Entretien : « Place à l’action, avec le programme régional EEE Normandie et sa brigade »

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Bonjour, qui êtes-vous et dans quelle région agissez-vous ?

Charlotte B. : Je m’appelle Charlotte Bouin, je suis chargée de mission EEE en région Normandie, où j’interviens plus précisément sur les 3 départements de l’ex-région Basse Normandie (Orne, Calvados et Manche). Je travaille sur cette thématique depuis 2017, j’ai commencé en tant que technicienne piégeuse de Xénope Lisse pour le programme LIFE CROAA, puis j’ai travaillé à la direction régionale Centre Val de Loire de l’ONCFS (devenue OFB depuis), durant cette année j’ai notamment rédigé le guide sur la faune exotique envahissante du Bassin Loire-Bretagne. Et finalement en 2018, j’ai rejoint le Conservatoire d’espaces naturels (CEN) Normandie pour participer à la coordination du programme régional EEE (PREEE).

Jean-François au micro de France Bleu © CEN Normandie

Jean-François D. : Jean-François Dufaux, je suis chargé de projet EEE au CEN Normandie. Je suis le coordinateur du PREEE en Normandie, qui a été lancé pour la première fois en 2018, sur l’ensemble du territoire. Il fait suite à un programme similaire développé en ex-Basse Normandie, en 2013.
Cela fait 27 ans que je travaille pour le conservatoire et je coordonne également une cellule d’animation zone humide. J’ai démarré dans l’équipe technique où j’ai exercé diverses fonctions (zootechnicien, berger, animateur nature, aménagement de site naturel pour accueil tout public, etc.) qui n’étaient donc pas toujours liés à une thématique EEE.

Rémi M. : Rémi Mandra, je suis chargé de mission EEE sur les départements de la Seine maritime et de l’Eure et je m’occupe de l’encadrement de la brigade EEE. Auparavant, j’étais formateur dans un lycée agricole. Je suis arrivé au CEN Normandie en 2017, en tant que technicien-animateur encadrement de chantier puis j’ai été technicien au sein de la brigade EEE pendant un an, avant de m’occuper son encadrement depuis 2020.

L’équipe de la Brigade EEE Normandie, avec Rémi (gauche) et Charlotte (droite) © CEN Normandie

Quelles sont vos principales missions et objectifs ?

JFD : La mise en place de la brigade d’intervention EEE correspond à notre mission la plus importante en terme en moyens humains et financiers. Lorsque nous rentrons dans la période d’activité de la brigade (de mai à octobre), la dynamique est vraiment différente : avec l’arrivée de nouvelles personnes à encadrer, la réalisation des chantiers, etc. En plus, la brigade permet de faire de l’animation et de la communication sur les EEE, et va ainsi catalyser beaucoup de nouvelles missions sous-jacentes (formation, retours d’expérience, connaissance, animation territoriale, etc.).

CB : Après sur les missions que nous portons avec le PREEE, c’est aussi avant tout de mettre en œuvre et d’animer la stratégie régionale sur les EEE (dont un des volets corresponds à l’animation de la brigade) et d’accompagner élus et agents des collectivités et les gestionnaires d’espaces naturels dans la gestion des EEE.

Qui sont vos partenaires ? Avec quels organismes travaillez-vous le plus souvent ?

JFD : La brigade travaille essentiellement avec les services techniques des collectivités, des syndicats de bassin versant, des parcs naturels, etc. Maintenant, nous travaillons aussi beaucoup avec la Fédération Régionale des Chasseurs de Normandie, avec qui nous développons une application (baptisée Géo3E) pour géolocaliser les EEE.
Nous avons un partenariat avec l’Agence Normande de la Biodiversité et du Développement Durable (ANBDD), notamment pour développer les supports de communication des formations que nous réalisons. Pour la flore, nous travaillons en lien avec les deux conservatoires botaniques nationaux de notre territoire (CBN de Bailleul et CBN de Brest).

CB : Nous attendons la création du CBN Normandie, qui devrait nous permettre de n’avoir qu’un seul référent sur la région (ndlr : en savoir plus).

Comment s’articule la stratégie régionale normande et son programme d’actions ?

CB : Nous avons une Stratégie régionale relative au EEE qui couvre actuellement la période 2018-2022 et qui est la suite de la stratégie déclinée en Basse Normandie de 2013 à 2015. C’est le CEN qui a rédigé la stratégie, mais elle s’adresse à l’ensemble des acteurs normands. Ensuite, au sein du CEN Normandie, nous avons le PREEE (programme régional EEE) qui est calibré autour de cette stratégie. Le dernier programme a été déposé en janvier, pour la période 2022-2024. Les actions qui sont prévues dans le PREEE dépendent des financements et peuvent s’échelonner sur différentes périodes.

JFD : Ces financements proviennent principalement de l’Agence de l’Eau Seine Normandie et de la Région. Nous avons notamment la chance que la Région Normandie intègre les EEE dans ses fonds européens de développement, avec une ligne budgétaire dédiée qui représente au total un peu plus d’un million d’euros pour trois ans. C’est essentiel pour le fonctionnement de la brigade.

Pouvez-vous présenter en quelques mots votre réseau et sa structuration ?

JFD : En Normandie, nous n’avons pas vraiment de réseau structuré. Il va dépendre des missions et des actions à opérer dans le cadre du PREEE. Le CEN Normandie est moteur sur les 5 axes de la stratégie régionale. Bien que ce n’était pas une volonté à l’origine, c’est comme ça que cela s’est développé pour l’instant. Après, bien entendu, nous bénéficions de l’appui de la DREAL pour le volet prévention, qui agit comme un partenaire. L’ANBDD s’était bien investi sur la communication et dès que nous avons des questions sur le volet connaissance, nous pouvons nous adresser auprès des CBN. Toutefois, il ne s’agit pas de structures référentes comme ça peut être le cas dans d’autres régions, mais plutôt de partenaires.

Des travaux sont menés pour améliorer la gestion des déchets de plantes exotiques en Normandie © CEN Normandie

Êtes-vous en relation avec d’autres coordinations régionales ?

JFD : S’occupant du territoire de l’ex-Basse Normandie, Charlotte est souvent en relation avec la coordination Centre-Val de Loire.

CB : Il y a aussi des échanges ponctuels avec les coordinateurs des stratégies bretonnes, des Hauts-de-France ou encore des Pays de la Loire. L’année dernière, j’ai beaucoup travaillé en lien avec Charline Teffaut, du CEN Centre-Val de Loire, sur un projet coordonné concernant la gestion des déchets de plantes exotiques. Nous avons la chance d’avoir plusieurs coordinateurs EEE au sein du réseau des CEN, avec aussi une coordination à l’échelle du Bassin de la Loire et une coordination nationale animée par la FCEN.

RM : Après, cette coordination vise plus le partage de connaissances qu’une réelle articulation pour coordonner les actions entre les régions. Nous partageons nos expériences, mais pas forcément les suivis cartographiques et je pense que c’est l’une des limites. D’ailleurs nous l’avons indiqué dans notre dernier programme et nous espérons pouvoir améliorer cet aspect de la coordination interrégionale.

Vos actions concerne-t-elle uniquement la faune ou la flore, ou bien les deux ? Travaillez-vous sur le milieu marin ?

JFD : La flore domine nos préoccupations car au niveau de la brigade, nous intervenons uniquement sur la flore. Concernant la faune, nous sommes présents en termes d’accompagnement et de connaissances, mais pas sur de la gestion directe. Sur le milieu marin, nous avons enfin fait une première réunion avec le réseau des Sentinelles de la mer Normandie. C’est un monde qui nous est totalement nouveau ! Nous ne connaissons pas forcément les espèces ciblées mais nous nous sommes proposés de les accompagner sur l’aspect communication, en lien avec nos outils déjà existants.

RM : Pour compléter sur la flore, c’est surtout majoritaire pour des raisons historiques et par l’activité de la brigade. Nous avons deux interlocuteurs sur cette thématique (les CBN) tandis que pour la faune, c’est une nébuleuse beaucoup plus difficile à prendre en compte. Maintenant que nous avons un contact à l’OFB (Office français de la biodiversité), nous allons pouvoir avancer plus sereinement, mais pour chaque taxon vient tout un lot d’acteurs, ce qui complexifie la structuration du réseau. Par exemple, lors de l’élaboration des listes hiérarchisées, nous avons mobilisé 26 experts, rien que pour mammifères, oiseaux et poissons, crustacés d’eau douce.

En parlant d’espèces, avez-vous des listes régionales et qui les réalise ?

JFD : Nous avons animé le groupe de travail pour l’élaboration des listes pour la faune. Au début, nous pensions réaliser des listes hiérarchisées très rapides, basées sur dires d’experts. Puis l’OFB nous a demandé de nous appuyer sur une base bibliographique, ce qui est en effet très bien, mais prend aussi beaucoup plus de temps. En parallèle, nous étions pressés par la Région, qui souhaitait que nous puissions proposer cette liste d’ici la fin de l’année 2021. Avec les difficultés de 2020, les réunions de travail pour l’élaboration de cette liste n’ont commencé qu’en janvier 2021. Nous avons recruté quelqu’un pour faire une première phase de bibliographie et mobilisé une vingtaine d’étudiants pour compiler un maximum de références. Lors des réunions de travail, les experts avaient donc toutes ces ressources à disposition et cela a abouti à une liste hiérarchisée pour la faune de 58 espèces, qui devrait être diffusée prochainement.

CB : La hiérarchisation pour la faune a été faite selon la méthode ISEIA (Invasive Spacies Environmental Impact Assessment). Pour la flore, il y a eu une liste réalisée en 2019 par les deux conservatoires botaniques nationaux. Elle réunit les listes des deux anciennes régions, afin de proposer une liste commune à la Normandie. Nous attendons aussi les méthodologies nationales pour les prochaines actualisations des listes.

Rencontrez-vous des difficultés ou des contraintes sur certaines thématiques ?

Charlotte, en pleine session d’arrachage © CEN Normandie

JFD : Nous ne sommes pas encore assez reconnus des autres acteurs comme étant les animateurs du programme régional (PREEE). Lors de l’élaboration de la liste hiérarchisée, nous avons réuni des acteurs qui ne nous connaissaient pas toujours et nous n’avons pas forcément la légitimité de les coordonner. Nous avons tout de même pu animer le groupe assez sereinement et il y a eu beaucoup d’échanges. Les gens ont appris à se connaitre à l’issue de ces ateliers de travail et cela a contribué à l’animation du réseau régional.

RM : Cela rejoint aussi notre manque de légitimité au niveau règlementaire. Le PREEE inclut des actions sur ce volet, mais nous n’avons aucune légitimité à les réaliser. Nous ne sommes pas des agents assermentés donc ces actions n’avancent pas forcément.

CB : Du côté de la brigade, les actions d’arrachage peuvent parfois être lassantes. Nous ne voyons pas toujours l’évolution derrière ces actions et au fur et à mesure de la saison, la motivation des équipes diminue. Le travail est très éreintant et il faut une bonne condition physique. Il faut trouver des personnes motivées.

JFD : Heureusement, nous avons toujours eu de la chance dans nos recrutements. Avec aussi des personnes ayant des bonnes compétences naturalistes. En mélangeant la prospection et les interventions, ça permet de décomposer la journée et de ne pas faire uniquement de l’arrachage pendant 6 heures.

Si vous aviez la possibilité de faire disparaître de votre région une population d’EEE, laquelle serait-ce et pourquoi ?

Crassule de Helms © CEN Normandie

Tous : La Crassule de Helms (Crassula helmsii).

RM : Sur le terrain, on observe des milieux se faire complètement coloniser, et à des vitesses parfois fulgurantes ! Ce qui la rend redoutable, c’est qu’elle pousse toute l’année, avec tout de même un pic à la période printemps-été. Sur l’un des sites que Charlotte suit depuis peu, nous pensions que nous avions encore la possibilité d’agir efficacement mais on s’est très vite rendu compte que c’était fini.

CB : Après, la crassule est surtout présente dans des milieux anthropisés, comme des mares de chasse et de gabions. En l’occurrence sur ce spot, il y a eu un aménagement paysagé réalisé sur une ancienne zone humide, aujourd’hui la crassule a une très grande emprise et la colonisation va très vite.  La lame d’eau est remplie de crassules.

JFD : Cela rejoint les difficultés que certains gestionnaires évoquent concernant la jussie en forme terrestre : nous sommes complètement démunis et n’avons peu de connaissances ou de moyens efficaces de gestion. C’est un problème vis-à-vis des élus et même des services techniques car nous ne pouvons pas leur proposer de solution. Il y a un objectif à atteindre (l’élimination de la plante), mais aucune action n’aboutit à un résultat concret. Au mieux, nous arrivons parfois à la contrôler et limiter son expansion mais même sur 1 m², tu n’es pas sûr de pouvoir intervenir efficacement.

RM : Depuis 2 ans, elle est beaucoup plus présente que ce que nous imaginons. Maintenant que nous communiquons plus largement sur cette plante, on s’aperçoit qu’il s’agit d’une espèce très répandue, mais très discrète dans les premiers temps. En Normandie, les mares de gabion sont bien atteintes et nous craignons la colonisation de l’ensemble de la frange littorale, avec le déplacement des oiseaux migrateurs qui peuvent transporter des fragments de plantes. Aussi, nous rencontrons de plus en plus de sites multi-infestés (avec la présence de plusieurs EEE), ce qui rend les interventions de la brigade plus compliquées.

Quelles sont les EEE sur lesquelles vous êtes actuellement les plus sollicités ?

JFD : Évidemment la Crassule de Helms, mais il y a aussi la Berce du Caucase, le myriophylle (Myriophyllum aquaticum) et les renouées.

CB : Pour la renouée, c’est plus en termes de sollicitations téléphoniques et ça concerne moins les chantiers de la Brigade par rapport aux autres espèces précédemment citées. L’année dernière, j’ai eu beaucoup de collectivités qui m’ont appelé pour des problématiques de renouées sur leurs chantiers. En pleine saison je n’ai pas une semaine, sans qu’on m’appelle à propos des renouées !

JFD : Disons que pour les conseils, c’est effectivement pour de la renouée que nous sommes sollicités. Tandis qu’en terme d’action, la brigade intervient surtout sur le myriophylle et la berce. Par contre, pour ma part, je constate une augmentation des sollicitations en lien avec la Berce du Caucase (Heracleum mantegazzianum). Les personnes font plus attention, car il commence à y avoir des cas de brûlures. Et de fait, on nous parle beaucoup plus de cette espèce, notamment lors des formations que nous donnons.

Sur quel(s) projet(s) travaillez-vous actuellement et quels sont les projets à venir pour les prochains mois ?

RM : Il faut que nous continuions les listes pour la faune, et notamment pour les amphibiens, les reptiles, les mollusques et les insectes.

JFD : Sur les projets en cours de finalisation, il y a le développement d’une application de géolocalisation et notre nouveau site internet (https://preee-normandie.fr/). Comme nous l’avons mentionné, l’application Geo3E est réalisée avec la Fédération Régionale des Chasseurs de Normandie. Pour démarrer, nous avons ciblé 13 plantes exotiques envahissantes qui présentent un intérêt pour nous et qui sont facilement reconnaissables. Après comme pour toutes applications de ce type, il y a toujours le problème de la validation des données et c’est pourquoi nous démarrons avec uniquement ces 13 espèces, mais lorsque l’application montera en puissance, nous en ajouterons et notamment des animaux. Elle sera modulable.

RM : L’application est réservée à un public averti et seules les personnes qui auront été formées, pourront l’utiliser. Cela devrait contribuer à limiter le risque d’erreurs. Nous préférons avoir moins de données, mais de meilleure qualité, plutôt qu’un gros jeu de données qui pourraient être fausses.

Pour finir, quel est l’aspect de votre travail que vous appréciez le plus ?

CB : Ce qui me motive, c’est la diversité des missions que je réalise dans le cadre de mon travail. Au cours d’une seule journée, je peux réaliser beaucoup de choses différentes, allant de la rédaction d’un article de presse à des projets de vidéo (ndlr : Salut les envahis), le recrutement de la brigade ou encore la préparation de formations, etc.

RM : J’aime particulièrement la période d’encadrement de la brigade et voir l’évolution des chantiers d’une année sur l’autre. On voit que ce que nous faisons est nécessaire et efficace, malgré toutes nos difficultés, il y a des chantiers pour lesquels on voit ensuite les populations locales se réinstaller. Et qui sait, peut-être qu’un jour nous trouverons la solution pour enrayer l’établissement de la crassule ?

JFD : Au final, ce qui m’a réconforté lorsque nous avons fait le bilan de la stratégie, c’est de voir que nous avons initié beaucoup d’actions dont certaines sont aujourd’hui réalisées et opérationnelles. Le bilan nous a permis d’avoir une vision plus globale, et nous pouvons nous féliciter d’avoir fait autant d’actions en trois ans.

 

Lien et ressources à partager :

Découvrir le nuancier Espèces exotiques envahissantes en Normandie

Carte des interventions de la brigade : http://cen-normandie.com/preee/brigade/

Article du CDR EEE « Une nouvelle stratégie régionale relative aux espèces exotiques envahissantes en Normandie » (T. Prey, janvier 2018)

Les financeurs du Programme régional EEE Normandie :

 

Rédaction : Cet entretien a été mené le 25 janvier 2022, en présence de Madeleine Freudenreich (Comité français de l’UICN), Charlotte Bouin, Jean-François Duffaux et Rémi Mandra (CEN Normandie).

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