, etc.), du Code rural et de la pêche maritime (dangers sanitaires), du Code de la santé publique (espèces nuisibles à la santé humaine), il importe de mettre en relation et de coordonner, et ce à différents niveaux géographiques et administratifs, les acteurs travaillant sur la problématique des EEE. Face à la progression constante des EEE, tant en terme de nouvelles introductions que de colonisation de nouveaux territoires par celles déjà implantées, les moyens humains et financiers sont notoirement insuffisants. Pour renforcer et structurer l’action collective concernant la prévention et la gestion des invasions biologiques, il est nécessaire de passer d’une logique de collection d’interventions parfois non coordonnées sur un territoire à une réflexion plus globale et concertée, permettant de mieux identifier les espaces et les espèces prioritaires sur lesquels agir. C’est dans ce contexte que s’inscrit la stratégie nationale sur les EEE, qui a vocation à être déclinée à différents niveaux géographiques.
Publiée en mars 2017, son élaboration s’est inscrite dans le cadre de la stratégie nationale pour la biodiversité 2011-2020 et a fait suite aux premières assises nationales sur les espèces exotiques envahissantes organisées par le Comité français de l’UICN et ses partenaires en septembre 2014.
Comme toute stratégie, elle mêle actions à court, moyen et long terme ; elle n’est pas directement opérationnelle en ce sens qu’elle n’identifie pas les acteurs concernés ni le déroulement précis des opérations à mener mais elle propose un cadre d’action structurant l’action collective sur ces enjeux. Organisée en cinq axes thématiques et douze objectifs, elle identifie 38 actions concernant la prévention, la maîtrise des espèces déjà établies, la restauration écologique, la réglementation, le développement des connaissances, la formation et la sensibilisation de toutes les parties prenantes.
Coordonnée par le ministère de la Transition écologique et solidaire, elle s’appuie sur un comité de pilotage réunissant différents organismes : les principaux opérateurs du ministère (ONCFS, AFB, MNHN, ONF, CEREMA), mais également des gestionnaires d’espaces protégés (parcs naturels régionaux, Fédération des conservatoires d’espaces naturels), des ONG (dont le Comité français de l’UICN), les administrations et acteurs concernés par les problématiques d’impacts économiques et sanitaires (le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, le ministère des Solidarités et de la Santé, le réseau des FREDON, l’ANSES).
Cette stratégie doit appliquer les actions imposées aux Etats membres par le règlement communautaire de 2014 , à savoir la mise en place de mesures d’éradication pour les espèces émergentes et de contrôle des fronts de propagation pour celles qui sont largement répandues ; l’identification des principales voies d’introduction et la mise en place de mesures afférentes pour limiter voire stopper les flux d’introduction ; la mise en place d’un système de surveillance, l’établissement de listes d’EEE réglementées au niveau des régions ultrapériphériques, etc.
Règlement (UE) n°1143/2014 du parlement européen et du conseil du 22 octobre 2014 relatif à la prévention et à la gestion de l’introduction et de la propagation des espèces exotiques envahissantes
Elle intègre ces actions dans un cadre plus vaste dont notamment celui de l’animation du réseau d’acteurs et de la communication. En effet, la nécessité d’une gestion active des EEE reste dans un certain nombre de cas encore mal identifiée, et ce pour plusieurs raisons, en lien direct avec des questions de perception et d’acceptation sociale.
En premier lieu, les notions « d’espèce exotique » et « d’espèce indigène » ne sont pas forcément suffisamment bien expliquées et la discrimination entre les deux mérite d’être mieux comprise par le grand public, d’autant plus qu’elle continue de susciter des débats au sein de la communauté scientifique. Ajoutons à cela que la gestion de certaines espèces animales exotiques possédant un certain capital de sympathie auprès du public (surtout parmi les mammifères et oiseaux) sont susceptibles d’être mal acceptées par l’opinion et soulèvent des questions éthiques également en débat.
En second lieu, dans le cas où l’impact des EEE concerne principalement la biodiversité, sans avoir de conséquences négatives immédiates et ressenties sur les activités économiques (agriculture, tourisme, usages du milieu, etc.), les actions de gestion deviennent plus difficiles à financer.
La stratégie a ainsi pour objet de sensibiliser l’ensemble des acteurs, notamment les financeurs potentiels des actions de gestion, sur les multiples enjeux des invasions biologiques et leur importance effective à l’échelle de la société, et de permettre l’organisation d’une trame d’interventions au niveau local en fédérant les différents acteurs concernés par la problématique (services de l’Etat et des collectivités, établissements publics, gestionnaires d’espaces, usagers du milieu naturel, ONG, organismes à vocation sanitaire, acteurs socio-professionnels, etc.).
Deux ans après sa parution, où en est-on ?
La stratégie a été accompagnée par un plan d’action opérationnel, rédigé en 2017 et comportant une quinzaine d’actions prioritaires. Ce plan reprend les mesures exigées par le règlement européen EEE, et les complète par des actions déterminantes, telle que l’élaboration de listes d’espèces qui seront réglementées au niveau national, la création d’un Centre national de ressources sur les EEE, l’organisation de formations, la production de supports de communication, et la mise en place d’une gouvernance au niveau national et régional.
Les listes d’espèces prioritaires, ainsi que les méthodologies associées, sont en cours d’élaboration au sein de l’UMS PatriNat (unité mixte MNHN/AFB) et l’AFB/PCCBN (Pôle de coordination des conservatoires botaniques nationaux) respectivement pour la faune et la flore. Le prochain complément de la liste d’espèces réglementées au niveau européen devrait paraître début juillet 2019. A l’échelle de la France métropolitaine, des espèces supplémentaires devraient être proposées pour être réglementées, en s’appuyant sur ce travail de hiérarchisation.
La mise au point du système de surveillance dédié aux EEE a fait l’objet d’une étude préliminaire par l’UMS PatriNat, cartographiant acteurs impliqués et taxons concernés. De fait, certains territoires ne possèdent pas encore de réseau organisé de surveillance, des situations qu’il conviendra de résoudre. Le système de surveillance EEE proprement dit sera basé sur les systèmes de remontées d’observations déjà existants (INPN / SINP).
L’identification des voies d’introduction prioritaires a été réalisée par l’AFB/PCCBN, via un crible des espèces présentes au regard de la classification des différentes voies d’introduction proposées par la CDB . 12 voies prioritaires (sur les 44 que compte la nomenclature) sont concernées ; en premier lieu le transport de spécimens vivants ou propagules en tant que passagers clandestins, la fuite de lieux de confinement, et la dispersion naturelle. Le travail se poursuit avec la rédaction de plans d’actions spécifiques pour limiter ces flux.
Les voies d’introduction des espèces envahissantes, leur classement par ordre de priorité et leur gestion (UNEP/CBD/SBSTTA/18/9/Add.1 – 26 juin 2014)
Concernant les mesures de gestion, l’AFB (PCCBN) travaille en collaboration avec l’ANSES sur l’élaboration de stratégies nationales de gestion sur les espèces végétales les plus largement répandues. Sept espèces disposeront prochainement d’une stratégie nationale de gestion : Berce du Caucase, Balsamine de l’Himalaya, Jussies (Ludwigia peploides et L. grandiflora), Elodée de Nuttall, Myriophylle du Brésil et le Baccharis à feuilles d’arroche). Pour les espèces animales largement répandues, l’élaboration de ces stratégies de gestion sera répartie entre l’AFB/DRED (crustacés / poissons), l’ONCFS et l’UMS PatriNat (Tortue de Floride), le MNHN (Frelon asiatique), le réseau des FREDON (Ragondin et Rat musqué). Un gabarit commun à ces stratégies a été défini par l’AFB.
Des plaquettes de communication généralistes, reprenant la réglementation, et à destination des particuliers détenteurs d’animaux de compagnie, des établissements de recherche et de conservation (parcs zoologiques, jardins botaniques), et des établissements à vocation commerciale (éleveurs, animaleries, jardineries, entreprises de transformation …) ont été réalisées par l’AFB et l’ONCFS. Elles sont en cours de diffusion, notamment via le réseau des praticiens vétérinaires.
Le Centre de ressources sur les EEE, copiloté par le Comité français de l’UICN et l’AFB, a été inauguré en décembre 2018. Son objectif principal est d’améliorer l’efficacité des démarches de prévention et de gestion des invasions biologiques et d’accompagner les politiques nationales sur le sujet, notamment la stratégie nationale relative aux EEE. Il capitalise les acquis et le savoir-faire de l’ancien groupe de travail national « Invasions biologiques en milieux aquatiques » (GT IBMA), devenu réseau d’expertise scientifique et technique du Centre de ressources. Ce dispositif collaboratif cible toutes les espèces de faune et de flore des écosystèmes marins, dulçaquicoles et terrestres, couvre la métropole et l’ensemble des collectivités françaises d’outre-mer et s’adresse à tous les acteurs concernés par le sujet, en ciblant prioritairement les acteurs professionnels et les gestionnaires de la biodiversité.
En matière de formation, le Centre de ressources dresse actuellement un bilan des formations existantes en métropole et en outre-mer. Il s’agit tout d’abord de valoriser et de mieux communiquer sur l’offre de formation déjà disponible dans les territoires, avec comme objectif final la proposition d’une offre de formation nationale coordonnée par l’AFB, complémentaire à l’offre déjà disponible. Une enquête nationale sur les besoins de formation sera prochainement diffusée et une première session de formation proposée à l’automne 2019.
Enfin, en termes de gouvernance, il convient d’accompagner la mise en réseau et la structuration des actions et des acteurs sur la thématique des EEE dans certaines régions administratives. Au regard des expériences positives d’animation territoriale fédératrice réalisées par les conservatoires d’espaces naturels en Pays de la Loire, Auvergne-Rhône-Alpes, Centre-Val de Loire et Normandie, ainsi que de leurs compétences en terme de gestion des milieux, il est proposé de renforcer et d’encourager le rôle d’animation territoriale sur les EEE des CEN dans les territoires encore dépourvus d’animation régionale, et par voie de conséquence de leur fédération (FCEN).
Afin de ne pas mettre en sommeil les autres actions, la prochaine réunion du comité de pilotage s’attachera à passer en revue l’ensemble des 38 actions prévues par la stratégie nationale et d’identifier celles qui nécessitent un prochain démarrage au regard de l’avancement global de la stratégie. Il importe également de bien articuler cette dernière avec les autres outils existants au niveau national, à savoir le Plan Biodiversité et la Stratégie Nationale Biodiversité, et à l’échelle territoriale, certaines régions ou territoires disposant d’ores et déjà de stratégies ou de réseaux de surveillance sur les EEE.
Rédaction : François Delaquaize, Ministère de la transition écologique et solidaire
Relectures : Emmanuelle Sarat et Doriane Blottière, Comité français de l’UICN, Alain Dutartre, expert indépendant