Depuis sa mise en œuvre en 2019, le programme REEVES (Recherche sur les Espèces Exotiques Végétales EnvahissanteS) s’est doté de vingt-sept stations expérimentales et rassemble actuellement un consortium d’une quinzaine de chercheuses et chercheurs des régions de l’est et du sud de la France.
Pour rappel, ce programme a pour objectif d’utiliser la restauration écologique et la concurrence végétale pour gérer et réduire le développement de cinq espèces invasives : la Renouée du Japon (Reynoutria japonica), le Robinier faux-acacia (Robinia pseudoacacia), l’Ailante (Ailanthus altissima), la Canne de Provence (Arundo donax) et le Mimosa (Acacia dealbata). Entre octobre 2020 et mars 2021, une première phase de travaux a permis la plantation de 7300 végétaux sur plusieurs stations expérimentales (voir l’article d’avril 2021 à ce sujet). Après une première année de croissance, les relevés et les essais en laboratoire ont fait l’objet d’un premier rapport interne (non-diffusé), avec de premiers résultats encourageants.
Des observations et des interprétations encourageantes
A cette étape du projet, après une première année végétative, aucune tendance dans les résultats n’était attendue sur les stations mais plusieurs observations encourageantes peuvent être déjà partagées.
En Champagne-Ardenne, le taux observé de reprise des végétaux plantés est compris entre 82 % et 99 % pour les stations expérimentales présentant une espèce exotique envahissante (soit une mortalité des plantes comprise entre 1 % et 18 % toutes espèces confondues). En parallèle, les taux de reprise des stations expérimentales sans plante invasive se situent entre 77 % et 100 %.
Aucune modalité expérimentale (allélopathie, traitement du sol ou mycorhizes) ne se distingue pour le moment par une croissance en hauteur plus importante des arbustes plantés. Toutefois, il est à noter que plusieurs espèces indigènes montrent une croissance en hauteur plus importante sur les stations présentant une espèce exotique envahissante. Les prochains relevés apporteront davantage de précisions mais ce phénomène est peut-être dû à une concurrence plus importante pour l’accès à la lumière.
L’objectif recherché par un traitement du sol préalable aux plantations (décompactage superficiel et apport de compost) dans les stations champardennaises, était de stimuler l’activité microbienne du sol pour favoriser la dégradation des composés allélopathiques émis par la plante invasive et faciliter la croissance de la nouvelle strate arbustive indigène. Les essais en laboratoire du LIEC (Laboratoire Interdisciplinaire des Environnements Continentaux, Université de Lorraine) confirment que ce pré-traitement du sol ne présente pas d’amélioration significative de l’activité microbienne durant les premiers mois après les plantations. Les résultats ont montré une grande hétérogénéité dans la réponse des microorganismes dans les sols des talus. La tendance générale de croissance en hauteur des arbustes est similaire dans toutes les stations (présence ou absence d’espèce invasive) et aucune modalité de se distingue de manière significative.
En parallèle, les essais de l’IMBE (Institut Méditerranéen de Biologie et d’Écologie marine et continentale, à Marseille) ont montré des différences significatives entre les parcelles ayant reçu un traitement du sol et les autres modalités (expression de la végétation locale et allélopathie). Ces différences, avec une baisse des composés allélopathiques dans le sol semblent davantage dues à l’apport de compost qu’à la stimulation de l’activité des microorganismes du sol. En effet, par sa nature, le compost (matière organique) peut adsorber les composés allélochimiques et en bloquer leur fonctionnement. Ces résultats demanderont à être confirmés par les prochaines études.
Dans les régions PACA et Grand Est (ex-région Champagne-Ardenne), d’après les travaux en laboratoire du LAE (Laboratoire Agronomie et Environnement, Université de Lorraine) et de l’IMBE, plusieurs espèces aux propriétés allélopathiques montrent des influences significatives sur les espèces invasives : l’Épine-vinette (Berberis vulgaris) sur la Renouée du Japon, l’Arbre à perruque (Cotinus coggygria) et le Ciste cotonneux (Cistus albidus) sur la germination de l’Ailante ou encore le Ciste à gomme (Cistus ladanifer) sur la germination du Mimosa. Cependant, ces phénomènes ne sont pas encore observables in-situ dans les stations expérimentales. En effet, en milieu naturel, ces effets mettent davantage de temps à produire un impact visible à cause de nombreux autres paramètres environnementaux entrant dans la concurrence végétale. Les relevés sur les prochaines années apporteront des renseignements supplémentaires sur l’efficacité de cette modalité.
En 2022 : poursuite des recherches et suivi des stations
En complément du suivi des stations expérimentales, les équipes vont aborder de nouvelles questions de recherche, présentées ci-dessous.
L’institut Méditerranéen de Biologie et d’Écologie :
De même qu’en 2021, l’IMBE va procéder au suivi de l’évolution des stations expérimentales en région PACA, avec des mesures de recouvrement des végétaux indigènes et un suivi des EEE. Comme en région Grand Est, les différentes modalités testées impliqueront des palettes végétales distinctes et des activités biologiques comme l’allélopathie.
Par ailleurs, deux études en laboratoire seront menées simultanément. En 2021, l’équipe s’était appliquée à analyser les effets allélopathiques de l’Arbre à perruque (Cotinus coggygria) sur la germination et la croissance de l’Ailante.
En 2022, les expérimentations porteront sur la Canne de Provence. De même qu’en 2021, une autre étude analysera et interprétera les effets du sol et de la nature du terrain sur les différentes modalités testées dans les stations.
Le Laboratoire Agronomie et Environnement :
L’équipe du LAE abordera elle aussi deux questions de recherche. La principale concerne la compétition dans le temps pour l’utilisation des ressources, entre les plantes utilisées pour la restauration écologique et la Renouée du Japon. Il s’agira de définir si une espèce indigène (plantée sur une station de Champagne-Ardenne) utilise de la même manière et au même moment les ressources abiotiques que l’EEE. Ces observations permettront ainsi d’identifier les espèces favorisant la concurrence sur les ressources du milieu naturel, pour les utiliser à des fins de restauration des milieux colonisés. Le second objet d’étude portera sur le Robinier faux-acacia et l’influence des composées allélopathiques émis par le Sureau noir, (Sambucus nigra) sur la germination des graines de robiniers.
Le Laboratoire Interdisciplinaire des Environnements Continentaux :
Le LIEC examinera les modalités impliquant les champignons mycorhiziens. Au moment de la plantation des arbustes, certaines parcelles ont fait l’objet d’une inoculation de plusieurs souches de ces champignons microscopiques. Les chercheurs vont étudier le développement des symbioses champignons/arbustes et les caractériser. Ils vérifieront également l’hypothèse de l’influence positive de ces symbioses sur la croissance des arbustes indigènes (aide à la nutrition et amélioration de la concurrence végétale). Ces recherches seront réalisées dans les Ardennes, sur les stations colonisées par de la Renouée du Japon.
Laboratoire Sol et Environnement :
Ayant rejoint le programme en 2022, le LES (Laboratoire Sol et Environnement, Université de Lorraine) a identifié deux sujets d’étude pour cette première collaboration. Un premier sujet de recherche s’appliquera à décrire la nature des sols à partir des caractéristiques physico-chimiques des substrats (pH, capacité d’échange cationique CEC, quantité de matière organique, etc.). Cette analyse globale constituera un apport d’information sur le comportement des végétaux et leurs croissances vis-à-vis du milieu dans lequel ils se développent. La seconde étude tentera d’identifier dans le sol des éléments chimiques caractéristiques de la présence d’espèces exotiques envahissantes. Ce volet de recherche porte ainsi plus sur de la prévention, avec une réflexion sur la conception d’une méthode permettant d’analyser les sols dans de futurs projets impliquant des terrassements et un apport de matériaux exogènes. Le principe étant de retrouver des traces d’éventuelles plantes invasives dans les sols transportés et d’éviter la mise en œuvre de sols contaminés.
Perspectives
A l’issue de 4 années de recherche et d’expérimentation le programme REEVES, porté par SNCF Réseau et accompagné par un consortium de chercheuses et chercheurs, compilera de nouvelles données sur les EEE et identifiera des applications pratiques pour leur gestion sur les infrastructures.
Des publications scientifiques valoriseront les résultats et les rendez-vous annuels des « Forums REEVES » réuniront les parties prenantes pour exposer les avancés du projet.
En savoir plus :
- Programme REEVES sur le site internet de SNCF Réseau : https://www.sncf-reseau.com/fr/reseau/grand-est/programme-reeves/presentation-0
- Articles sur le site du Centre de ressources :
Rédaction : Valentin MORIN, SNCF Réseau
Relecture : Madeleine Freudenreich (Comité français de l’UICN) et Alain Dutartre (expert indépendant)