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Recherches en cours du CABI sur les possibilités de contrôle biologique de quelques plantes exotiques envahissantes.

Le centre suisse du CABI installé dans le canton du Jura depuis 1948 mène des recherches dans différents domaines concernant la lutte biologique contre les espèces exotiques envahissantes, notamment plantes et insectes, l’analyse des risques et écologie des invasions, la gestion des écosystèmes et la gestion intégrée des cultures.

Dans une récente publication est présenté un bilan 2023 des recherches menées sur les possibilités de contrôle biologique de 21 plantes exotiques envahissantes en Amérique du Nord, en Australie et en Europe.

Parmi elles, une quinzaine d’espèces d’origine européenne, dont des herbacées terrestres (prairies et cultures), comme par exemple le Liseron commun (Convolvulus arvensis), considéré comme une des plus importantes nuisances dans les zones agricoles de nombreuses régions tempérées des États-Unis, et deux espèces du bord des eaux, le Jonc fleuri (Butomus umbellatus) et le roseau commun (Phragmites australis).

Par ailleurs, d’autres travaux de recherche portent sur cinq plantes exotiques considérées comme particulièrement envahissantes en Europe pour lesquelles les gestionnaires européens rencontrent toujours de nombreuses difficultés d’interventions, l’Ailante glanduleux (Ailanthus altissima), le Myriophylle du Brésil (Myriophyllum aquaticum), le Robinier (Robinia pseudoacacia), la Renouée du Japon (Reynoutria japonica) et la Balsamine de l’Himalaya (Impatiens glandulifera).

Pour mémoire, avant sa mise en œuvre effective, les étapes de développement d’un programme de contrôle biologique comportent, entre autres investigations, la recherche d'”ennemis naturels” de l’EEE ciblée, c’est-à-dire de consommateurs ou de pathogènes actifs sur l’espèce dans son aire d’origine. Après identification de ces “ennemis”, les recherches portent plus particulièrement sur leurs capacités d’adaptation dans le contexte écologique de l’aire d’introduction et leur spécificité sur l’EEE ciblée, une spécificité vérifiée par des tests portant sur une large gamme d’espèces indigènes de l’aire d’introduction.

L’ensemble de la démarche appliquée à un taxon exotique cible pour arriver à valider la spécificité de l’ennemi naturel identifié demande nécessairement une succession de tests et de vérification pouvant occasionner  une durée de mise en œuvre dépassant deux décennies. D’une année à l’autre, les résultats obtenus dans la progression des recherches peuvent ainsi rester apparemment peu importants mais ils permettent cependant de poursuivre cette construction de long terme.

Le rapport du CABI examiné ici est une illustration du caractère particulier d’une telle démarche, présentant le pas annuel réalisé et son contexte : les travaux de 2023 de son équipe suisse ont porté sur diverses espèces d’acariens, d’insectes (Coléoptères, Hémiptères, Lépidoptères) et une espèce de champignon.

MYRIOPHYLLUM AQUATICUM

Myriophyllum aquaticum  – Myriophylle du Brésil ©Emilie Mazaubert, Centre de ressources EEE

Larves (à gauche) et adulte (à droite) de Lysatia sp. se nourrissant de Myriophylle du Brésil ©CABI

Inscrite également dans la liste des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l’Union Européenne, le Myriophylle du Brésil (Myriophyllum aquaticum), plante aquatique amphibie largement répandue dans l’hexagone, y a déjà fait l’objet de nombreuses interventions de gestion, principalement arrachages manuels et mécaniques, et de retours d’expériences disponibles en ligne.

Dans un chapitre présentant l’espèce au sein d’un ouvrage très récent (été 2024) couvrant les programmes de contrôles biologiques au Canada de 2013 à 2023, la partie consacrée aux recherches sur les agents de contrôle de M. aquaticum est un point actualisé sur les connaissances acquises. Il est en particulier noté qu’au moins deux coléoptères ont été identifiés comme pouvant provoquer des dommages aux plantes. Il s’agit d’une espèce de Lysathia sp. (Chrysomelidae) et de Listronotus marginicollis (Curculionidae).

Lysathia sp. se nourrit des feuilles de la plante et pond ses œufs sur le bourgeon terminal des tiges : après éclosion les larves, puis les adultes, consomment les feuilles, ce qui peut conduire à une forte défoliation des plantes. Cette consommation permanente peut ainsi provoquer la disparition progressive des herbiers de M. aquaticum.  Les adultes de L. marginicollis se nourrissent des feuilles de la plante et surtout des bourgeons terminaux. Les femelles pondent des œufs dans les feuilles et les larves se nourrissent des feuilles puis percent la tige et y creusent des tunnels. Ces larves mineuses peuvent ainsi fortement affaiblir les plantes.

L’évaluation de la spécificité de ces deux taxons par des chercheurs sud-africains vis-à-vis de M. aquaticum a conclu à l’absence de risques pour la flore indigène pour l’Afrique du Sud et la dissémination de Lysathia sp. à partir de 1994 y a depuis montré l’efficacité du coléoptère pour contrôler M. aquaticum (voir par exemple HIIL & COETZEE, 2017).

Les travaux du CABI ont porté sur Lysathia sp. Les tests de gamme d’hôtes se sont poursuivis avec apparemment une attention particulière aux autres espèces de Myriophyllum puisque  12 d’entre elles sont maintenant concernées. Il est précisé que des tests ont débuté sur Myriophyllum hippuroides, originaire d’Amérique du Nord, “étroitement liée” à M. aquaticum,  et M. heterophyllum prélevé dans le port de Dijon. Des tests à long terme et à choix multiples sur plusieurs mois mélangeant les parties émergente de M. aquaticum et de plusieurs autres espèces (ce que le rapport présente comme “jardins japonais” : “Japanese garden“) ont montré qu’un peu de consommation s’était produit sur les espèces non ciblées mais la ponte n’avait eu lieu que sur M. aquaticum. À la fin des tests, les plants de M. aquaticum étaient pratiquement inexistants et la population de Lysathia sp. était éteinte, montrant la quasi-absence de consommation des espèces non ciblées. Le rapport précise que ce modèle expérimental de test (“jardin japonais”) est prometteur, car il simule un processus de sélection de l’hôte plus complexe que l’insecte pourrait expérimenter sur le terrain.

Evolution du “jardin japonais” en septembre 2022, montrant le développement de la communauté végétale au fil du temps avec une nette réduction de M. aquaticum due à Lysathia sp. ©CABI

Les travaux ont aussi concerné une autre espèce de Curculionidae, Phytobius vestitus. Ce charançon, originaire d’Amérique du Nord a récemment été identifié en Louisiane et son élevage a débuté en 2022 après la récupération d’individus collectés en Louisiane et au Texas. Des tests de comportement de l’espèce par olfactométrie ont montré que dans des conditions de non-choix, l’insecte était attiré par M. aquaticum et indifférent aux autres espèces non-cibles, à l’exception d’une espèce de Myriophyllum, M. crispatum (une espèce australienne). Dans des conditions de choix, P. vestitus a significativement préféré M. aquaticum dans tous les tests, donnant des résultats jugés prometteurs.

Une publication présentant ces résultats est déjà disponible. Les analyses du comportement de recherche et de sélection d’hôtes de P. vestitus sur 7 autres espèces de Myriophyllum (dont M. heterophyllum),  couplées à celles des composés organiques volatils (COV) émis par les différentes espèces, ont bien démontré que P. vestitus était capable de discriminer huit espèces de plantes pourtant étroitement apparentées. L’espèce était significativement plus attirée par les signaux olfactifs émis par la plante cible, M. aquaticum, que par ceux des autres espèces testées.

Selon ses auteurs, cette étude fournit une première indication importante de la spécificité de P. vestitus et montre le rôle de la chimie des plantes dans la sélection des hôtes et la possibilité d’affiner l’évaluation de la gamme d’hôtes pour les agents potentiels de contrôle biologique. Toutefois, une évaluation exhaustive des risques en vue d’une éventuelle dissémination dans de nouveaux environnements ciblés reste nécessaire et doit faire l’objet d’investigations supplémentaires.

Phytobius vestitus sur le Myriophylle du Brésil (Myriophyllum aquaticum) © 2019 Rodrigo Diaz

AILANTHUS ALTISSIMA

Ailanthus altissima ©Emilie Mazaubert, Centre de ressources EEE

Microscopie électronique à balayage d’un adulte Aculus taihangensis ©Biljana Vidovic, Université de Belgrade

Originaire d’Asie, Ailanthus altissima (Faux Vernis du Japon) est un arbre pouvant atteindre 25 m de hauteur inscrit dans la liste des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l’Union Européenne. Arrachage manuel et mécanique, coupes répétées ou cerclage des troncs, fauchage répétés des jeunes plants sont des techniques régulièrement utilisées, avec des résultats variables.

Elle fait partie des cinq espèces arbustives sur lesquelles porte le programme REEVES (Recherche sur les Espèces Exotiques Végétales EnvahissanteS) lancé depuis 2019 par la SNCF pour réduire les dommages causés au réseau ferroviaire.

Des recherches sur des agents de contrôle biologique de l’espèce ont débuté depuis au moins deux décennies aux Etats-Unis et en Europe, portant principalement sur des insectes, des acariens et des champignons. Parmi les champignons, Verticillium nonalfalfae a d’ailleurs été proposé comme agent de lutte biologique après des observations de morts d’individus d’A. altissima dans des forêts du nord-est des Etats-Unis et, à la suite d’expérimentations, l’application d’un bioherbicide l’utilisant a été temporairement approuvée en Autriche pour une courte période en 2017 et 2018 (EPPO, 2020).

Les travaux du CABI portent sur un acarien originaire de Chine, également présent en Europe et aux États-Unis, Aculus taihangensis, appartenant à une famille d’acariens parasites des plantes provoquant l’apparition de galles ou de déformation des feuilles. Il s’agit de tests de spécificité de l’hôte menés en laboratoire sur plusieurs espèces non ciblées originaires d’Amérique du Nord. Les premiers résultats montraient de très fortes abondances d’acariens sur les plants d’ailante et des chiffres très faibles sur une seule des autres espèces et des symptômes de l’activité des acariens (déformation des feuilles), exclusivement sur les plants d’ailante, correspondant à la spécificité attendue. Des tests ultérieurs sur d’autres espèces nord-américaines contribueront à mieux évaluer cette spécificité.

ROBINIA PSEUDOACACIA

Robinia pseudoacacia ©Elodie Russier-Decoster, Centre de ressources EEE

Larve de Obolodiplosis robiniae ©Gyorgy Csoka

Introduit en France depuis le début du 17° siècle, le Robinier faux-acacia (Robinia pseudoacacia), arbre originaire d’Amérique du Nord pouvant atteindre de grandes tailles, a été très largement dispersé sur l’ensemble de la planète, en particulier pour ses qualités d’espèce ornementale ligneuse à croissance rapide, stabilisatrice de substrats instables et améliorante du sol (par fixation d’azote), mais également comme espèce mellifère, fourragère, ornementale et productrice d’un bois de bonne qualité technologique.

A contrario, ses capacités d’envahissement de milieux naturels, liées entre autres à ses possibilités de fixation d’azote atmosphérique, lui permettent de modifier les communautés végétales présentes  créant des dommages à certaines communautés dont la conservation est souhaitée, ce qui en fait une espèce objet de controverses toujours existantes entre forestiers et protecteurs de la nature. Ce qui explique, par ailleurs, que cette espèce ne figure pas dans la liste des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l’Union Européenne.

Ainsi que le signale le rapport du CABI, le Robinier reste cependant considéré comme une espèce envahissante dans certaines régions du monde comme par exemple en Afrique du Sud, où l’application de moyens mécaniques et d’herbicides ne suffisent pas à contrôler l’espèce et où des recherches sur les possibilités de son contrôle biologique sont donc en cours.

Son installation en Europe depuis aussi longtemps a facilité le transfert depuis l’Amérique du Nord d’un grand nombre de ses ennemis naturels où certains causent des dommages aux arbres installés. Des études menées en 2020 et 2021 ont permis d’identifier trois agents de lutte biologique potentiels du Robinier, insectes d’Amérique du Nord présents en Europe, pouvant provoquer la chute prématurée des feuilles des arbres, soit deux lépidoptères mineurs de feuilles, Phyllonorycter robiniella et Parectopa robiniella, et un diptère enrouleur de feuilles, la Cécidomyie Obolodiplosis robiniae. Tous trois déjà repérés par chercheurs et forestiers (voir par exemple).

Les travaux du CABI sur le Robinier portent donc sur la gamme d’hôtes de ces espèces en Europe dans l’objectif d’une introduction potentielle en Afrique du Sud. Pour ce faire, des tests en plein champ et en cage exposant des espèces non ciblées de la même famille que R. pseudoacacia sont actuellement menés. Dans le test en plein champ avec 10 espèces non ciblées, des galles ont été trouvées sur trois des plantes et les larves collectées pour une identification moléculaire. Pour les tests en cage, sept plantes non ciblées et deux plantes témoins ont été installées dans trois cages extérieures. Des collectes régulières sur le terrain de galles de la Cécidomyie et de tiges minées par les deux lépidoptères ont permis des relâchés d’adultes dans les cages. Les dégâts éventuels sur les plantes témoins et les espèces non ciblées seront enregistrés et les insectes seront élevés pour confirmer leur identité.

N.B. : à propos de la Cécidomyie, une récente publication de ZHAO et al (2023) présente des prévisions quant à sa distribution sur le continent eurasien en lien avec le changement climatique.

FALLOPIA JAPONICA

Aphalara itadorii © 余世文

Introduite depuis le 19° siècle pour son intérêt ornemental et mellifère, la Renouée du Japon (Fallopia ou Reynoutria japonica), accompagnée de la renouée géante, F. sachalinensis, et leur hybride, la renouée de Bohème, F. x bohemica, est une des plantes exotiques envahissantes les plus répandues dans l’hexagone, en bordure des cours d’eau et des infrastructures linéaires de transport, routes et voies ferrées.

De très nombreuses interventions de gestion ont déjà été entreprises sur ces taxons – et le sont toujours depuis plusieurs décennies avec des résultats très variables  – à la fois sur les parties végétatives hors sol (tiges) et les systèmes racinaires (rhizomes puissants et pouvant être profonds dans les sols favorables) : les divers retours d’expériences (“Renouées asiatiques“) montrent bien l’ampleur et la nature des difficultés de gestion rencontrées, y compris dans le cadre du traitement des déchets verts, via l’organisation de filière pour ces traitements.

De nombreuses recherches ont été menées pour identifier des agents de contrôle biologique des Renouées exotiques, notamment insectes herbivores et champignons pathogènes. La plupart des espèces testées ont été jugées insuffisamment spécifiques. Le choix s’est porté sur une espèce de  psylle (insecte hémiptère suceur-piqueur) d’origine asiatique, Aphalara itadori, présentant un niveau de spécificité élevé vis-à-vis de ses hôtes qui sont exclusivement des renouées asiatiques. Les travaux engagés en Grande-Bretagne sur cette espèce ont débouché sur une première libération en milieu naturel en 2010. Dans une publication de 2014, il était indiqué que les premières observations montraient que la population introduite avait survécu à l’hiver, ce qui était encourageant, mais qu’elle ne s’était apparemment pas encore dispersée.

Une autre lignée du psylle, collectée en 2019 à Murakami (préfecture de Niigata, Japon, causait des dommages importants sur les plantes, avec des feuilles fortement recroquevillées (“severely curled leaves“) dans cette région du Japon aux conditions climatiques proches des conditions européennes.

Le rapport du CABI précise que les premières disséminations de la “lignée Murakami” ont eu lieu sur des populations de renouées de Bohème aux Pays-Bas en 2020, de renouées du Japon et de Bohème en 2021 au Royaume-Uni et sur des populations de renouées du Japon en 2021 au Canada. Pour les populations de F. x bohemica au Royaume-Uni, les adultes ont passé l’hiver avec succès et des dommages graves dus à l’enroulement des feuilles ont été observés.

Les travaux récents du CABI ont porté sur les comportements de cette lignée, à l’origine de la production des galles d’enroulement des feuilles, par des expériences en plein champ et en semi-champ. Parmi ces expériences, le recours à des “galles artificielles” (des sachets en filet où étaient introduites des psylles) a favorisé la survie des nymphes et dans l’expérience en semi-champ des galles d’enroulement des feuilles ont été produites sur les renouées de Bohème et du Japon. Dans une publication récente (2023) sur Reynoutria × bohemica présentant ces expérimentations, il est par exemple indiqué que les plantes exposées au psylle pendant 4 semaines présentaient une réduction de l’élongation de la tige et de la surface foliaire par rapport aux plantes témoins. Par ailleurs, les observations montraient que la formation des galles ne se produisait que lorsque les feuilles étaient attaquées à un stade très précoce de leur développement, ce qui pourrait permettre de mieux programmer les périodes de libération des nymphes pour accroître leur efficacité. Ces acquis expérimentaux vont venir compléter la démarche de contrôle biologique des renouées et, ainsi qu’il est noté dans la publication de 2023, fournir une motivation pour rechercher d’autres lignées d’A. itadori qui pourraient affecter de manière similaire d’autres espèces de renouées envahissantes.

Installation expérimentale en conditions semi-contrôlées de Fallopia japonica et Fallopia x bohemica inoculées avec Aphalara itadori au CABI au Royaume-Uni.

IMPATIENS GLANDULIFERA

Impatiens glandulifera ©Emilie Mauzaubert, Centre de ressources EEE

Puccinia komarovii var. glanduliferae telia ©CABI

Plante herbacée pouvant atteindre deux mètres de haut, aux fleurs odorantes très visibles, roses, rouges ou pourpres, la Balsamine de l’Himalaya (Impatiens glandulifera) a été introduite en Europe au XIXème siècle comme plante ornementale et mellifère. Dans l’hexagone, elle a été observée à partir du début du XXème siècle, principalement en zones humides et en bordure de cours d’eau.

Elle peut s’installer dans les biotopes favorables en massifs monospécifiques denses pouvant y réduire la diversité floristique. Considérée comme une plante exotique envahissante en Amérique du Nord et en Europe, elle est inscrite sur la liste des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l’Union Européenne. Selon la densité et la superficie de ses populations, les modes de gestion sont principalement de l’arrachage manuel, complété si possible de l’extraction de son système racinaire, et un fauchage régulier peut permettre de réguler ses développements sur des superficies plus importantes en épuisant progressivement le stock de graines contenu dans les sols.

En Grande-Bretagne à partir de 2006, le CABI a lancé un programme de lutte biologique contre cette espèce. Après des études menées entre 2006 et 2010 dans l’aire d’origine de la plante, en Inde et au Pakistan, une rouille (champignon)  pouvant causer des dommages importants  à la plante a été identifiée et testée. Après établissement de sa spécificité, ce champignon, Puccinia komarovii var. glanduliferae, infectant la tige et les feuilles durant toute la saison de croissance de la plante, a été approuvé comme agent de contrôle puis disséminé.

De 2015 à 2018, une souche de la rouille provenant de l’Inde a été disséminée sur 36 sites, en Angleterre et au Pays de Galles. Une variation significative de la sensibilité à la rouille des populations végétales visées ont amené à tester une autre souche venant du Pakistan qui s’est avérée efficace sur d’autres populations de balsamine. Les résultats présentés en 2020 montraient que le champignon était capable d’hiverner et donc d’établir des populations dans les peuplements de balsamine, se propageant à partir des sites de dissémination et maintenant une infection fréquente des feuilles en été.

Une évaluation de P. komarovii comme agent de contrôle biologique de la balsamine est également en cours au Canada où la plante est présente dans huit provinces. Les résultats d’une étude moléculaire ont indiqué que les populations de la balsamine du Canada étaient génétiquement très proches de populations les plus courantes en Grande-Bretagne, confirmant que la plante avait été introduite au Canada depuis ce pays. La sensibilité très variable des populations végétales au champignon, pouvant aller de faibles niveaux d’infection jusqu’à une résistance, ont amené à rechercher d’autres souches pour assurer un contrôle efficace au Canada. De 2020 à 2022, d’autres souches de rouille ont été obtenues en Inde et au Pakistan. L’une d’entre elle n’a pas donné les résultats escomptés. Une autre s’est établie avec succès sur des plants de balsamine de Grande-Bretagne. D’autres tests de sensibilité sur des populations canadiennes de balsamines sont en cours, tout comme des recherches de souches supplémentaires en Inde et au Pakistan.

Exporter des agents de contrôle biologique vers l’Amérique du Nord ?

Les travaux intercontinentaux du CABI ont également concernés deux espèces bien connues des milieux aquatiques européens devenues envahissantes en Amérique du Nord à la suite de transports anthropiques.

Il s’agit du Jonc fleuri (Butomus umbellatus), espèce largement répandue dans l’hexagone, inscrite dans la liste rouge de l’UICN de la plupart des régions et largement considérée comme “espèce déterminante de l’inventaire ZNIEFF”. Observée en Amérique du Nord à partir de la fin du 19°siècle, elle y est maintenant présente dans toutes les provinces du Canada et dans la plus grande partie du nord des États-Unis où son statut d’EEE ne paraît pas contesté (voir par exemple).

De même, la sous-espèce européenne du roseau commun, identifiée comme Phragmites australis ssp. australis Trin. ex Steud, introduite en Amérique du Nord probablement au début du 19° siècle, a progressivement gagné le continent, y compris le sud du Canada, où ses peuplements, plus denses et plus grands, peuvent remplacer les populations indigènes. C’est pourquoi elle y fait l’objet depuis plusieurs décennies d’interventions de gestion appliquant diverses méthodes de contrôle.

En matière de recherche d’agents de contrôle biologique “européens”, les travaux du CABI sur le Jonc fleuri ont porté sur trois espèces. Ils concernaient un coléoptère, Bagous nodulosus, utilisant des adultes produits par le laboratoire ou collectés en Slovaquie, transférés aux Etats-Unis et dont une partie ensuite envoyée au Canada. Des tests avec les larves mineuses des feuilles et des tiges fleuries d’une mouche (Diptère), Phytoliriomyza ornata, dont la consommation entraine des réductions de biomasse de B. umbellatus, ont déjà examiné 39 espèces de plantes non ciblées pour lesquelles aucun développement larvaire n’a été constaté, ce qui correspond à une relative spécificité de P. ornata. Enfin, des travaux débutés en 2016 portent sur un champignon pathogène, Doassansia niesslii, pouvant infecter les plantes complètement immergées du Jonc fleuri. Les recherches portent sur l’identification d’une souche capable d’attaquer les types génétiques de la plante cible les plus fréquents en Amérique du Nord.

Pour ce qui est du Roseau commun, les recherches concernent deux espèces européennes de Lépidoptères,  Archanara neurica et Lenisa (Archanara) geminipuncta. Les larves mineuses de ces papillons de nuit de la famille des Noctuidae (noctuelles) se nourrissent à l’intérieur des tiges d’espèces de roseaux, dont Phragmites communis et Phalaris arundinacea.

Le projet du CABI a débuté en 1998 avec des collectes des “ennemis naturels” du roseau sur différents sites européens, s’est poursuivi avec des sélections successives parmi des espèces de noctuelles, pour finalement se concentrer sur ces deux espèces.

Les résultats des tests ont montré qu’elles pouvaient se développer sur la sous-espèce de roseau indigène d’Amérique du Nord, mais sur aucune des autres plantes testées. Le fait que les deux insectes puissent se développer sur la sous-espèce indigène américaine n’excluait cependant pas qu’ils puissent être des agents de biocontrôle potentiels car les cycles de vie différents entre la sous-espèce indigène et la sous-espèce européenne semblaient réduire les risques de leur transmission à la sous-espèce américaine.

Les tests se sont donc poursuivis et, après la mise en place d’élevages en Suisse des deux espèces de papillons, des lâchers sur le terrain au Canada ont eu lieu depuis 2019. A partir de 2021, le développement de l’élevage a permis d’expédier des milliers d’œufs et des centaines de pupes pour soutenir les lâchers en cours au Canada, expéditions qui se sont poursuivies en 2023.

Rédaction : Alain Dutartre (expert indépendant)

Relecture : Camille Bernery (Comité français de l’UICN)

Crédits de la photo en bandeau : Syndicat mixte Vienne Gorre (SMVG)