Les hôtels ou abris à insectes sont des dispositifs destinés à accueillir l’entomofaune et en faciliter la survie en offrant aux insectes et autres petits animaux (autres invertébrés et petits vertébrés comme les lézards) un lieu pour hiberner, nicher, se nourrir et se reproduire.
Ces structures artificielles viennent compléter les abris naturels déjà disponibles dans la nature, comme un tas de pierres ou de bois morts, des souches ou encore l’écorce des arbres.
Les abris artificiels sont utilisés depuis longtemps par les scientifiques pour l’observation et les travaux d’inventaire (parfois retrouvés sous le nom de trap-nest dans la littérature anglophone). L’entomologiste Jean-Henri Fabre employait des tiges creuses rangées dans une caisse en bois protectrice pour étudier la nidification des osmies.
Devenus de véritables outils pédagogiques, ces abris à insectes permettent d’attirer diverses espèces (coccinelles, abeilles, syrphes, chrysopes, ou encore papillons par exemple) et de faciliter l’observation de la faune sauvage.
On retrouve aujourd’hui ces structures dans les jardins-potagers et vergers où la pollinisation et la biodiversité sont recherchées. Les insectes y jouent alors le rôle de pollinisateur mais aussi d’auxiliaire des cultures et permettent de réguler naturellement certains parasites des végétaux.
Dans les zones urbaines, la diversité et l’abondance des hyménoptères nichant dans des cavités peuvent être limitées en raison de la rareté des ressources de nidification. On trouve alors de plus en plus d’abris à insectes installés par les associations et les collectivités afin de compenser cette pénurie et soutenir la diversité des insectes (et des abeilles plus particulièrement).
Il existe dans le commerce de nombreux modèles d’abris à insectes mais il est également très facile (et ludique !) d’en construire soi-même, pour un moindre coût et avec des matériaux de récupération.
La fabrication d’un tel dispositif est assez simple et se présente sous la forme d’une maisonnette dotée de plusieurs compartiments, chacun d’entre eux étant créé spécialement dans le but d’attirer un groupe d’espèce particulier. La plupart du temps, les compartiments sont remplis avec des matériaux que l’on retrouve dans le jardin : pierres, terres, fagots, bûches, paille, mousse et pommes de pin.
Les bûches percées permettent par exemple d’accueillir certaines abeilles et guêpes solitaires, qui nichent dans des galeries. Une large palette d’espèces peut venir s’y loger et l’occupation par une espèce en particulier va dépendre du diamètre du trou qui est représentatif des préférences de l’abeille pour les sites de nidification (Quaranta et al., 2014 et Fortel et al., 2016). Les vieux arbres morts sur pied étant de plus en plus rare dans les jardins, ce type de nichoir est rapidement occupé et peut servir 3 à 4 ans avant d’être renouvelé (Albouy, 2008)
La fréquentation varie également selon le type d’abris, les ressources de nidification disponibles et de la diversité florale présente à proximité de la structure (von Königslöw et al., 2019, Fortel et al., 2016 et Potts et al., 2003).
De nombreux insectes peuvent être accueillis dans ces structures mais aussi des parasites et des espèces opportunistes (Fortel et al., 2016). Les abris peuvent alors constituer des plateformes d’échange de parasites entre les insectes et servent aussi parfois de mangeoires pour les oiseaux.
Coexistence entre les abeilles indigènes et exotiques au sein d’un même abri
Une étude menée à Marseille de 2016 à 2017 s’est intéressée à l’utilisation des abris à insectes comme substrat de nidification pour les abeilles locales et à la coexistence des abeilles indigènes et exotiques au sein d’un même abri.
Leurs résultats peuvent être retrouvés dans l’article « Bee hotels host a high abundance of exotic bees in an urban context » (Geslin et al., 2020).
Les chercheurs ont installé 96 hôtels à abeilles, composés de deux substrats : une bûche (de Pinus spp.) et des tiges de bambou ou de roseau. Les troncs ont été forés avec des trous de 6, 8, 10 et 12 mm avec une seule extrémité (8 à 10 trous par tronc) d’une profondeur de 20 cm. Ensuite, les hôtels étaient entièrement remplis de tiges de roseau ou de bambou dont le diamètre variait de 3 à 20 mm (moyenne 7,5 mm; sd = 3,5).
Les hôtels à abeilles (d’une taille de 45 × 35 × 30 cm) ont ensuite été répartis dans 12 parcs public (à raison de 8 hôtels par parc) et attachés à un arbre à minimum 1,5 m du sol, orientés vers le sud.
Posés en février 2016, seuls 71 hôtels sont restés en place jusqu’à l’année suivante (les autres ayant subi d’importantes dégradations au cours de l’année). A l’issue de ces 12 mois, les tiges et bûches utilisées par les insectes pour nicher, et dont l’entrée était alors remplie de boue ou de résine, ont été récoltés dans des sacs de prélèvement en plastique. Les tiges et les bûches d’un même hôtel étaient placés dans la même boîte lorsque cela était possible, en essayant d’empêcher la fuite des abeilles émergentes lors du transfert. L’étude indique que certains individus ont quand même réussi à se libérer en mâchant le plastique des sacs.
Chaque sac a été ensuite surveillé pour compter les abeilles émergentes jusqu’au 1er juin 2017, fin de la période d’émergence. Les abeilles ont ensuite été collectées et congelées pour permettre une identification au niveau de l’espèce par des experts-taxonomistes.
Au total, 41 des 71 hôtels à abeilles ont été occupés par des abeilles et 889 individus ont émergé. L’espèce la plus abondement retrouvée était l’abeille exotique Megachile sculpturalis, avec 356 individus comptabilisés soit environ 40 % de l’abondance totale. Le sexe-ratio de cette espèce était fortement biaisé en faveur des mâles (296 mâles soit 83 % des spécimens).
Seules quatre espèces d’abeilles indigènes ont été observées, toutes appartenant au genre Osmia : Osmia bicornis correspondant à environ 35 % de l’abondance totale, O. cornuta (~16 %), O. niveata (~7 %) et O. caerulescens (~2 %).
La diversité observée dans les hôtels à abeilles de cette expérimentation est très faible, avec seulement 5 espèces différentes. Une autre étude menée également à Marseille, et toujours dans les parcs urbains, fait plutôt état d’une diversité de l’ordre de 110 espèces d’abeilles sauvages (Geslin et al., non publié). Le faible nombre retrouvé par Geslin et al. (2020) peut s’expliquer par la simplicité de la structure utilisée (comprenant uniquement deux types de matériaux) et par la présence majoritaire en France d’abeilles terricole, c’est-à-dire qui nidifient dans le sol. De plus, une augmentation entre les années de la richesse en espèces des abeilles qui nichent dans des structures artificielles a été constatée lors d’une expérience similaire réalisé à Lyon (Fortel et al., 2016). Aussi, les auteurs estiment que la richesse aurait pu être plus élevée si leur expérience avait été poursuivie plus plusieurs années.
Impacts de la présence de Megachile sculpturalis
Malgré cela, les chercheurs ont pu observer une corrélation négative entre la présence d’individus de M. sculpturalis et la présence des espèces d’abeilles indigènes dans leurs hôtels. Cela indique que la probabilité qu’une osmie émerge d’un hôtel diminuait très fortement à partir du moment où celui-ci était également occupé par M. sculpturalis. Seuls dix hôtels abritaient à la fois des abeilles indigènes et exotiques.
Le comportement agressif de M. sculpturalis (Laport et Minckley, 2012; Roulston et Malfi, 2012; Le Féon et Geslin, 2018) n’est pas forcément le principal responsable de cette observation. Tout d’abord, l’expérimentation de Marseille a montré que M. sculpturalis et les osmies indigènes ne semblent pas partager les mêmes préférences de nidification, et que l’abeille exotique a tendance à nicher dans des cavités plus grandes que l’entomofaune indigène. Ainsi, la concurrence pour les sites de nidification semble peu probable.
De plus, les deux espèces d’osmies les plus retrouvées au cours de cette étude (O. bicornis et O. cornuta) ne partagent pas non plus la même phénologie. Ces deux espèces d’Osmia sont des espèces printanières alors que M. sculpturalis est active en été (Le Féon et al., 2018). Une compétition directe (agression ou expulsion) entre adultes actifs, similaire aux événements agressifs rapportés par Roulston et Malfi (2012) semble alors peu probable.
Également, les auteurs n’excluent pas l’hypothèse de la présence de conditions environnementales (ressources alimentaires, proximité d’habitats adaptés) pouvant favoriser M. sculpturalis par rapport aux autres espèces indigènes.
Une autre explication pourrait être due à une exclusion des larves d’abeilles indigènes par les adultes de M. sculpturalis à l’été. Ce comportement a déjà été documenté (voir Le Féon et Geslin, 2018 pour un exemple avec Isodontia Mexicana) et pourrait être plus répandu. Si tel est le cas, l’impact négatif de M. sculpturalis sur l’entomofaune pourrait être sous-estimé, mais il s’agit toutefois d’une hypothèse à valider. Plusieurs témoignages ont suivi la parution de l’article et viennent renforcer cette hypothèse, faisant état d’évènements d’exclusion ou de désoperculage de substrat dans le but de détruire les larves d’autres espèces.
La préférence de M. sculpturalis pour les trous de grand diamètre indique cependant que l’installation de cette espèce en France pourrait affecter les abeilles indigènes de grandes tailles telles que Xylocopa spp. et Anthidium spp., également retrouvées dans les parcs marseillais.
Cette publication montre donc que les hôtels à abeilles peuvent constituer des lieux favorables à la nidification de certaines espèces exotiques envahissantes, telles que M. sculpturalis et de ce fait, participent malgré eux à l’implantation de ces nouvelles venues en un endroit donné. Une meilleure connaissance de leurs préférences d’habitat permet toutefois de limiter leur présence dans ces installations et le diamètre des trous du substrat semble être un paramètre important à prendre en compte lors de la construction d’un abri à insectes.
Les auteurs de l’article concluent en conseillant l’utilisation de cavités de 4 à 8 mm de diamètre, qui favorisent la reproduction d’insectes locaux, et de bannir les cavités plus grandes (au-dessus de 8 à 10 mm de diamètre) pour éviter l’installation de M. sculpturalis.
Afin suivre de la façon l’évolution de la distribution géographique de M. sculpturalis sur le territoire métropolitain, d’approfondir les connaissances sur son écologie et de mieux évaluer ses impacts sur la faune et la flore locales, les propriétaires d’hôtels à abeilles sont invités à communiquer leurs données d’observation auprès de l’Observatoire des abeilles exotiques (en envoyant leurs photos, accompagnées d’un maximum d’informations à l’adresse exotiques@oabeilles.net).
Quelques conseils pour installer un abri à insectes dans son jardin : – L’abri doit être installé sur plusieurs années et en toutes saisons, le but étant de garder les insectes dans le jardin d’une année sur l’autre ; |
Exemples de guides pour une fabrication maison :
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Pour en savoir plus :
- Lire l’article du CDR EEE : Expansion d’une abeille sauvage exotique en France (Blottière, 2018)
- Consulter le site de l’Observatoire des abeilles exotiques
Étude de Geslin et al. 2020 : Geslin, B., Gachet, S., Deschamps-Cottin, M., Flacher, F., Ignace, B., Knoploch, C., … & Le Féon, V. 2020. Bee hotels host a high abundance of exotic bees in an urban context. Acta Oecologica, 105, 103556.
Autres sources :
- Albouy, V. 2008. Nichoirs et abris à insectes, quelle efficacité ? Insectes 26 n°150 – 2008 (3)
- Fortel, L., Henry, M., Guilbaud, L., Mouret, H., & Vaissiere, B. E. 2016. Use of human-made nesting structures by wild bees in an urban environment. Journal of Insect Conservation, 20(2), 239-253.
- Laport, R.G., Minckley, R.L., 2012. Occupation of active Xylocopa virginica nests by the recently invasive Megachile sculpturalis in upstate New York. J. Kans. Soc. 85, 384–386. https://doi.org/10.2317/0022-8567-85.4.384.
- Le Féon, V., Geslin, B., 2018. Écologie et distribution de l ’ abeille originaire d’Asie Megachile sculpturalis SMITH 1853 (Apoidea – Megachilidae – Megachilini) : un état des connaissances dix ans après sa première observation en Europe. Osmia 7, 31–39.
- Potts, S. G., Vulliamy, B., Dafni, A., Ne’eman, G., & Willmer, P. 2003. Linking bees and flowers: how do floral communities structure pollinator communities?. Ecology, 84(10), 2628-2642.
- Quaranta, M., Sommaruga, A., Balzarini, P., Felicioli, A. 2014. A new species for the bee fauna of Italy: Megachile sculpturalis continues its colonization of europe. Insectol. 67, 287–293.
- Roulston, T., Malfi, R., 2012. Aggressive eviction of the eastern carpenter bee (Xylocopa virginica (Linnaeus)) from its nest by the giant resin bee (Megachile sculpturalis Smith). Kans. Entomol. Soc. 85, 387–388. https://doi.org/10.2317/0022-8567-85.4.387.
- von Königslöw, V., Klein, A. M., Staab, M., & Pufal, G. 2019. Benchmarking nesting aids for cavity-nesting bees and wasps. Biodiversity and Conservation, 28(14), 3831-3849.
Souvenirs entomologiques, Jean-Henri FABRE, 1882, IIème, Chapitre 13 (Extrait : https://www.e-fabre.com/e-texts/souvenirs_entomologiques/habitants_ronce.htm)
Rédaction : Madeleine Freudenreich, Comité français de l’UICN
Relectures : Benoit Geslin et Violette Le Féon (Observatoire des abeilles), Emmanuelle Sarat (Comité français de l’UICN)