
Les 6èmes Journées internationales de Limnologie et Océanographie se sont déroulées dans les locaux de l’INP-ENSEGID à Bordeaux du 14 au 17 octobre. Organisées sous l’égide de l’Association Française de Limnologie, elles ont permis une nouvelle fois de regrouper la communauté francophone de l’écologie des eaux douces et des eaux marines avec une ouverture vers le monde des gestionnaires.
Cinq sessions de communications orales se sont succédées du début d’après-midi du lundi au mercredi en fin d’après-midi. La journée du jeudi consacrée à des visites de terrain, soit vers l’estuaire de la Gironde et l’Ile Nouvelle, soit vers le bassin de l’Eyre (lagunes et fleuve) et les lacs du littoral, a facilité de nombreux échanges entre participants très décidés malgré des conditions climatiques plutôt humides !
Les thèmes abordés dans les communications ont concerné le monitoring écologique, la bioindication et les suivis à long terme, les risques émergents caractérisant les milieux aquatiques doux, saumâtres et marins côtiers, les liens entre changements globaux et biodiversité et la restauration des écosystèmes.
Une session spécifique a été consacrée à la problématique des espèces exotiques ou envahissantes. La conférence introductive à cette session, “Espèces non indigènes ou envahissantes“, a été présentée par Cécile MASSÉ, membre du REST, au nom d’une quinzaine de co-auteurs appartenant à divers organismes. Intitulée “Les espèces non indigènes marines sous haute surveillance dans le bassin d’Arcachon : cas particulier du gastéropode prédateur Rapana venosa“, cette conférence a tout d’abord comporté un panorama de la règlementation s’appliquant aux milieux marins, dont la Directive Cadre Stratégie Milieu Marin ou DCSMM, suivi d’éléments d’informations issues des trois premières années du programme de surveillance engagé dans ce cadre dans le bassin d’Arcachon. Ces données confirment la détection chaque année de nouvelles espèces non indigènes et contribuent à mieux identifier les habitats les plus colonisés par ces espèces.

Rapana venosa ©Holger Krisp
Cette conférence s’est terminée sur une présentation du gastéropode asiatique prédateur de bivalves, Rapana venosa, dont la répartition dans le bassin d’Arcachon a été estimée à l’aide d’une enquête auprès des professionnels et par détection à partir de l’ADN environnemental (projet RAPSODI). Le comportement trophique de R. venosa a également été étudié expérimentalement pour déterminer les espèces de bivalves préférentiellement prédatées et anticiper les potentiels impacts sur les activités conchylicoles du Bassin.
La session proprement dite a comporté huit communications orales portant successivement sur :
- des évaluations des capacités de germination de Ludwigia peploides dans le contexte des marais charentais, en lien avec la régulation de cette espèce et les risques de germination en fonction des types de sols en cas de dépôts locaux des plantes extraites,
- un bilan de la colonisation du lac Léman par la moule quagga (Dreissena rostriformis bugensis), dont l’extension très rapide conduit à une homogénéisation des habitats naturels et à des pertes de diversité biologique, pouvant aussi affecter certains cycles biogéochimiques du lac,
- un panorama de la gestion et des recherches menée depuis un demi-siècle sur plusieurs plantes aquatiques exotiques envahissantes dans les lacs et étangs du littoral aquitain,
- une étude de la tolérance haline de Callinectes sapidus, le crabe bleu, aux colonisations très rapides depuis 2020 dans diverses lagunes méditerranéennes françaises et particulièrement en Corse, afin de mieux comprendre les réponses potentielles de cette espèce face aux changements globaux et locaux, pour développer des stratégies de gestion adaptées,
- une approche multisites des biotopes colonisés dans l’hexagone par la Crassule de Helms (Crassula helmsii) pour en préciser la niche écologique et les modalités de gestion. Ce travail en cours a déjà fait l’objet d’une enquête diffusée par le CDR,
- les premiers résultats d’une recherche menée sur une compétition possible entre deux espèces d’Isoétides, une indigène (Lobelia dortmanna) et l’autre, exotique, Sagittaria graminea, en cours d’expansion rapide dans quelques sites d’un lac aquitain,
- une modélisation de la répartition des macrophytes dans les lacs aquitains sous l’effet du réchauffement climatique, permettant la mise en place d’une gestion adaptative des espèces exotiques envahissantes déjà très présentes dans ces plans d’eau,
- des évaluations des rôles dans le cycle global du carbone sur le terrain et en laboratoire des espèces Ludwigia hexapetala, Crassula helmsii et Egeria densa.
Sur cette thématique des espèces exotiques envahissantes, deux posters et deux communications orales insérées dans d’autres sessions ont porté sur :
- les dynamiques des banques de semences des écosystèmes colonisés par Ludwigia spp. en Belgique et leurs impacts sur les possibilités de gestion,
- la caractérisation des communautés de macroinvertébrés du complexe lacustre du lac Ossa au Cameroun associées à Echinochloa pyramidalis (espèce indigène) et à Salvinia molesta (exotique envahissante),
- l’écologie, les impacts et les méthodes d’échantillonnages en milieu lacustre du gobie à tache noire (Neogobius melanostomus). Ce poisson originaire de la mer Caspienne et de la mer Noire a été observé depuis 2011 dans l’hexagone et depuis 2017 dans des plans d’eau du Var et des Alpes-de-Haute-Provence,
- les impacts des altérations physiques d’origine anthropique sur les dynamiques écologiques des macrophytes aquatiques dans les lacs et étangs aquitains, incluant espèces indigènes et espèces exotiques envahissantes.
A cette liste peut être adjoint le poster de présentation du CDR affiché lors de cette manifestation : “Le Centre de Ressources sur les Espèces Exotiques Envahissantes, créateur de liens recherche-gestion” (page 62 du recueil des résumés).
Ayant réuni plus de 80 personnes dans une excellente ambiance d’échanges scientifiques faciles parce que chaleureux, avec un comité d’organisation efficace et ayant très bien pris en compte les besoins de nourritures terrestres en complément des autres, ces Journées ont donc aussi été une occasion pour poursuivre les réflexions sur l’écologie et la gestion de diverses espèces exotiques envahissantes en milieu marin et d’eau douce. Un total de 11 communications orales sur les 40 présentées et la diversité des approches portant sur ces espèces illustrent nettement l’accroissement permanent des recherches sur cette thématique que le changement climatique en cours risque fort de continuer à imposer.
N.B. : Durant le colloque, lors des pauses et temps d’échanges, il a été également possible de découvrir et d’échanger sur trois Jeux sérieux (“Serious Game”) proposés en démonstration : Mental’Eau, DiadESLand et MigrationS.
Le programme des communications et le recueil des résumés de l’ensemble de ces présentations (orales et posters) sont accessibles en ligne.
Rappelons enfin que l’Association Française de Limnologie avait organisé le 14 juin 2022 un webinaire sur le thème des espèces exotiques envahissantes auquel le REST du Centre de Ressources avait notablement contribué. Ce webinaire, le deuxième d’une série annuelle Science, Gestion, Société (SGS) développée par l’association, a été suivi par plus de 160 participants (scientifiques, gestionnaires, institutionnels). Il est à retrouver sur la vidéo disponible sur la chaine YouTube de l’AFL et une synthèse des informations et des débats est également disponible ici.
Rédaction : Alain Dutartre, expert indépendant
Relecture : Christian Chauvin, INRAE
Photo en bandeau : La Leyre à Trensacq (Gironde). ©Archives Sud Ouest / Philippe Taris