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Vallisneria australis, encore !

Un premier article daté de décembre 2022 faisait état de la présence dans plusieurs sites de l’hexagone d’une même nouvelle plante aquatique immergée aux feuilles rubanées apparentée au genre Vallisneria. Établissant après analyse génétique de la plante d’un des sites son identification taxonomique comme Vallisneria australis, une espèce effectivement nouvelle pour la France, cet article a été complété par une information en juillet 2023 concernant la station franc-comtoise (Lac de Vesoul-Vaivre) et portant sur une autre analyse génétique conduisant au même taxon.

Ce deuxième article a suffisamment alerté Stéphane BUILLES, chargé de mission à la SEPANSO, dans le cadre du suivi écologique mis en place sur le lac de Bordeaux, ce plan d’eau de 160 ha conséquence d’un vaste aménagement urbanistique du nord de l’agglomération, pour qu’à l’automne 2023 il y examine le développement d’une nouvelle plante aquatique. Après une campagne de terrain réalisée avec Aurélien CAILLON du Conservatoire Botanique National Sud-Atlantique et des prélèvements d’échantillons, l’analyse génétique réalisée par le Netherlands Institute for Vectors, Invasive plants and Plant Health a conclu à la similitude de la plante avec celle du site franc-comtois.

Les deux plantes distantes d’environ 600 km partagent les mêmes caractéristiques génétiques et comprennent 80 % de Vallisneria australis. Les résultats de l’analyse laissent supposer une origine horticole (rétrocroisement/hybridation conduisant à l’obtention d’un cultivar). Ce point n’est qu’une hypothèse qu’il serait intéressant de vérifier afin de connaitre l’origine d’introduction. En effet des vallisnéries à feuilles larges peuvent être diffusées via l’aquariophilie. A Bordeaux, les sédiments dans lesquels se développe la plante sont constitués en surface de matériaux grossiers (graviers, galets). Le site est fortement anthropisé avec la présence de macrodéchets que l’on retrouve en grande quantité dans le substratum (déchets plastiques, verre, etc.).

Précisons que la plante y forme une station monospécifique dense excluant le développement de toute autre macrophyte aquatique par compétition pour l’espace et la lumière. Par ailleurs, les longues et larges feuilles rubanées semblent être favorables aux mollusques gastéropodes qui s’observent en grand nombre (planorbidés, physidés…), avec la présence d’individus à différents stades et de pontes mais aussi aux mollusques bivalves comme la Moule zébrée Dreissena polymorpha. Des inflorescences encore immatures ont également été observées et laissent supposer la possibilité d’une multiplication sexuée qui resterait à confirmer.

Lac de Bordeaux (Gironde) – octobre 2023 : zone colonisée par Vallisneria australis, Dreissena polymorpha, inflorescence en début de formation (Photos Aurélien Caillon)

Quant aux voies et origines d’introduction et de propagation, nous pouvons émettre plusieurs hypothèses. Certaines d’origine anthropique avec un déversement direct (vidange d’aquarium) ou indirect (le plan d’eau reçoit plusieurs rejets d’eaux pluviales dont un en bordure immédiate de la station de vallisnérie), d’autres plus naturelles avec le transport de propagules par les oiseaux d’eau même si les effectifs tant hivernants que nicheurs sont désormais très faibles (lac très fréquenté). Certaines pratiques pourraient involontairement propager l’espèce comme le canotage notamment au moyen de canoës ou de de kayaks, ou la pêche du carnassier (les pêcheurs se déplacent beaucoup dans l’eau pour accéder aux secteurs de rive encombrés de branchages).

Un document d’alerte rédigé par le CBNSA a été envoyé en octobre 2023 aux différents partenaires de la gestion du plan d’eau. Des recommandations ont également été faites, en particulier sur la circulation de l’engin chargé de la coupe des herbiers aquatiques dans la zone de baignade toute proche.

Un protocole d’intervention sera prochainement proposé à la ville de Bordeaux pour tenter de limiter la progression de l’herbier et pouvoir intervenir rapidement en cas d’apparition de nouvelles stations (quelques feuilles ont été trouvées sur la berge d’un secteur plus au nord).

Dans le lac de Bordeaux, à l’automne 2023, Vallisneria australis a donc été observée sur un linéaire de rive d’une centaine de mètres de longueur sur une dizaine de mètres de largeur, jusqu’à une profondeur d’environ 2 m mais une investigation plus complète serait utile pour en estimer plus précisément la superficie colonisée. Si l’identité de la plante n’a pu être confirmée qu’en 2024 il ne fait nul doute que cette dernière soit établie depuis plusieurs années dans le plan d’eau.

En reprenant certaines des informations déjà rassemblées dans les deux premiers articles, il semblerait bien que la présence de l’espèce n’ait cependant pas encore attirée suffisamment l’attention pour qu’un effort particulier d’identification lui soit porté dans l’hexagone. Rappelons par exemple que les plantes génétiquement identifiées dans les sites repérés en 2022 étaient déjà présentes depuis au moins 2010 dans le lac du Salagou (Hérault) et 2015 dans le lac de Vaivre (Haute-Saône).

Ce manque éventuel d’attention pourrait être la conséquence d’une physionomie générale de V. australis très proche de celle d’une autre espèce de Vallisneria assez largement répandue dans l’hexagone, V. spiralis. Une confusion concernant ces deux espèces n’a rien de très surprenant car il a fallu les travaux de génétique sur le genre Vallisneria menés par Les et al. (2008) pour que la différenciation d’une nouvelle espèce australienne, V. australis, soit validée. Jusqu’alors les publications australiennes concernant cette espèce se référaient à V. spiralis.

En effet, les développements subaquatiques quelquefois denses en grands cours d’eau et en canaux de cette plante aux feuilles rubanées, souples et très allongées sont assez bien connus et facilement identifiables, tout comme l’enroulement en forme d’hélice des pédoncules des fleurs femelles fécondées, critère visuel remarquable ayant amené à lui attribuer son nom d’espèce.

Dans sa publication, Nesemann (2021) évoque également une confusion entre les deux espèces. Il est d’ailleurs aussi à noter que selon cette publication V. australis n’aurait commencé à former des populations en milieu naturel en Allemagne que depuis un peu plus d’une décennie. Une première observation dans un plan d’eau en 2010 a été suivie depuis de quatre autres découvertes, toutes dans des gravières de la basse vallée du Main, où des peuplements étendus sont signalés. La publication précise que les plantes observées ont des feuilles de 170 à plus de 240 cm de long et que seules des fleurs femelles ont été observées.

V.australis présente en effet les mêmes très longues feuilles rubanées et seuls des critères de dimensions de ces feuilles peuvent permettre une première discrimination visuelle des deux espèces : alors que les feuilles de V. spiralis ne dépassent pas 10 à 15 mm de largeur et environ 80 cm de longueur, celles de V. australis peuvent atteindre 35 mm de largeur et près de 3 m de longueur (voir la clé de détermination). La plante est dans sa totalité beaucoup plus robuste. Cette discrimination des deux espèces lors des investigations de terrain devient d’ailleurs beaucoup plus facile dès lors qu’une population dense de V. australis s’étale en surface, comme ce fut le cas pour les trois plans d’eau, Salagou, Vaivre et Bordeaux…

Cette difficulté peut être également liée aux faits que l’espèce semble tolérer des conditions de faible lumière (Blanch et al., 1998) et que, selon des informations australiennes, aire d’origine de l’espèce, elle puisse se développer en milieux aquatiques jusqu’à 7 m de profondeur, dans des conditions de niveaux d’eau relativement stables (Blanch & Walker, 1998). Il est donc possible qu’elle s’installe tout d’abord dans des zones profondes des sites pour devenir progressivement visible au fur et à mesure de son extension.

Lac de Salagou (Hérault) – Septembre 2022 : Zone colonisée par Vallisneria australis (©Guillaume Fried)

Lac de Vaivre (Haute-Saône) – Septembre 2022 : Zone colonisée par Vallisneria sp. (©Alain Dutartre)

Lac de Bordeaux (Gironde) – Octobre 2023 : Zone colonisée par
Vallisneria australis ( ©Aurélien Caillon)

C’est pourquoi il semblerait très utile qu’une attention particulière puisse être apportée aux prochaines investigations portant sur les populations de Vallisneria présentes en France pour s’assurer de la nature de l’espèce et contribuer à alimenter les informations sur la répartition, l’origine et la ou les voies d’introduction de cette plante immergée aux fortes capacités de développement !

Rédaction : Stéphane Builles (SEPANSO), Aurélien Caillon (CBN SA), Alain Dutartre (expert indépendant)

Photo du bandeau : H. Tinguy, INPN 

Références :

Blanch, S. J., G. G. Ganf and K. F. Walker, 1998. Growth and recruitment in Vallisneria americana as related to average irradiance in the water column. Aquatic Botany 61: 181-205.

Blanch, S. J., G. and K. F. Walker, 1998. Littoral plant life history strategies and water regime gradients in the River Murray, South Australia. Verh. Internat. Verein. Limnol., 26: 1814-1820.

Les, D.H., Jacobs, S.W.L., Tippery, N.P., Chen, L., Moody, M.L. & Wilstermann-Hildebrand, M., 2008. Systematics of Vallisneria (Hydrocharitaceae). Systematic Botany 33(1): 49–65.

Nesemann H. F., 2021. Neu- und Erstnachweise von Vallisneria-Arten und Myriophyllum heterophyllum in Südhessen. Botanik und Naturschutz in Hessen 33.2021:157-165.

https://australianecosystems.com.au/nursery/aquatic-plants/vallisneria-australis/

N.B : Les auteurs remercient Johan Van Valkenburg du Netherlands Institute for Vectors, Invasive plants and Plant Health pour son aide apportée à l’analyse génétique.

Rappelons que parmi les sites d’observations de 2022, la plante nouvellement repérée sur le fleuve Charente devrait prochainement faire l’objet d’une analyse génétique pour en préciser son identité.

Page 21 du N° 10 de la revue ” Napel à ch’nille”  du Conservatoire botanique national de Franche-Comté – Observatoire régional des Invertébrés, daté de janvier 2024, figure un article intitulé “Vallisneria australis, une plante aquatique exotique nouvelle pour la Franche-Comté et la France“. L’article fournit des informations sur le site franc-comtois de présence de la plante et sur des essais de gestion.

 

Illustrations extraites du premier article :