Lacs et étangs aquitains : premiers résultats du programme Vigie lacs

Les lacs et étangs du littoral aquitain

La quinzaine de plans d’eau douce et leurs zones humides associées sur la frange littorale de l’Aquitaine entre les estuaires de la Gironde au nord et de l’Adour au sud sont devenues au fil des décennies un « patrimoine unique à partager et à protéger » ainsi que l’annonce le numéro 43-44 de la revue Dynamiques environnementales daté de 2019.

En un demi-siècle les intérêts humains portés à ces plans d’eau et à leurs environs se sont en effet multipliés et diversifiés, ce qui a conduit à leur concéder une importance territoriale indéniable en terme de valeurs écologiques et sociétales amenant à des efforts croissants destinés à mieux les protéger des pressions et menaces qui pèsent sur eux.

Des menaces dont les EEE

Parmi ces menaces, telles que l’intensification des usages humains sur les bassins versants et les milieux eux-mêmes, les aménagements des rives ou le changement climatique, il en est une qui est devenue perceptible quelques années après la mise en place de la Mission Interministérielle pour l’Aménagement de la Côte Aquitaine (MIACA) chargée de développer l’attractivité touristique du territoire à partir du début des années 70. Il s’agit de l’installation puis de la dispersion progressive dans les plans d’eau de plusieurs plantes aquatiques exotiques capables de développements extrêmement importants.

A partir du milieu des années 70, dès que leurs populations sont devenues suffisamment visibles dans certains milieux, ces espèces ont été considérées comme sources de nuisances par les usagers et gestionnaires. A la demande de gestionnaires, des suivis de leur répartition ont alors été réalisés puis complétés par des études et des analyses sur la biologie, l’écologie et les possibilités de gestion des espèces les plus dynamiques dans leurs colonisations.

C’est ainsi qu’à partir de la fin des années 80, différents plans de gestion et des actions ont pu être mis en place, tout d’abord dans la partie landaise du littoral puis en Gironde, ce que présentent deux articles de la revue déjà citée, le premier « 1970-2020 : 50 ans d’hydrophytes invasives dans les grands lacs aquitains » portant sur les plantes elles-mêmes (biologie, écologie, impacts, etc.), et le second « Les macrophytes indigènes et exotiques : mieux connaître pour mieux gérer » rapportant les collaborations développées entre gestionnaires et chercheurs et les actions de gestion menées.

Malgré les objectifs, les fonctionnements et les temporalités ne convergeant pas nécessairement dans un premier temps, ces collaborations établies au fil du temps ont maintenant permis d’assurer un dialogue devenu régulier et efficace entre ces partenaires. Elles ont comportées deux premiers événements notables, éloignés dans le temps, illustrant la difficulté relative de cette construction relationnelle.

Il s’agit de Journées Techniques « lacs aquitains » rassemblant chercheurs et gestionnaires pour proposer un bilan actualisé des connaissances et des actions sur les milieux. Les premières, tenues en 1992, ont pu faire l’objet d’Actes sous la forme d’un document diffusé aux participants, les secondes, également organisées par l’Agence de l’Eau Adour-Garonne, ont eu lieu en octobre 2018.

Une des demandes liées à cette manifestation était de demander aux intervenants de rédiger des articles pour actualiser et valoriser les connaissances acquises, ce qui a conduit à l’édition du numéro de la revue Dynamiques environnementales. Plus récemment, une autre synthèse est venue compléter analyses et réflexions sur ces milieux avec la publication en 2021 du premier Cahier thématique AcclimaTerra « Les Plans d’eau face aux changements climatiques ».

Par ailleurs, dans la mesure où, en mars 2024, une nouvelle Journée technique était organisée pour poursuivre ces échanges et actualisations en diffusant une synthèse des échanges, un délai nettement plus court qu’entre les précédentes, il semblerait bien que ces collaborations accèdent à une certaine permanence.

Vigie-Lacs : un patrimoine végétal et son fonctionnement écologique toujours à découvrir !

Les connaissances acquises, en particulier sur les peuplements diversifiés de plantes aquatiques de ces lacs et étangs, comportant à la fois des espèces exotiques envahissantes aux dynamiques difficiles à réguler, de nombreuses espèces indigènes largement répandues et quelques-unes rares et protégées, voire endémiques, ont permis d’établir un premier bilan encore à compléter.

Parmi ces compléments se trouve un Plan National d’Actions (PNA) pour la conservation de l’Isoète de Bory, Isoetes boryana, espèce endémique du Sud-Ouest de la France métropolitaine et évaluée « En danger d’extinction ». Acté début 2020, son objet a été étendu aux végétations de bords d’étangs arrière-littoraux des Landes et de Gironde : un premier bilan 2021-2022 sur les actions menées dans le cadre de ce plan national est disponible.

Si cette démarche d’acquisition de connaissances n’est pas en lien direct avec la problématique EEE du Centre de Ressources, il n’en est pas de même de l’autre programme en cours. En effet, le programme de recherche Vigie-Lacs a pour objectif d’acquérir les informations indispensables à la préservation des plantes aquatiques des lacs et étangs du littoral aquitain, menacées par le changement climatique, l’artificialisation des biotopes aquatiques et les espèces exotiques envahissantes.

Il a débuté au printemps 2022 par des inventaires de végétation aquatique sur un des lacs et s’est poursuivi en 2023 sur les autres lacs par des investigations portant sur plusieurs sous-programmes.

          Lac de Lacanau ©Marie Sellier

Le programme s’appuie sur les démarches et autres travaux menés par les gestionnaires locaux, et sur une démarche engagée par l’Agence de l’Eau Adour-Garonne pour élaborer une gouvernance de gestion de l’eau et des milieux aquatiques à l’échelle des plans d’eau douce de la façade atlantique aquitaine. Il est également complémentaire d’autres projets locaux et s’inscrit dans les objectifs de conservation des biotopes lacustres et des communautés végétales, au niveau régional (feuille de route Neo Terra de la Région Nouvelle-Aquitaine) et au niveau national dans le PNA déjà cité.

Accompagnant cette démarche de recherche par la continuité des échanges avec ses partenaires scientifiques et techniques, dont les gestionnaires des différents plans d’eau, une première présentation des résultats obtenus a été organisée à l’occasion d’une journée d’échanges tenue le 17 décembre 2024.  Un rapport intermédiaire du projet est disponible mais les résultats sont très largement présentés dans une actualité datée du 29 avril 2025 de l’Agence Régionale de la Biodiversité Nouvelle-Aquitaine (ARB NA).

Dans la construction de ce programme, l’inclusion de l’ARB NA comme partenaire en charge de la communication et de la diffusion des connaissances acquises durant ce programme en permet une valorisation accrue.

Dans cette actualité sont successivement présentés les résultats des différents sous-programmes (suivis des dynamiques des températures et de l’oxygène dissous dans les eaux, modélisation hydrologique, captations-émissions de carbone, etc. ) et plusieurs d’entre eux portent, au moins partiellement, sur les plantes exotiques envahissantes présentes, pour certaines, depuis près d’un demi-siècle.

En particulier, le suivi de l’évolution des communautés de macrophytes au fil du temps et dans l’espace, à partir de données collectées depuis les années 1980, permet d’identifier les tendances de régression ou d’expansion des différentes espèces, variables selon les milieux, notamment sous l’effet des pressions anthropiques et climatiques. Cette partie du programme évalue également l’impact des altérations anthropiques sur ces communautés, constatant par exemple que les espèces indigènes prospèrent dans les zones peu modifiées par les aménagements et les activités touristiques, tandis que les exotiques sont plus fréquentes dans les zones altérées.

Un autre sous-programme porte sur une modélisation de la répartition des plantes aquatiques dans le contexte du changement climatique pour tenter de prédire l’évolution de leurs habitats en fonction des scénarios climatiques futurs. Les premiers résultats montrent que le réchauffement climatique pourrait réduire la capacité des biotopes littoraux à accueillir la flore aquatique et diminuer la diversité des espèces indigènes, et favoriser les espèces exotiques envahissantes.

Par ailleurs, les biomasses que peuvent produire les plantes exotiques envahissantes sont une des contraintes principales des interventions de gestion qui les retirent des sites colonisés, les transportent et doivent au final en assurer un recyclage. Les évaluations de ces biomasses et de leur répartition dans les milieux font partie des investigations nécessaires et ce sous-programme applique différentes méthodes ou matériel pour y arriver avec notamment des tests recourant à la télédétection.

Enfin, une recherche exploratoire a débuté sur l’évaluation d’une éventuelle compétition entre une des espèces indigènes rares, la Lobélie de Dortmann (Lobelia dortmanna) et une plante du même groupe végétal, la Sagittaire à feuilles de graminée (Sagittaria graminea), originaire de l’est de l’Amérique du Nord. Cette plante, présente dans quelques sites depuis plusieurs décennies semble en voie de dispersion depuis quelques années dans de nouveaux habitats, dont ceux déjà colonisés par la Lobélie qu’elle  risque ainsi d’impacter.

Quelques commentaires…

Force est de constater que ce programme Vigie-Lacs englobe une large série de recherches convergentes vers l’amélioration des connaissances sur l’état, les enjeux de conservation et les possibilités d’évolution des communautés de plantes aquatiques de cet ensemble de lacs et d’étangs tout à fait particulier dans l’hexagone ! Ces premiers résultats longuement présentés dans cette actualité en montrent déjà des acquisitions importantes d’informations pouvant aider à une meilleure gestion de ces plans d’eau si fortement utilisés.

Incluant des investigations sur les paramètres aussi primordiaux que les températures et l’oxygène des eaux, des modélisations sur les évolutions des niveaux des eaux ou la répartition des plantes en relation avec les projections concernant le changement climatique, ou encore les flux de carbone des zones riveraines, ce programme comporte divers éléments sur ces plantes exotiques envahissantes.

Cette inclusion était de fait inévitable car ces quelques espèces sont toujours présentes dans la plupart des milieux malgré les interventions de gestion menées pour les réguler depuis au moins trois décennies qui permettent toutefois d’en réduire au moins les nuisances vis-à-vis des usages de ces plans d’eau. Il s’agit en particulier de deux espèces immergées, Lagarosiphon major et Egeria densa et d’espèces amphibies telles que la Jussie à grandes fleurs (Ludwigia grandiflora) et de la Jussie à petites fleurs (L. peploides) et du Myriophylle du Brésil (Myriophyllum aquaticum).

D’autres plantes aquatiques exotiques sont observées sporadiquement dans ces milieux et pourraient, comme cela semble se produire actuellement pour Sagittaria graminea, s’installer, rester présentes sans dynamique de colonisation durant une longue période, pour ensuite gagner de nouveaux habitats. Toutes doivent donc faire l’objet d’une surveillance adaptée.

Parmi les espèces installées depuis longtemps, L. major et E. densa sont celles que les recherches actuelles intègrent complètement comme « actrices fonctionnelles » dans les milieux colonisés tant leurs importantes populations peuvent influer sur les cycles de l’oxygène, la production de matière et sa dégradation, les communautés de plantes indigènes, etc.

Dans ce demi-siècle, ces espèces sont ainsi passées ici d’un statut quasiment unique de gêne aux usages à éliminer (ce qu’il n’a pas été possible d’obtenir) à celui de constituants de l’écosystème dont il est indispensable d’évaluer les influences ou les impacts, voire les évolutions en relation avec le changement climatique. Une adaptation nécessaire intégrant à la fois nos limites très bien perçues maintenant en matière de gestion des invasions biologiques à toutes les échelles, du mondial au local, et la nécessité, pour mieux vivre avec, d’en apprendre suffisamment sur ces espèces pour mieux comprendre localement l’évolution des écosystèmes que nous tentons de protéger.

Rédaction : Alain Dutartre (expert indépendant)

Relecture : Camille Bernery (Comité français de l’UICN)

Crédits photo en bandeau : Marie Sellier