Biosécurité : une évaluation des efforts développés au Canada

 In dossiers de la lettre d'information

Préambule : qu’est-ce que la biosécurité ?

Dans son dossier sur la biosécurité de 2007, la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) donne une définition très complète de ce qu’est la biosécurité :

Une approche stratégique intégrée qui englobe le cadre des politiques et le cadre réglementaire (y compris les instruments et les activités) pour analyser et gérer les risques pesant sur la vie et la santé des personnes, des animaux et des plantes et les risques associés pour l’environnement.

Elle englobe la sécurité sanitaire des aliments, les zoonoses, l’introduction d’organismes nuisibles et de maladies animales et végétales, la propagation d’organismes vivants modifiés (OVM) et de leurs produits (par exemple des organismes génétiquement modifiés, ou OGM) et l’introduction et la gestion des espèces exotiques envahissantes.

L’ensemble des réglementations et pratiques de gestion permettant de réduire la dispersion et les impacts des espèces exotiques envahissantes (EEE) à toutes les échelles géographiques et administratives font donc, bien sûr, absolument partie de cette démarche mondiale qui s’est progressivement imposée à tous les acteurs institutionnels ou non confrontés à ces espèces.

Journée d’échange frontalière à Concarneau (16-17 mai 2019) & Affiche d’information et d’alerte (FFVoile, 2020)

Depuis 2014, après de premières informations sur le sujet ayant trait à des liens entre certains usages des milieux et les besoins de biosécurité, d’autres articles et documents ont été mis en ligne par le Centre de ressources EEE pour maintenir une vigilance sur cette problématique globale, dont en particulier une journée d’échange transfrontalière sur la biosécurité des milieux aquatiques marins et d’eau douce tenue en mai 2019 à Concarneau et qui a fait l’objet d’un document de synthèse largement diffusé fin 2020. Il peut également s’agir de la mise en ligne d’informations spécifiques sur un cas bien identifié, comme par exemple une campagne d’information sur la découverte de moules zébrées (Dreissena polymorpha) dans un plan d’eau de Haute-Loire, ou encore de la coopération mise en place avec la Fédération Française de Voile. Débutée fin 2018 par une enquête sur les plantes aquatiques gênant les pratiques, cette coopération a déjà permis la réalisation d’une affiche d’information et d’alerte largement distribuée et se poursuit actuellement par l’élaboration d’une “fiche-réflexe”.

Si la mise en place de règlementations mondiale, européenne et nationale sont maintenant bien perçues comme nécessaires, la prise de conscience d’une autre nécessité, celle de l’adaptation des pratiques d’intervention, en particulier sur le terrain et à l’échelle locale, reste toujours à parfaire, tant les situations et les espèces à gérer sont multiples. De même, si de nombreux états ont développé des démarches nationales de biosécurité plus ou moins élaborées et adaptées à leur contexte, il est toujours extrêmement utile de les examiner pour en extraire des modalités, des idées et des pratiques qui pourraient être adaptées au contexte français.

C’est dans ce but qu’a semblé utile la transcription d’une publication d’une équipe de chercheurs canadiens de l’Université Carleton à Ottawa, présentant un panorama des efforts du Canada en matière de biosécurité,.

La biosécurité en matière d’EEE au Canada : introduction

Dans leur article, après une présentation générale du contexte mondial sur la crise de la biodiversité, des travaux internationaux engagés dans le cadre de la Convention sur la diversité biologique (CDB) et de la problématique des EEE, les auteurs précisent bien que l’objet unique de leur travail est une évaluation des efforts de biosécurité développés au Canada.

En matière de définition de ce terme, ils se réfèrent à son sens environnemental en citant les définitions utilisées en Australie et en Nouvelle-Zélande et proposent des définitions des principaux termes (Tableau 1).

Tableau 1 : Définitions opérationnelles de la terminologie utilisée.

Biosécurité (= biosécurité environnementale) : Prévention active, atténuation et éradication des foyers d’EEE afin de maintenir l’intégrité des écosystèmes naturels, des relations entre l’homme et la nature, des industries concernées et de la santé publique.
Espèces exotiques envahissantes (EEE) : “Animaux, plantes ou autres organismes qui sont introduits dans des lieux situés en dehors de leur aire de répartition naturelle et qui ont un impact négatif sur la biodiversité indigène, les services écosystémiques ou le bien-être humain ” (UICN 2017).
Gestion proactive (préventive) : Pratique consistant à créer et à mettre en œuvre des politiques visant à empêcher l’établissement d’EEE dans des zones nouvelles, englobant la prévention, la détection précoce et la réponse rapide (éradication de petites populations).
Voie d’accès : Voies par lesquelles les EEE sont transférées d’un écosystème à un autre, de manière délibérée et (ou) accidentelle.
Gestion réactive : Pratique consistant à créer et à mettre en œuvre des politiques pour atténuer les impacts des EEE une fois qu’elles se sont établies dans des zones nouvelles.
Vecteur : Voies spécifiques de transfert par lesquelles les EEE sont transférées au sein d’une filière donnée.

Les EEE représentent des problèmes de biosécurité à tous les niveaux de juridiction (pour le Canada, cela signifie du local/municipal, provincial, jusqu’au fédéral) sans tenir compte des frontières politiques. Comme dans les autres pays, une biosécurité efficace est cruciale pour le Canada, dont les habitants dépendent de la stabilité et du fonctionnement d’un large éventail d’écosystèmes.

Une identification des facteurs différenciant le Canada des autres nations en matière de biosécurité est suivie d’une comparaison des pratiques avec d’autres nations confrontées à des défis similaires en matière d’organisation et (ou) de biosécurité, puis de la présentation de quatre études de cas et des stratégies et des enjeux pour se terminer par des recommandations d’amélioration de ce domaine de gestion.

Le Canada, un contexte unique

Ainsi que le rappellent les auteurs, prévenir l’établissement d’EEE dans le deuxième plus grand pays du monde est une tâche ardue en raison de facteurs de risque géographiques, écologiques et démographiques particuliers.
Le Canada possède trois vastes littoraux (Atlantique, Pacifique et Arctique) susceptibles d’accueillir de nombreuses EEE marines. Il partage près de 9 000 km de frontière avec les États-Unis comportant de nombreux points d’entrée potentiels pour la propagation secondaire d’EEE terrestres pouvant en provenir (Perrault et al., 2003). Les Grands Lacs laurentiens et les autres plans d’eau partagés rendent également le Canada très vulnérable aux EEE aquatiques provenant des systèmes d’eau douce des États-Unis (Vander Zanden et al., 2008).
De plus, ce très vaste territoire abrite une très faible densité de population et des écosystèmes naturels en partie intacts, surtout dans les régions nordiques. Un densité routière réduite peut entraîner moins de dispersion des EEE par l’homme mais certaines EEE peuvent se disperser rapidement dans les habitats favorables rendant plus difficiles les éradications. Les efforts d’éradication peuvent poser des défis logistiques importants car nécessitant la coordination entre les gouvernements fédéral, autochtones et provinciaux/territoriaux.

La détection précoce des EEE peut être difficile dans les zones inhabitées ou aux très faibles densités de population mais les citoyens canadiens sont collectivement motivés pour protéger la nature (Wright et al., 2019). Cette motivation pourrait permettre de détecter ou de prévenir plus rapidement la dispersion des EEE, d’autant plus si elle est relayée par des campagnes de sensibilisation du public. Les auteurs citent par exemple l’initiative “Ne déplacez pas de bois de chauffage” (“Don’t Move Firewood”) se référant aux risques de transports non contrôlés d’insectes ravageurs dans le bois de chauffage (Koch et al., 2012 ; Jentsch et al., 2020). D’autres activités récréatives canadiennes courantes comme la pêche, le camping (Drake et Mandrak, 2014) ou la navigation de plaisance (Johnson et al., 2001) peuvent aussi contribuer à la dispersion des EEE.

Un dernier point concerne le fait que le Canada est situé sur les territoires traditionnels de nombreuses nations autochtones dont le mode de vie est étroitement lié à la nature. Les répercussions écologiques et culturelles des EEE peuvent conduire à la mise en place de partenariats avec d’autres parties prenantes pour les gérer ce qui pourrait aider à améliorer les résultats en matière de biosécurité et les relations intercommunautaires (Reo et al., 2017).

Les efforts du Canada en matière de biosécurité

Les auteurs rappellent que de nombreux groupes et organisations développent des pratiques de biosécurité. Tous les niveaux de gouvernement canadien (fédéral, provincial, municipal) sont concernés, ainsi que des institutions universitaires, des ONG, des entreprises et les communautés autochtones.

Un tableau récapitulatif des politiques et règlements fédéraux canadiens mis en œuvre dans la gestion des EEE figurant dans l’article n’est pas commenté ici.

En 2002, une Stratégie nationale sur les EEE a été approuvée par les ministres de la Faune, des Forêts, des Pêches et de l’Aquaculture des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Elle comporte quatre étapes : (i) la prévention des nouvelles invasions, (ii) la détection précoce des nouveaux envahisseurs, (iii) la réponse rapide aux nouveaux envahisseurs, et (iv) la gestion des envahisseurs établis et en expansion (Government of Canada, 2004). L’étape de la prévention est la plus efficace et la plus rentable de la stratégie et se produit avant que l’EEE ne soit entrée au Canada. En matière de prévention, le gouvernement canadien a adopté de nombreuses stratégies de surveillance, comme le programme canadien sur les eaux de ballast ou les normes internationales sur les emballages en bois.

Des plans d’action et des fonds d’urgence sont prévus pour l’éradication, le confinement ou le contrôle rapide des EEE. Des analyses de risque et des analyses avantages-coûts sont utilisées pour prioriser les stratégies de gestion des espèces les plus menaçantes lors des deux dernières étapes de cette stratégie. (Government of Canada, 2004)

À l’heure actuelle, aucun ministère ou organisme central ne supervise l’ensemble des efforts de biosécurité préventive au Canada dans toutes les voies d’invasion. Le Centre de biosécurité du gouvernement fédéral se concentre uniquement sur les menaces pour la santé publique et ne tient pas compte des menaces pour la biodiversité (Government of Canada, 2017). Les ministères ou organismes fédéraux impliqués dans la biosécurité et la gestion des EEE prenant en compte les menaces pour la biodiversité comprennent Pêches et Océans Canada (MPO), l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), Ressources naturelles Canada (RNCan) et Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC). Transports Canada et l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) collaborent avec ces ministères et organismes pour faire respecter les règlements aux frontières canadiennes et surveiller les activités de voyage et de commerce international dans les voies d’entrée.

En ce qui concerne les EEE introduites au Canada pour l’aquaculture, l’horticulture, l’agriculture, l’élevage, la foresterie ou d’autres fins ornementales, la responsabilité incombe principalement à l’ACIA et à l’ASFC. L’ACIA fournit des règlements et des exigences en matière d’importation de plantes, d’animaux et d’autres organismes, ainsi que des outils disponibles gratuitement (par exemple le Système automatisé de référence à l’importation) pour les importations d’espèces couvrant une multitude de fins. L’ASFC collabore avec les autorités fédérales et provinciales pour empêcher l’introduction d’EEE au Canada et applique les règlements sur le transport des espèces (y compris l’importation) aux frontières du Canada (ASFC, 2020).

Les EEE aquatiques sont principalement gérées par le MPO, et les EEE terrestres, y compris les insectes, les plantes et d’autres classes d’animaux, par l’ACIA. Transports Canada est responsable de la prévention des introductions d’EEE aquatiques en réglementant les vecteurs liés aux navires, comme les eaux de ballast, les salissures de la coque, la pêche commerciale, la navigation de plaisance et la cargaison des navires.
Le transport maritime est une voie commune pour les EEE terrestres (comme les insectes envahissants et les ravageurs des plantes) par le vecteur des matériaux d’emballage en bois, principalement réglementé par l’ACIA et le Service canadien des forêts qui fait partie de RNCan.
L’ACIA gère également d’autres EEE terrestres, comme les espèces végétales envahissantes. Les importations, les ventes et les mouvements internationaux de plantes sont réglementés par une Loi sur les semences. Les plantes réglementées nécessitent un permis d’importation. La biosécurité agricole est gérée à l’aide du Guide national de planification de la biosécurité à la ferme. Cette stratégie vise à protéger la santé publique, le rendement économique et les impacts environnementaux, mais reste rarement axée sur les impacts sur la biodiversité.

De nombreuses ONG contribuent à cette lutte contre les espèces. Par exemple, le Conseil canadien sur les espèces envahissantes travaille principalement à prévenir l’introduction des EEE par les principales voies d’accès, et le Centre sur les espèces envahissantes a créé un Réseau de détection précoce et de réponse rapide en Ontario pour impliquer le public.
D’autres ONG, telles que l’Invasive Species Council of British Columbia et la Conservation of Arctic Flora and Fauna, collaborent avec les communautés autochtones.
Le gouvernement canadien a soumis un rapport à la CDB en 2018 pour présenter les progrès réalisés en vue de l’objectif de biosécurité. Le rapport indiquait que le Canada était sur la bonne voie pour atteindre cet objectif, qu’il avait identifié les voies prioritaires, renforcé le cadre réglementaire pour la prévention et le contrôle des EEE, et souligné les lacunes en matière de connaissances. Par exemple, des évaluations de risques et des plans de gestion ont été réalisés pour les voies à haut risque telles que les eaux de ballast, la navigation de plaisance et les matériaux d’emballage en bois.

Des plans nationaux ont été créés pour des EEE prioritaires comme les Carpes asiatiques, l’Agrile du frêne (Agrilus planipennis), le Bombyx disparate (Lymantria dispar var. asiatica), un ravageur des forêts de feuillus, les moules zébrées et quagga. Dans ce rapport, les principales lacunes identifiées en matière de connaissances étaient les maladies animales émergentes, le commerce des animaux de compagnie, le commerce électronique et la dispersion transfrontalière en provenance des États-Unis.

N.B. : les informations présentées dans cette publication sur les questions d’organisation restent au niveau national (fédéral). Les provinces canadiennes conservent une certaine autonomie par rapport au pouvoir fédéral et, par exemple, nous avions fait état en octobre 2018 de la mise en place d’un programme de lutte contre les EEE végétales engagé par la province de Québec. Prévu pour une durée de cinq ans, ce programme est encore en cours et finance diverses initiatives. Un plan de lutte contre les EEE animales est également mis en œuvre depuis 2021. Dans les documents disponibles, se trouve un ensemble de fiches de conseils pratiques pour éviter d’introduire et de propager des EEE, fiches adressées aux horticulteurs et différents usagers, dont, rien de surprenant, les utilisateurs d’hydravions !

Comparaisons avec d’autres pays

Dans cette partie de leur article, les auteurs présentent les particularités de la gestion des EEE aux États-Unis, en Australie et en Nouvelle-Zélande.

Ces pays développés ont d’importants budgets de recherche et les moyens de répondre aux défis posés par les EEE similaires à ceux du Canada. Ces territoires ont chacun subi une colonisation européenne durant laquelle des introductions importantes d’EEE ont pu se produire. L’étendue des frontières et des écosystèmes communs aux États-Unis et au Canada implique un partage des risques liés aux EEE et l’efficacité de la biosécurité canadienne va reposer sur des efforts de coopération et de communication avec les États-Unis. L’Australie et la Nouvelle-Zélande sont des états dont les efforts de gestion des EEE sont largement reconnus et ils sont de plus, comme le Canada, des pays du Commonwealth dotés de structures gouvernementales fédérales très similaires.

Les organisations gouvernementales de ces quatre états sont relativement comparables, aussi les évolutions de la politique canadienne en matière de biosécurité pourraient s’appuyer sur les stratégies réussies dans les autres pays. Ce pourrait également être le cas pour les aspects de biosécurité impliquant la coopération entre les gouvernements autochtones et le gouvernement fédéral en Australie et en Nouvelle-Zélande.

Les auteurs détaillent pour chacun des trois autres pays la gestion politique et gouvernementale, la gestion non gouvernementale et les initiatives majeures, engagement et orientations futures en matière de biosécurité (ce qui ne sera pas présenté ici) et en proposent un résumé dans le tableau 2.

Tableau 2 : Comparatif des modalités de biosécurité développées au Canada, aux États-Unis, en Australie et en Nouvelle-Zélande.

Études de cas de réussites et d’échecs en matière de biosécurité

Pour leur présentation d’un panorama de la situation canadienne en matière d’invasions biologiques et de biosécurité, les auteurs proposent tout d’abord un tableau récapitulatif des EEE les plus problématiques classées selon les catégories de voies d’invasion de la Convention sur la Diversité Biologique.

Dans la centaine d’espèces de flore et de faune qui y est rassemblée, certaines ayant bénéficié de plusieurs voies d’introduction sont citées autant de fois, une indication de la diversité des activités humaines en cause dans la problématique.

N.B. : Dans les échanges mondiaux, des cadeaux européens aux surprises inattendues et à long terme ?

Une lecture, même rapide, de cette liste permet de repérer au moins une douzaine d’espèces issues de notre continent, certaines très facilement identifiables par leurs noms vernaculaires débutant par “European” ou “Eurasian”, comme par exemple l’Aulne (Alnus glutinosa), “European Alder” ou la Tourterelle turque (Streptopelia decaocto) “Eurasian Collared-Dove“.

Dans cette liste de cadeaux ayant traversé l’Atlantique sont également citées d’autres plantes, comme le Myriophylle à épis (Myriophyllum spicatum), la Salicaire (Lythrum salicaria), le Roseau commun (Phragmites australis) ou la Grande glycérie (Glyceria maxima) et des animaux comme la Moule méditerranéenne (Mytilus galloprovincialis), la Carpe commune (Cyprinus carpio), le Cygne (Cygnus olor), le Lièvre (Lepus europaeus), le Furet (Mustela putorius furo), et, passée la surprise, une évidence, le Cheval (Equus caballus).

Un catalogue qui va sans doute se compléter au fil des années…

Sont ensuite présentées quatre études de cas illustrant selon eux les défis “actuels et futurs” de la biosécurité canadienne avec deux exemples considérés comme des succès (“success“) et deux comme des échecs (“failure”).

Un échec historique (Historical “failure”) : les moules zébrées et quagga

Originaires d’Europe de l’Est (régions proches de la mer Noire), ces deux espèces, Moule zébrée (Dreissena polymorpha) et Moule quagga (Dreissena rostriformis bugensis), colonisent les lacs et les rivières les surfaces dures et les substrats et ont été introduites dans les Grands Lacs laurentiens par les eaux de ballast. Observées pour la première fois dans la partie américaine du lac Érié en 1986 (Carlton, 2008), elles se sont ensuite établies dans la partie canadienne du lac, puis ont gagné les autres lacs.

Cartographie des grands lacs © Plan d’action Saint-Laurent

Au moment de l’introduction de ces espèces au Canada, aucune mesure de protection n’était en place pour anticiper et prévenir leur établissement. À partir de 1989, des programmes à grande échelle de gestion des eaux de ballast ont été progressivement mis en œuvre par le gouvernement fédéral avec des règlementations obligatoires applicables en 2006. Depuis, aucune EEE ne semble s’être établie dans les Grands Lacs par le biais des eaux de ballast, bien que des introductions aient encore eu lieu au Canada, dans des systèmes marins moins bien réglementés (Scriven et al., 2015).

Un “succès” historique – le longicorne asiatique

Le Longicorne asiatique (Anoplophora glabripennis) insecte coléoptère originaire de Chine et de Corée a été largement dispersé dans le monde par le commerce, principalement par la contamination des matériaux d’emballage du bois (palettes). Les larves de cet insecte xylophage attaquent diverses espèces d’arbres en y creusant des galeries ce qui peut conduire à la mortalité des arbres infestés (Hu et al., 2009).

L’espèce a été observée pour la première fois aux États-Unis en 1996 (Haack et al., 2010). Au Canada, elle s’est établie à deux reprises. Une introduction proche de Toronto (Ontario) en 2003 a fait l’objet d’efforts d’éradication incomplets et une petite population de l’insecte restée non détectée jusqu’en 2013 a finalement été éradiquée (Natural Resources Canada, 2020). Une introduction signalée à Edmonton (Alberta) en 2019 ne semble pas avoir été suivie d’un établissement.
Les auteurs indiquent que des invasions de cette espèce pourraient entraîner de dévastatrices pertes de biodiversité, pouvant affecter les moyens de subsistance des peuples vivant au Canada, y compris les communautés autochtones, et causer des milliards de dollars de dommages aux industries canadiennes, notamment la foresterie, l’acériculture (production du sirop d’érable) et le tourisme (Natural Resources Canada, 2020).

Depuis 1990, des inspections sur les conteneurs d’expédition à la recherche d’espèces nuisibles (y compris les EEE potentielles) sont permises à l’échelle fédérale en vertu de la loi sur la protection des végétaux. A propos du court établissement (“the brief establishment“) de l’espèce de 2003 à 2013, ils notent qu’il semble avoir été d’abord remarqué par les membres de la communauté concernée plutôt que grâce aux efforts du gouvernement fédéral, mais que des inspections de l’Agence canadienne d’inspection des aliments auraient apparemment empêché une autre introduction en 2020 (Taylor, 2021).

En métropole

Anoplophora glabripennis est également présente en métropole. Sa première observation a été faite à Gien (Loiret) en 2003. Dans une note d’information du Ministère de l’Agriculture datant de 2014, il est également fait état d’une autre introduction de cette espèce en 2004 en Loire-Atlantique. Dans la fiche Wikipédia sur l’espèce sont également citées d’autres introductions, en Alsace en 2008, en Corse en 2013, en 2016 dans l’Ain). Vérification faite, l’introduction citée en 2018 à Royan (Charente-Maritime) dans cette fiche est celle d’une autre espèce de capricorne asiatique (Anoplophora chinensis) traitée en parallèle avec A. glabripennis dans les documents du Ministère. Elles sont toutes deux des organismes réglementés comme capricornes asiatiques dans le cadre de la surveillance et de la lutte contre les organismes nuisibles du Ministère de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt qui organise les interventions avec, en cas de détection avérée, des mesures de lutte obligatoires.
Des interventions de destruction des arbres infestés, seul moyen actuellement utilisable pour éradiquer ces espèces, ont été mises en œuvre dans ces sites heureusement de dimensions réduites.

Anoplophora glabripennis fait partie de la dizaine d’insectes exotiques envahissants causant les dépenses les plus importantes à l’échelle mondiale, avec des coûts annuels estimés dépassant 3 milliards de dollars, c’est pourquoi une telle attention lui est portée.

Elle peut être repérée à l’occasion d’observations des insectes adultes, d’une taille d’environ 3 cm sans les antennes, au corps noir brillant avec des taches claires de nombre et de formes variables. Les antennes annelées de taches blanches à reflets bleutés sont plus grandes que le corps. Les larves de couleur blanc crème peuvent atteindre 55 mm de longueur. Si elles sont peu visibles dans leurs galeries, les indices de leur présence sont maintenant bien connus, avec des traces de ponte en forme d’entonnoir ou en fente dans l’écorce des arbres ou encore des orifices circulaires d’environ 1 cm de diamètre. D’autres traces de forages ou des rejets de sciure sur l’écorce ou au pied du tronc d’arbre, ou de coulées de sève, sont d’autres signaux d’une possible présence.

En attendant l’ajout d’une fiche sur le site du Centre de ressources, des informations sur l’espèce sont déjà disponibles, par exemple sur le site de l’INPN, dans une fiche du CABI ou dans un article présentant des travaux d’éradication menés sur un site en Lombardie.

Un poster en langue française de l’Agence canadienne d’inspection des aliments est également disponible.

N.B. : A propos de l’introduction de A. chinensis à Royan, dans les informations fournies par la DRAAF Nouvelle-Aquitaine se trouvent des éléments sur la stratégie d’éradication mise en place, comportant des prospections réalisées deux fois par an par une brigade cynophile spécialisée dans la détection de ce coléoptère : un exemple supplémentaire des aides en matière de gestion des EEE que peuvent nous apporter les étonnantes capacités olfactives des chiens.

À l’horizon, un “échec” : Lycorma delicatula ou Fulgore tacheté (en anglais, “The spotted lanternfly“, littéralement “la mouche de la lanterne tachetée”)

Lycorma delicatula ou Fulgore tacheté – Source : Lawrence Barringer, Pennsylvania Department of Agriculture, Bugwood.org

Cette cicadelle fait partie de l’ordre des hémiptères, insectes suceurs se nourrissant de la sève de végétaux grâce à leur rostre. Lycorma delicatula est originaire de certaines régions du sud de la Chine, de Taïwan et du Viêt Nam. Elle a été détectée en République de Corée en 2004 où elle s’est largement dispersée, puis au Japon en 2008 où elle présente une répartition plus limitée. La première population américaine a été découverte en Pennsylvanie en 2014 puis l’espèce s’est dispersée dans les États du nord-est.

L’hôte préféré de L. delicatula est Ailanthus altissima, Ailante glanduleux ou Faux-vernis du Japon, une espèce déjà présente dans l’est du Canada. Les larves de l’espèce peuvent également se nourrir sur de nombreuses plantes cultivées, dont les vignes et des arbres fruitiers, et de nombreux arbres communs indigènes au Canada, par exemple, l’érable rouge (Acer rubrum) ou le hêtre américain (Fagus grandifolia) (Dara et al,. 2015). L’accumulation de miellat (sécrétions liquides) sur les arbres hôtes provenant de l’alimentation de l’insecte favorise le développement de moisissure noire parmi d’autres conséquences indirectes néfastes à la santé de l’hôte (Dara et al., 2015).

L’Ailante est largement répandu aux États-Unis, aussi cette “mouche de la lanterne tachetée” pourrait s’établir à partir des régions limitrophes du Canada qui abritent également cet arbre, comme le sud de l’Alberta et de la Saskatchewan, en Ontario, au Québec et dans les provinces maritimes (Wakie et al., 2020).

Selon Urban (2020), alors que l’insecte peut avoir des conséquences négatives sur la biodiversité, l’agriculture, dont les vignobles, et la foresterie, le Canada ne semble pas être bien préparé pour prévenir son établissement transfrontalier. Le territoire pourrait devenir particulièrement vulnérable car le changement climatique favorise l’expansion vers le nord de conditions environnementales favorables à l’insecte.

Les voies d’invasion de L. delicatula ne sont pas précisément connues mais les adultes et les masses d’œufs déposés peuvent être transportés sur du bois ou des surfaces non végétales comme les véhicules (Dara et al., 2015), rendant le transport vecteur potentiel.

Selon les auteurs, le gouvernement fédéral est conscient de la menace potentielle imminente que représente cette espèce, cependant aucun plan de surveillance active (“no clear active monitoring plans“) n’est actuellement en place.

N.B. : La publication de Wakie et al. (2020) présente les résultats de l’application d’un modèle mathématique de “niche écologique” permettant d’évaluer le risque d’établissement de Lycorma delicatula dans le monde.

Le modèle prédit des zones très appropriées pour l’espèce en Asie, Océanie, Amérique du Sud, Amérique du Nord, Afrique et Europe. Pour l’Europe sont notamment citées Espagne, Portugal, France, Italie, Allemagne, Pologne, Roumanie et Hongrie. Le grand Sud-Ouest et le Sud seraient des régions très favorables en métropole.

Une fiche sur l’espèce en langue française de l’Agence canadienne d’inspection des aliments est également disponible.

A l’horizon, le “succès” de la Carpe asiatique

« Carpe asiatique » est un terme générique désignant quatre cyprinidés : l’Amour blanc (Ctenopharyngodon idella), la Carpe argentée (Hypophthalmichthys molitrix), la Carpe noire (Mylopharyngodon piceus) et la Carpe à grosse tête (Hypophthalmichthys nobilis) (George et al., 2017).

Ces quatre espèces originaires des milieux d’eau douce d’Asie de l’Est ont des régimes alimentaires très différents : l’Amour blanc, phytophage, consomme de nombreuses espèces de macrophytes ; la Carpe argentée est zooplanctonophage ; la Carpe noire consomme principalement des mollusques et la Carpe à grosse tête, zooplancton, algues et insectes. Elles ont toutes été largement transportées dans le monde.

Après une première introduction en Amérique du Nord en 1963, de nombreuses introductions ultérieures de ces espèces pour l’aquaculture, le contrôle biologique et la manipulation de l’habitat ont eu lieu (Kelly et al., 2011) permettant à ces espèces de se disperser sur une grande partie du bassin du Mississippi.

N.B. : Début 2017, nous avons déjà mis en ligne un dossier faisant un point sur les risques d’invasion par ces espèces des grands lacs nord-américains, liés notamment à la création d’un canal reliant le bassin versant du Mississippi et les lacs, le “Chicago Area Waterway System” permettant à ces espèces d’accéder aux lacs.

Les auteurs de l’article indiquent que le gouvernement canadien est depuis longtemps conscient de la menace que représente les carpes asiatiques (Mandrak & Cudmore-Vokey, 2004) et la Carpe herbivore constitue actuellement la plus grande menace pour le Canada, car des frayères ont été observées dans la rivière Sandusky, un affluent du lac Érié (Embke et al., 2016). Selon Cudmore et al. (2017), la dispersion ultérieure de cette espèce est possible au sud du 60e parallèle dans des eaux intérieures canadiennes propices à sa survie et à son établissement.

À ce jour, hormis les observations dans la rivière Sandusky, aucune des espèces n’est confirmée comme se reproduisant, mais 28 carpes herbivores ont été capturées dans les zones canadiennes des Grands Lacs (principalement les lacs Érié et Huron ; DFO 2019), et trois carpes à grosse tête ont été capturées dans l’ouest du lac Érié au début des années 2000 (DFO 2020). De 2013 à 2016, parmi les 23 carpes herbivores capturées, 9 étaient des individus diploïdes fertiles, les autres étaient des individus triploïdes stériles. Selon les analyses réalisées, tous ces poissons étaient nés à l’extérieur des Grands Lacs et ont rejoint les lacs par des voies et des modes d’introduction non complètement identifiées.

Des observations des espèces peuvent être signalées par les pêcheurs et d’autres technologies de surveillance, dont la détection à l’aide d’analyses ADN environnemental (Guan et al., 2019), sont en cours de développement. L’efficacité des efforts futurs repose sur la poursuite de la coopération et des partenariats avec les États-Unis (Cudmore et al., 2017).

Enseignements et recommandations pour l’avenir de la biosécurité au Canada

Valoriser la biodiversité en plus des intérêts économiques et industriels existants

Selon les auteurs, les EEE ont été les principales causes de pertes de biodiversité au Canada. Par exemple, la Lamproie marine a grandement contribué à l’effondrement des plusieurs populations de poissons des Grands Lacs (Coble et al., 1990) et à l’extinction de deux espèces (Miller et al., 1989). Il faudrait donc s’attaquer aux EEE pour atteindre les objectifs de préservation de la biodiversité, or le gouvernement fédéral canadien semble plus disposé à réagir aux EEE qui présentent des risques économiques importants, plutôt qu’à celles qui en présentent pour la biodiversité et d’autres impacts économiques moins directs.

Bien que l’agriculture, la foresterie et la pêche représentent une partie importante de l’économie, les paysages canadiens uniques et diversifiés ont une valeur culturelle importante et proposent des services écosystémiques pour d’autres secteurs économiques comme le tourisme. La tendance à accorder une attention disproportionnée aux terres et aux eaux associées à des avantages économiques directs n’est pas durable et est incompatible avec les objectifs du Canada en matière de biodiversité.

Le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) s’est récemment engagé à créer un réseau canadien d’observation de la biodiversité (CAN BON). Un premier atelier exploratoire sur la création de ce réseau s’est tenu en juillet 2021 et un rapport sur cet atelier est disponible depuis février 2022. Hormis une synthèse des déclarations d’intérêts émanant de divers participants ou structures, il présente les différents échanges tenus lors de cet atelier qui a réuni 75 personnes et leurs principales constatations et conclusions quant à l’intérêt clairement partagé de cette initiative.

Créer une autorité fédérale en charge de la biosécurité

En se référant au fait que les agences gouvernementales centralisées qui dirigent les directives et les initiatives relatives à la biosécurité en Australie et en Nouvelle-Zélande semblent être très efficaces, les auteurs souhaitent la mise en place d’une autorité centrale de même nature au Canada.

Elle serait chargée d’identifier les priorités du Canada en matière de biosécurité et de coordonner les rôles des agences à plusieurs niveaux de gouvernement dans la gestion des EEE : une autorité fédérale consolidée pourrait renforcer l’efficacité des efforts provinciaux ou territoriaux en jetant les bases d’un plan d’action cohérent. Il ne s’agirait pas nécessairement d’un nouveau ministère mais d’une nouvelle structure à créer (les auteurs donnent comme exemple le Service canadien de la faune qui fonctionne au sein d’Environnement et Changement climatique Canada).

N.B. : dans l’arborescence du site internet officiel du Canada, les espèces envahissantes (protection, prévention, forêts, espèces aquatiques, bois de chauffage, navires) se trouvent au troisième niveau, après “Environnement et ressources naturelles” puis “Faune, flore et espèces” : https://www.canada.ca/fr/services/environnement/faune-flore-especes/especes-envahissantes.html

Renforcer les partenariats avec le public et les peuples autochtones

Les auteurs citent la stratégie néo-zélandaise proposée en novembre 2016 à l’horizon 2025 “A biosecurity team of 4.7 millions”, intégrant dans un même engagement toute la population “All New Zealanders playing their part“. Leur recommandation porte sur une augmentation des investissements dans l’éducation sur les EEE et la biosécurité. Ils citent d’autres initiatives développant des outils tels que des applications d’identification des espèces ou d’autres tournées vers “l’industrie et les entreprises” pour les aider à réduire leurs propres risques liés aux EEE.

Ils recommandent que les décideurs canadiens consultent plus efficacement les parties prenantes et les détenteurs de droits en matière de biosécurité et veillent à ce que les populations autochtones soient représentées : le partenariat entre les groupes autochtones et les gouvernements peut être bénéfique aux initiatives et aux relations en matière de biosécurité (Gratani et al., 2011). Le gouvernement fédéral canadien pourrait également envisager de reconnaître les efforts en matière de biosécurité, peut-être par la remise de prix comme ceux qui existent en Australie et en Nouvelle-Zélande (à l’instar de ce qui existe également en France avec le prix du Génie Écologique).

Renforcer les partenariats avec d’autres pays

Le Canada est encouragé à donner la priorité aux discussions sur la biosécurité avec ses partenaires, en particulier lors de conférences internationales comportant des accords commerciaux multinationaux. La poursuite du développement d’accords ou de normes commerciales pour réduire les menaces de biosécurité est souhaitée, avec comme bon exemple la convention internationale pour le contrôle et la gestion des eaux de ballast et sédiments des navires.

De même, un partage accru avec les autres pays sur les stratégies, les développements et les “succès” et “échecs”, comme l’utilisation des succès d’autres pays en matière de biosécurité (dont ceux des États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande) pourrait participer à l’élaboration de politiques futures. Une dernière recommandation sur ce thème porte sur le renforcement de la collaboration avec les États-Unis en raison des risques partagés de part et d’autre de la grande frontière terrestre, des Grands Lacs laurentiens et des eaux marines côtières : ils citent comme exemple la collaboration binationale sur la gestion des carpes asiatiques (Cudmore et al., 2017).

S’adapter aux conditions futures

Les politiques de biosécurité du Canada devront être souples et anticiper les changements futurs induits par l’augmentation de la population humaine et le changement climatique, exacerbant les menaces existantes dues aux EEE et en en créant probablement de nouvelles (Tableau 3). Des révisions et des adaptations des politiques pour intégrer de nouvelles informations sur ces espèces et en particulier sur les perceptions sociales des EEE seront nécessaires (Kapitza et al., 2019).

Remarque : les facteurs de stress sont définis comme la cause de l’augmentation du risque d’EEE, ils sont regroupés en deux catégories (croissance de la population humaine et changement climatique) bien qu’ils puissent être en synergie (He & Silliman, 2019).

* A propos de réglementation du commerce des animaux de compagnie, voir http://especes-exotiques-envahissantes.fr/quel-impact-de-la-legislation-sur-la-liberation-danimaux-de-compagnie-exotiques-aquatiques/ (décembre 2019)
* * Sur ces risques, voir aussi une alerte parue en 2014 attirant l’attention sur la mise en œuvre de la trame verte et bleue

Des plateformes de partage de données et des systèmes d’alerte plus efficaces peuvent être utilisés pour accélérer la communication des nouvelles découvertes liées à la biosécurité. Les nouvelles technologies et techniques de traitement des EEE doivent être développées et adoptées de manière proactive. Les auteurs citent quelques exemples de ces nouvelles technologies dont la détection d’ADN environnemental.

Des efforts doivent également être faits pour s’assurer que les couloirs de migrations anthropiques assistées envisagées dans divers objectifs d’atténuation du changement climatique ne contribuent pas par inadvertance à la propagation des EEE (St-Laurent et al., 2018).

Anticiper les conflits

Alors que le Canada met à jour sa politique de biosécurité pour répondre aux conditions futures, il est important de reconnaître que certains changements pourraient causer des conflits au sein des populations (Crowley et al., 2017). De tels conflits doivent être anticipés et atténués pour éviter que les désaccords ne nuisent à la gestion des EEE. Des campagnes d’éducation du public et des programmes scientifiques scolaires peuvent faciliter la mise en œuvre de la gestion.

Par ailleurs, dans un cadre particulier, des évaluations contradictoires concernant l’éradication de certaines EEE parmi les peuples autochtones, en l’occurrence ici, les chevaux sauvages en Colombie Britannique (Bhattacharyya et Larson, 2014) peuvent effectivement conduire à des conflits : une communication bilatérale est alors nécessaire. Les scientifiques et les décideurs doivent admettre que sans le soutien des parties prenantes, des peuples autochtones et du grand public, la mise en œuvre des protocoles de biosécurité peut rencontrer d’importantes difficultés.

 

Conclusion

Par leur ampleur, leurs coûts et différents autres obstacles, la mise en place de mesures de biosécurité et la gestion des EEE peuvent être décourageantes. C’est ce même constat qui nous semble assez bien partagé dans le monde que font aussi ces auteurs. A cela s’ajoute selon eux le sentiment d’une certaine invisibilité des réussites en matière de biosécurité, qui sont facilement négligées et donc peu récompensées, car cette démarche n’a pas d’autre objectif que de protéger la biodiversité en tentant d’en empêcher toute modification, ce qui rend d’autant moins perceptibles ses réussites (“the rewards of successful biosecurity efforts may be easily overlooked, as successful efforts prevent changes in biodiversity“).

Ils indiquent qu’au Canada, le gouvernement fédéral a le potentiel de former et de coordonner des efforts de prévention très efficaces et d’aider à coordonner la gestion des EEE établies. Le Canada a connu des progrès considérables dans la gestion des EEE au cours des dernières décennies et doit continuer à poursuivre les efforts entrepris dans la période actuelle de changement mondial sans précédent.

Avec cette publication, les auteurs souhaitent que leur analyse puisse fournir des informations pour d’autres juridictions également engagées dans la gestion des EEE, et c’est là aussi l’intérêt de cette transcription francophone.

 

Rédaction : Alain Dutartre, expert indépendant

Relecture : Madeleine Freudenreich et Emmanuelle Sarat (Comité français de l’UICN)

N.B. : Parmi les organisations non-gouvernementales canadiennes citées par les auteurs comme ayant pour objectif la gestion des EEE figure le Centre des espèces envahissantes (https://www.invasivespeciescentre.ca/) : cette ONG met sur son site un ensemble très complet d’informations sur la gestion des EEE à l’échelle canadienne qui en fait un homologue du CDR !

Illustration bandeau © Dresseina rostriformis, Gret Lakes education workshop – Lyndsey Manzo, Flickr

 

Pour en savoir plus :

Les autres dossiers sur l’Amérique du Nord :

Références citées dans le texte :

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