Une présélection globale des espèces non-indigènes aquatiques potentiellement invasives dans les conditions climatiques actuelles et futures

 In Actualités, ENI

De nombreux outils sont disponibles pour évaluer les risques associés à la présence (avérée ou potentielle) d’une espèce sur un territoire identifié. Cependant, l’utilisation d’un même protocole d’évaluation de risques à l’échelle mondiale pour un groupe d’espèces non-indigènes (ENI) permet de proposer une information homogène et comparable à très large échelle, pour les décideurs politiques et gestionnaires de l’environnement en charge des invasions d’espèces.

Un outil multi-taxonomique

AS-ISK est une adaptation générique du « Fish Invasiveness Screening Kit » pour les poissons (FISK : Copp et al., 2005 et 2009), qui est lui-même adapté de l’outil « Weed Risk Assessment » pour les plantes terrestres (WRA : Pheloung et al., 1999). L’outil comprend le module d’évaluation générique du programme européen d’analyse des risques pour les espèces non indigènes en aquaculture (Copp et al., 2016a) et d’intègre les « exigences minimales » (page 11 dans Roy et al., 2014) pour l’évaluation des espèces au regard du règlement de l’UE sur la prévention et la gestion de l’introduction et de la propagation des espèces exotiques envahissantes (Commission européenne 2014).

Plusieurs autres outils ont été développés à partir du WRA, comme le Marine Fish Invasiveness Screening Kit (MFISK) pour les poissons marins, le Freshwater Invertebrate Invasiveness Screening Kit (FI-ISK) pour les invertébrés d’eau douce et le Amphibian Invasiveness Screening Kit (Amph-ISK).

Une étude récente (Vilizzi et al., 2021) s’est servie de l’outil « Aquatic Species Invasiveness Screening Kit » (AS-ISK) pour évaluer les risques posés par 819 taxons (comprenant 798 espèces, neuf sous-espèces, trois hybrides et neuf genres) appartenant à 15 différents groupes d’organismes aquatiques (marins et dulcicoles). Applicable à toutes les plantes et animaux de tout type de milieu aquatique (marin, saumâtre, eau douce), AS-ISK est téléchargeable gratuitement à www.cefas.co.uk/nns/tools/. Cette publication, disponible en accès libre, a été réalisée par 195 co-auteurs, dont 6 co-auteurs français : Amelia Curd, Eric Feunteun, Philippe Goulletquer, Gérard Masson, Laurence Miossec et Nicolas Poulet.

Les objectifs de cette étude étaient de :

  1. Construire une base de données d’évaluation de risques avec la couverture géographique et thématique des organismes aquatiques la plus large possible ;
  2. Tester cette base de données avec des mesures de validation croisées et de précision ;
  3. Générer des seuils de risques globaux à l’échelle du groupe d’organisme et de l’écorégion marine/terrestre sous des conditions climatiques présentes et futures.

 

Présentation de l’outil

Disponible en 32 langues, l’AS-ISK est composé de 55 questions. Les premières 49 questions constituent le « Basic Risk Assessment » (BRA), qui concerne les aspects biogéographiques et physiologiques de l’espèce concernée.  En effet, de nombreuses espèces aquatiques susceptibles de devenir envahissante présentent certains traits de vie communs ou des écologies comparables. Couplée à un certain nombre de critères, tel que leur historique de succès d’invasion et la similarité du climat entre leur zone native et leur zone d’introduction, permet d’identifier les espèces à haut-risque d’invasion (Copp et al., 2016b et 2021).

Les dernières six questions concernent le « Climate Change Assessment » (CCA), qui demandent à l’assesseur d’évaluer comment les conditions climatiques prédites pour le futur sont probables d’affecter le BRA, par rapport aux risques d’introduction, d’établissement, de dispersion et d’impact.

Pour chacune de ces 55 questions, l’assesseur doit apporter un niveau de confiance (allant de 1=faible à 4=très élevée) à sa réponse, ainsi qu’une justification.

Toutes les espèces ont été classées a priori comme étant exotiques envahissantes ou non, en fonction de références bibliographiques indépendantes. En absence de preuve, une espèce était classée par défaut comme étant non-envahissante dans son territoire d’introduction.

Résultats

Figure 1. Nombre (et pourcentage correspondant) d’espèces évaluées selon 15 groupe d’organismes aquatiques.

Les poissons et invertébrés représentent la plus grande proportion d’espèces évaluées (Fig.1), ce qui reflète la composition d’espèces introduites enregistrée en Europe, mais aussi le nombre relatif d’experts (i.e. assesseurs) des divers groupes d’organismes marins.

Parmi toutes ces espèces, 33 ont été identifiés comme étant à « haut-risque » d’invasion, et 29 d’entre elles atteignent un niveau de risque encore plus élevé sous les conditions climatiques futures prédites (Fig.2). La majorité de ces espèces viennent de milieux tropicaux ou ont des tolérances thermiques très large. Une description détaillée de chacune des espèces identifiées comme étant à très haut risque dans cette étude est disponible dans le matériel supplémentaire de l’article.

Figure 2. ENI considérées comme étant à très haut risque, basé sur leurs scores BRA+CCA (±SE). Les espèces en gris sombre ont également un score à haut risque avec le BRA uniquement. Le cercle noir (●) indique un listing de l’ENI dans CABI-ISC (Centre for Agriculture and Bioscience International Invasive Species Compendium) ; le carré noir (§) un listing dans GISD (Global Invasive Species Database). R=Reptiles ; A=Amphibiens ; FF=poissons d’eau douce (freshwater fishes) ; MF= poissons marins (marine fishes) ; T=tuniciers ; FI=invertébrés d’eau douce (freshwater inverterates) ; MI=invertébrés marins (marine invertebrates). Au sein de chaque groupe d’organismes aquatiques, les espèces apparaissent en ordre décroissant de leur score.

La validation croisée mené dans cette étude a permis de distinguer précisément les espèces non-indigènes envahissantes des espèces non-envahissantes, tel que démontré par le nombre très faible de faux positifs signalés lors du classement a priori invasif ou non à travers les différents groupes d’organismes aquatiques (Kumschick et Richardson, 2013). Des seuils calibrés ont pu être calculés pour plusieurs groupes d’organismes aquatiques, ainsi que, pour les poissons d’eau douce et marins et les invertébrés marins, selon différentes écorégions. Ces seuils pourraient être transposés dans des zones à risque ayant un nombre statistiquement insuffisant d’évaluation de risques, et/ou quand une seule espèce doit être évaluée.

Globalement, le changement climatique va exacerber le risque d’introduction, d’établissement, de dispersion et d’impact de la majorité d’ENI. Les projections climatiques prévoient des températures en augmentation, la perte de la couverture en glace des lacs, des régimes fluviatiles altérés, une hausse de salinité à cause des changements de précipitation, ainsi que des perturbations environnementales plus fréquentes. Tous ces phénomènes favorisent la répartition d’ENI le long de leur voie d’introduction, car ces conditions présentent des opportunités de survie croissantes pour les ENI, ainsi qu’une résistance moindre aux invasions dans les habitats colonisés (Rahel et Olden, 2008).

Pour conclure

Plus vite les espèces exotiques envahissantes seront identifiées et plus il y aura de chance de prévenir leurs introductions ou à défaut, que les programmes d’éradication fonctionnent. C’est pourquoi les programmes de suivi des ENI devraient se focaliser sur les espèces ayant atteintes un score élevé. L’identification de risques joue un rôle important dans l’apport de conseil aux décideurs politiques, pour le développement d’une législation adaptée, et pour la gestion et la réglementation associées aux ENI. Les scores obtenus via l’outil AS-ISK pourraient permettre aux décideurs politiques de : (i) identifier quelles espèces nécessitent des mesures de biosécurité (prévention d’introduction) ou de gestion rapide (ex : d’éradication ou de contrôle) afin d’éviter ou de compenser leurs impacts, (ii) quelles espèces requièrent une évaluation de risque approfondie en cas de doute et (iii) quelles espèces devraient être réglementées ou interdites à l’importation et/ou la vente.

Rédaction : Amélia Curd, IFREMER

Relecture : Madeleine Freudenreich et Emmanuel Sarat, Comité français de l’UICN & Nicolas Poulet, OFB

 

Référence de l’étude : Vilizzi, L., Copp, G. H., Hill, J. E., Adamovich, B., Aislabie, L., Akin, D., Al-Faisal, A. J., Almeida, D., Azmai, M. N. A., Bakiu, R., Bellati, A., Bernier, R., Bies, J. M., Bilge, G., Branco, P., Bui, T. D., Canning-Clode, J., Cardoso Ramos, H. A., Castellanos-Galindo, G. A., … Clarke, S. (2021). A global-scale screening of non-native aquatic organisms to identify potentially invasive species under current and future climate conditions. Science of The Total Environment, 788, 147868. https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2021.147868

 

Autres sources:

  • Copp GH, Garthwaite R, Gozlan RE (2005) Risk identification and assessment of non-native freshwater fishes: a summary of concepts and perspectives on protocols for the UK. Journal of Applied Ichthyology 21: 371–373, https://doi.org/10.1111/j.1439-0426.2005.00692.x
  • Copp GH, Vilizzi L, Mumford J, Fenwick GV, Godard MJ, Gozlan RE (2009) Calibration of FISK, an invasive-ness screening tool for non-native freshwater fishes. Risk Analysis 29: 457–467, https://doi.org/10.1111/j.1539-6924.2008.01159.x
  • Copp GH, Russell IC, Peeler EJ, Gherardi F, Tricarico E, Macleod A, Cowx IG, Nunn AD, Occhipinti‐Ambrogi A, Savini D, Mumford J (2016a) European Non‐native Species in Aquaculture Risk Analysis Scheme – a summary of assessment protocols and decision support tools for use of alien species in aquaculture. Fisheries Management and Ecology 23: 12–20, https://doi.org/10.1111/fme.12076
  • Copp, G., Vilizzi, L., Tidbury, H., Stebbing, P., Tarkan, A. S., Miossec, L., & Goulletquer, P. (2016b). Development of a generic decision-support tool for identifying potentially invasive aquatic taxa: AS-ISK. Management of Biological Invasions, 7(4), 343–350. https://doi.org/10.3391/mbi.2016.7.4.04
  • Copp, G. H., Vilizzi, L., Wei, H., Li, S., Piria, M., Al-Faisal, A. J., Almeida, D., Atique, U., Al-Wazzan, Z., Bakiu, R., Bašić, T., Bui, T. D., Canning-Clode, J., Castro, N., Chaichana, R., Çoker, T., Dashinov, D., Ekmekçi, F. G., Erős, T., … Mendoza, R. (2021). Speaking their language – Development of a multilingual decision-support tool for communicating invasive species risks to decision makers and stakeholders. Environmental Modelling & Software, 135, 104900. https://doi.org/10.1016/j.envsoft.2020.104900
  • Kumschick, S., & Richardson, D. M. (2013). Species‐based risk assessments for biological invasions: Advances and challenges. Diversity and Distributions, 19(9), 1095–1105. https://doi.org/10.1111/ddi.12110
  • Pheloung PC, Williams PA, Halloy SR (1999) A weed risk assessment model for use as a biosecurity tool evaluating plant introductions. Journal of Environmental Management 57: 239–251, https://doi.org/10.1006/jema.1999.0297
  • Rahel, F. J., & Olden, J. D. (2008). Assessing the effects of climate change on aquatic invasive species. Conservation Biology, 22(3), 521–533. https://doi.org/10.1111/j.1523-1739.2008.00950.x
  • Roy HE, Peyton J, Aldridge DC, Bantock T, Blackburn TM, Britton R, Clark P, Cook E, Dehnen‐Schmutz K, Dines T, Dobson M (2014) Horizon scanning for invasive alien species with the potential to threaten biodiversity in Great Britain. Global Change Biology 20: 3859–3871, https://doi.org/10.1111/gcb.12603

Illustrations du bandeau : Didemum vexillum (par D. Blackwood – USGS), Pomacea canalicaulata (par CHUCAO), Pterois miles (par M. Kjaergaard), Trachemys scripta (par N. Poulet), Mnemiopsis leidy (par P. Urbanek), Carassius gibelio (par A. Harkas), Lithobates catesbeianus (par M. Berronneau) – Toutes ces espèces ont fait l’objet d’une évaluation dans le cadre d’étude de Vilizzi et al., 2021

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