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Premiers essais de contrôle biologique des renouées asiatiques au Royaume-Uni et aux Pays-Bas

Introduction

Dans une information mise en ligne sur son site fin octobre 2020, CAB International ou CABI (pour Centre for Agricultural Bioscience International) indiquait la mise en place, avec son appui, de la première expérimentation de contrôle biologique d’une espèce exotique envahissante aux Pays-Bas. Il s’agit de l’introduction en milieu naturel d’un insecte suceur de sève, un psylle (Aphalara itadori), espèce originaire du Japon, spécifique des renouées asiatiques et capable de réduire très fortement leur production végétale.

Ce n’est pas un hasard si le CABI se retrouve sur cette problématique : il est en effet depuis très longtemps engagé à l’échelle mondiale sur des aspects de contrôle biologique (voir le dossier sur le contrôle biologique des EEE et l’article sur le biocontrôle de la Balsamine de l’Himalaya) portant à la fois sur la défense des cultures et la gestion d’EEE en milieu naturel. Sur ce second sujet, il a en particulier développé depuis une vingtaine d’années un programme de recherche portant sur la gestion des renouées asiatiques.

 

L’expérience britannique

Japanese Knotweed, (Fallopia japonica) © GB Non-native species secretariat

Là encore, pas vraiment de hasard : les dommages causés par les renouées asiatiques au Royaume-Uni étaient devenus suffisamment perceptibles à l’échelle nationale pour qu’un tel programme soit lancé en 2000 au nom d’un consortium comportant des services gouvernementaux des transports, des eaux et de l’environnement. En effet, introduites en Grande-Bretagne au milieu du XIXe siècle comme plantes de jardins ornementaux, elles se sont ensuite très largement répandues dans une grande diversité d’habitats naturels, y causant des dommages de plus en plus apparents.

Ce qui explique qu’elles aient fait partie des espèces évaluées dans le rapport de 2010 d’analyse des coûts économiques des espèces non indigènes envahissantes en Grande-Bretagne, ciblant à la fois les coûts de dommages qui pouvaient être estimés, telles que les dévalorisations de terrains ou de bâtiments, et les coûts de gestion, par exemple sur l’entretien des réseaux routiers et ferrés.

Les premières enquêtes menées au Japon dans le cadre du programme du CABI ont permis d’identifier 186 espèces d’arthropodes et plus de 40 espèces de champignons, “ennemis naturels” ayant des impacts sur les renouées asiatiques.


Une recherche de longue durée

A l’aide de tests sur 90 plantes autochtones placées dans des installations de quarantaine au Royaume-Uni, la plupart de ces ennemis ont été progressivement retirés de la liste des agents de contrôle potentiels pour arriver à l’identification d’un insecte spécifique aux renouées, le psylle Aphalara itadori. Trois années supplémentaires d’expérimentations ont permis de confirmer cette la spécificité de l’espèce pour les renouées asiatiques. Il a été démontré que le risque de dommages aux espèces végétales indigènes causé par ce psylle était très faible. Ce petit insecte suceur de sève, de 2 mm, achève son développement uniquement sur la renouée asiatique.

Le psylle Aphalara itadori, agent de contrôle biologique potentiel pour la Renouée du Japon © R. Shaw

A la suite d’une consultation publique et après autorisation, A. itadori a été relâché pour la première fois en 2010 dans une dizaine de sites au Royaume-Uni. Les lâchers ont lieu dans le cadre d’essais sur le terrain dont le protocole comprenait un plan de surveillance permettant d’enregistrer l’impact du psylle sur la renouée japonaise, mais aussi de détecter tout effet négatif sur les plantes et les invertébrés indigènes. Ceci afin de vérifier l’innocuité de l’introduction pour les espèces non-ciblées.

Bien que de premiers lâchers massifs aient eu lieu en 2010-2013 (dont 150 000 individus en 2013), aucun impact négatif n’a été observé. Ils n’ont toutefois pas permis à A. itadori de s’établir en grandes populations. Un essai de terrain en conditions contrôlées a également montré que l’insecte était sans impact sur les invertébrés indigènes, même lorsqu’il était présent en forte densité. Une nouvelle licence a alors été délivrée, autorisant le lâcher des psylles à proximité de cours d’eau, susceptibles d’offrir de meilleures conditions pour l’établissement d’une population.


Des résultats encourageants

Au cours des étés 2015 et 2016, un programme intensif de lâchers et de surveillance a été mené en collaboration avec les groupes d’action locale et les autorités sur des sites en Angleterre et au Pays de Galles. Des psylles adultes ont été trouvés sur tous les sites, mais en faible nombre et en plus faible abondance vers la fin de la saison. De jeunes psylles, des nymphes, ont été observées sur la plupart des sites, sans impact significatif sur l’environnement.

À l’automne 2016, des adultes prêts à hiverner (morphologie hivernale) et des psylles plus jeunes ont été relâchés, ce qui a permis une survie hivernale sur plusieurs sites. Depuis, trois autres campagnes de lâchers ont été réalisées, comprenant des adultes en morphologie hivernale couplés à une nouvelle lignée de psylles.

Des populations composées de nouveaux psylles élevées à partir d’adultes ayant hiverné en plein air ont été relâchées en priorité sur des sites en Angleterre et au Pays de Galles en 2017, mais les conditions environnementales difficiles ont conduit à de faibles établissements et hivernages. Des lâchers de ces nouveaux psylles ont été effectués en 2018, mais leur établissement est resté limité et les survies hivernales observées dans les Midlands, au sud-est et au sud-ouest étaient minimes. Aucun lâcher n’a été fait en 2019 et la persistance des populations semble très faible. Une nouvelle étude a été entreprise au Japon en juin 2019 pour collecter des psylles mieux adaptés aux conditions climatiques du Royaume-Uni.

 

La mise en œuvre du programme aux Pays-Bas

Les essais sur le terrain prévus aux Pays Bas dans le cadre de ce programme sont coordonnés par Suzanne Lommen, entomologiste de l’Institut de biologie de l’Université de Leyde, œuvrant au sein d’un consortium rassemblant divers partenaires publics et privés.

Parmi les partenaires, hormis le CABI et l’Université de Leyde, se trouvent un groupe de travail sur les espèces nuisibles des gestionnaires régionaux de l’eau (“Pest Species Work Group of the Dutch Water Authorities“), la Fondation néerlandaise pour la recherche appliquée sur l’eau (STOWA), une société de conseil à but non lucratif, basée aux Pays-Bas, spécialisée dans le secteur de la gestion durable de la forêt et du bois (Probos) et une entreprise privée développant des “biosolutions” permettant d’améliorer la santé, la résistance et la production des cultures alimentaires et ornementales (Koppert Biological Systems).

Le programme bénéficie également du soutien d’agences des eaux néerlandaises, des agences gouvernementales chargées des infrastructures publiques (autoroutes, voies fluviales : Rijkswaterstaat) et du réseau ferroviaire (Prorail), et de diverses municipalités.

Dans son article en ligne, le CABI présente des éléments d’un entretien avec Suzanne Lommen, rappelant les attentes et les objectifs du programme, la nature de l’agent biologique utilisé et les espoirs de succès de la première expérimentation de cette nature aux Pays-Bas. L’entomologiste y indique que les conditions du développement des psylles introduits ne sont pas encore connues mais que l’espèce japonaise est originaire d’une région où le climat est similaire à celui des Pays-Bas.

Relayé aux Pays-Bas par la Fondation pour la recherche appliquée sur l’eau (STOWA), l’article du CABI y est accompagné de quelques précisions sur le programme dans une note intitulé “Japon vs Japon“. Hormis des considérations générales, cette courte note précise que quelques milliers d’insectes ont été lâchés le 22 octobre 2020 dans trois sites d’essais en milieu naturel. La localisation de ces sites n’est évidemment pas précisée pour assurer la sécurité du déroulement de l’expérimentation. Janny Vos, membre du CABI, y indique que les essais en chambre climatique dans des conditions de température et d’humidité constantes ont donné de bons résultats. La vérification en milieu naturel permettra de décider d’une application à venir avec des élevages et des lâchers en masse.

Cette note rappelait par ailleurs qu’une annonce de ce programme de recherche avait déjà été publiée dans un article de la lettre d’information “STOWA TER INFO” N°75 de la Fondation, datée de l’hiver 2019-2020. Cet article en langue néerlandaise titrait “Essai de contrôle biologique de la renouée japonaise : exotique contre exotique” (“Proef met biologische bestrijding japanse duizenknoop: exoot versus exoot“). Suzanne Lommen y signalait que les premières discussions avec d’éventuels partenaires sur ce projet dataient de seulement six mois et que, à la mi-décembre 2019, les demandes d’autorisation et de financement avaient été faites. Elle espérait que le programme puisse débuter avant l’été 2020.

Elle indiquait incidemment qu’une autorisation avait déjà été obtenue de la part du Conseil néerlandais pour l’autorisation des produits phytopharmaceutiques et des biocides (Ctgb) pour un essai avec un “champignon japonais pour lutter contre la renouée japonaise” (“met een Japanse schimmel de Japanse duizendknoop“). Elle ne donnait aucune autre précision sur les caractéristiques prévues de cet essai, ni sur l’espèce utilisée. Elle indiquait toutefois que les essais avec l’insecte et le champignon pourraient apporter de nouveaux outils de gestion des renouées avec une différence puisque le champignon ne pouvait se reproduire et devait donc être appliqué comme un pesticide, alors que l’insecte pourrait en revanche se maintenir dans la nature en se reproduisant.

A propos des possibilités de gestion des renouées, elle indiquait également l’existence d’un arbre de décision proposé par Probos. Dans ce site web consacré à la prévention et à la gestion des renouées, se trouvent en effet un arbre de décision accompagné d’un document de référence et un protocole d’interventions rassemblant 13 fiches d’information distinctes.

Ce site présente également une page spécifiquement consacrée aux possibilités de contrôle biologique, insecte et champignon, des “ennemis naturels appropriés et sûrs de la renouée” (“veilige natuurlijke vijanden van de duizendknoop“). Le champignon cité est Mycosphaerella polygoni-cuspidati, une espèce faisant l’objet d’un programme de recherches depuis plusieurs années, mené en particulier par le CABI. Une autorisation d’expérimentation de son utilisation aux Pays-Bas a été accordée en septembre 2019 par le Ctgb, permettant de débuter des recherches en laboratoire.

Aphalara itadori, dénommée dans le site “puce des feuilles” (“bladvlo“), a reçu en juillet 2020 une autorisation d’application l’exemptant de recherches supplémentaires aux Pays-Bas, probablement grâce aux résultats déjà disponibles des recherches menées en Grande-Bretagne. Cette autorisation a donc permis les premiers lâchers d’A. itadori en octobre 2020. Il s’agit maintenant d’appliquer les protocoles de suivi de ces populations pour en examiner le devenir.

 

Quelques remarques en guide de conclusion

L’interview de Suzanne Lommen dans l’article de la lettre d’information “STOWA TER INFO” N°75 se termine par ses considérations sur l’importance de la recherche et sur son analyse du domaine du contrôle biologique où, selon elle, les échecs ont plus souvent fait l’objet de médiatisations que les réussites : “Au cours des 100 dernières années, plus de 500 ennemis naturels ont été libérés contre plus de 200 espèces de plantes envahissantes à l’échelle mondiale”. Et elle constatait qu’”en Europe, cela ne s’est produit que cinq fois, et seulement depuis 2010″. D’où l’espoir qu’elle portait sur les essais à venir, comme une nouvelle méthode de gestion applicable aux Pays-Bas.

Dans le dossier du Centre de ressources datant de 2014, un rapide panorama de ces méthodes de gestion des EEE, s’appuyant sur quelques exemples de réalisation et/ou de succès extraits de la littérature mondiale, se terminait lui par des questionnements sur les risques de leur application. Parmi eux la nécessité de “contrôler le moyen de contrôle”, risque important et difficile à évaluer dès lors que le moyen employé est une espèce, susceptible non seulement de se reproduire (ce qui est attendu) mais aussi de se disperser (ce que font nombre d’espèces) voire de modifier ses comportements et d’élargir ses capacités d’impacts sur d’autres espèces que celles originellement ciblées.

Cette dernière évolution, source de dommages écologiques collatéraux, est précisément ce que l’on cherche à éviter par les recherches préalables menées quelquefois pendant plus d’une décennie pour acquérir une certitude quant à la spécificité de l’agent que l’on souhaite introduire.

Ce risque est toujours présent mais les arrivées régulières d’informations sur les expérimentations, les réalisations et les succès de mises en œuvre de modes de gestion d’EEE à l’aide d’agents de contrôle biologique montrent que les améliorations constantes des techniques d’analyses, des protocoles de recherche et des échanges de données et de résultats semblent contribuer à le réduire. Par ailleurs, les évaluations sans cesse plus précises des impacts multiples et croissants des invasions biologiques à l’échelle mondiale amènent dans un certain nombre de situations à relativiser l’ampleur de ce risque, en considérant de plus que les autres techniques de gestion ne peuvent répondre à tous les besoins d’intervention.

Les convergences entre ces deux observations pourraient donc conduire à examiner avec moins d’aprioris négatifs les possibilités d’application de contrôle biologique.

En France, rappelons que l’identification de méthodes de contrôle biologique opérationnelles dans les contextes métropolitain et ultramarin fait partie d’une action de la stratégie nationale relative aux EEE (Action 8.1). Mis en œuvre dans certaines collectivités d’outre-mer (voir par exemple le contrôle biologique du Miconia en Polynésie française ou celui de la Vigne-maronne à la Réunion), le contrôle biologique ne fait pas l’objet de programme ciblant des espèces végétales exotiques envahissantes en métropole. Différentes réflexions et actions, impliquant notamment la FCEN, Montpellier SupAgro et le CSIRO sont en cours pour faire un état des lieux des actions de contrôle biologique menées en Europe et proposer une liste de plantes exotiques envahissantes pouvant être ciblées par des programmes de contrôle biologique à développer en métropole.

 

Rédaction : Alain Dutartre, expert indépendant

Relecture : Madeleine Freudenreich et Emmanuelle Sarat, Comité français de l’UICN

 

Illustration d’en-tête  © CABI/Richard H. Shaw


Pour en savoir plus :

Autres articles du Centre de ressources EEE sur le biocontrôle :

N.B. : plusieurs articles sont venus compléter le dossier de 2014, dont trois portant sur les recherches et les programmes de gestion développés en Afrique du Sud :