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Évolution de la colonisation des plans d’eau de Gondrexange et du Stock (Moselle) par l’Aloès d’eau (Stratiotes aloides)

Quelques rappels sur la plante et les sites…

Stratiotes aloides, l’Aloès d’eau, est une espèce de plante aquatique au fonctionnement écologique pour le moins particulier puisqu’elle est immergée en période hivernale et, dans des conditions favorables de profondeur des eaux, peut émerger en été, y colonisant la surface des eaux avec des herbiers quelquefois très denses.

Selon l’INPN, cette espèce de la famille des Hydrocharitacées est considérée en métropole comme “indigène ou indéterminée” (MNHN et OFB, 2023). Sa relative rareté a conduit à ce qu’elle soit protégée dans plusieurs régions (Bourgogne, Champagne-Ardenne, Franche-Comté, Haute-Normandie, Île-de-France, Nord-Pas-de-Calais, Poitou-Charentes, Rhône-Alpes). Elle est en revanche inscrite sur la liste des organismes nuisibles dont l’introduction est interdite en Nouvelle-Calédonie (Article 1).

Les étangs réservoirs lorrains (Stock et Gondrexange), proches de Sarrebourg (57), alimentant le canal de la Sarre (voie d’eau de 105 km de longueur, dont 63 km de canal artificiel) sont gérés par la Direction territoriale de Strasbourg des Voies Navigables de France (VNF). Sur ce canal et ces étangs de superficies proches de 700 ha aux environs abritant de nombreuses résidences secondaires, les enjeux de tourisme et de loisirs en matière de navigation sont importants car, en période estivale, plusieurs centaines de barques de pêche, de voiliers et de bateaux à moteur peuvent y naviguer.

Républicain Lorrain, 16/08/2015

En 2008 une première observation d’Aloès d’eau a été faite dans l’étang du Stock. Un pré-inventaire de sa colonisation dans le plan d’eau réalisé en 2011 par l’ONEMA (Office de l’Eau et des Milieux Aquatiques) avait permis de faire un premier point complet sur cette colonisation. En quelques années, par ses herbiers émergés durant l’été, sa progression dans les zones riveraines de ce plan d’eau est devenue une importante nuisance pour les activités nautiques et la pêche. Elle était également notée depuis la même année dans quelques sites de l’étang de Gondrexange proche, sans y créer de nuisances recensées.

A la suite de nombreuses demandes d’interventions sur cette plante pour en réduire les nuisances formulées par différents usagers du plan d’eau du Stock, dont les pêcheurs, une première réunion d’information aux élus a été réalisée par VNF en février 2015 pour mettre en place une gestion de l’espèce.

Les résultats d’une première étude sur la répartition de cette espèce dans les étangs du Stock et de Gondrexange et comportant des recommandations en matière de gestion et d’élimination, financée par VNF avec le soutien de l’Agence de l’Eau Rhin-Meuse et confiée au bureau d’étude ECOLOR en 2015, ont été présentés en novembre aux élus, acteurs et usagers des plans d’eau.

Début 2016, des efforts d’information et de communication, dont la réalisation d’une fiche d’information sur la plante, son écologie et les possibilités techniques de sa gestion, ont été mis en oeuvre par VNF. En mai de la même année une consultation de prestataires pour organiser un suivi de cette colonisation végétale sur une période prévisionnelle de trois ans a permis de mettre en place ce suivi.

C’est ainsi que cette colonisation végétale très particulière a fait l’objet de rapports successifs depuis 2015, travaux réalisés par le bureau d’étude ECOLOR en 2015, 2016, 2017, 2019, 2020 et 2021, puis par VNF en 2022 et 2023. Le présent article présente les résultats obtenus lors de l’ensemble de ces campagnes d’observations de terrain et les commentaires qui peuvent en être extraits.

 

Une collaboration de longue date avec VNF sur cette situation

Les échanges avec VNF sur cette plante, ces sites et cette situation ont débuté début juin 2015 lors d’une session de formation sur les “plantes invasives” organisée à Lachaussée (55) par Marie-Christine Peltre de l’Université de Lorraine. Participait à cette formation, Bruno Dhirson, Responsable à VNF du domaine des étangs réservoirs Stock et Gondrexange, ce qui a permis d’examiner avec lui les caractéristiques de la situation qu’il avait à traiter et de lui apporter un appui dans la recherche d’informations sur l’écologie de l’espèce.

Une première collaboration concrète a été une aide dans la réalisation d’une fiche d’information distribuée début 2016.

La même année, Bruno Dhirson a pu présenter la problématique qu’il rencontrait lors d’une réunion du REST du groupe de travail IBMA (devenu maintenant Centre de Ressources EEE) tenue à Metz en mai 2016.

Les échanges se sont poursuivis par des corédactions d’articles mis en ligne pour présenter cette situation et l’espèce. Le premier, élaboré et diffusé en octobre 2016 présentait des informations sur les sites, la plante, les nuisances qu’elle causait, les moyens de la gérer et les résultats de l’étude d’ECOLOR de 2015 : L’aloès d’eau, une espèce envahissante qui s’éveille en Lorraine ?

Les résultats obtenus en 2016 par ECOLOR ayant montré une forte évolution de la colonisation, avec la disparition de la plante dans le plan d’eau fortement colonisé en 2015, il a été jugé utile de produire un deuxième article en mars 2017 : Aloès d’eau (Stratiotes aloides) en Lorraine : un éveil partiel et temporaire ?

Enfin, afin de tenter d’interpréter au mieux l’évolution de cette colonisation depuis 2015, une revue des informations disponibles sur l’écologie de cette espèce a été mise en ligne en juin 2023 : http://especes-exotiques-envahissantes.fr/stratiotes-aloides-une-plante-aquatique-colonisatrice-tres-particuliere/

 

Résultats des campagnes d’observation et commentaires

N. B. : les campagnes d’observations ont toutes été réalisées lors des périodes d’émergence des pieds de Stratiotes aloides, état de la plante cause, en cas de peuplements denses, des nuisances ressenties par les usagers du plan d’eau. Lorsque le niveau des eaux était suffisant, ces observations ont été réalisées en bateau (embarcation motorisée ou canoé) sinon à pied en longeant le rivage. Les localisations des plantes et les évaluations de superficies colonisées ont été faites à l’aide de GPS et, pour les suivis réalisés par ECOLOR, avec utilisation d’un logiciel de cartographie “Cartolander”.

Le tableau 1 présente les données de superficies totales des trois sites suivis depuis le début des investigations, c’est-à-dire une partie du contre-canal de l’étang de Gondrexange comportant trois “cornées” (anses allongées de plan d’eau, identifiées sur les cartes, y compris sur celles du règlement particulier de police de VNF) en lien hydraulique avec lui, dont la plus vaste est la cornée de Ketzing, et l’ensemble de l’étang du Stock qui était le plus fortement colonisé au début de la période de suivi.

Tableau 1 : Évaluations des superficies colonisées par Stratiotes aloides sur les sites suivis (ha)

  2015 2016 2017 2019 2020 2021 2022 2023
Etang du Stock 10,24 0 4,8 0,6 0,24 0 0,34* 0,16*
Etang de Gondrexange :
Cornée de Ketzing + Contre-canal
6,22 5,8 6,7 8,52 7,61 6,41 0,1* 0,01*

Les données présentées de manière plus précise dans les rapports d’ECOLOR peuvent être scindées en deux catégories, l’une prenant en compte les stations dites “ponctuelles” de faibles superficies, l’autre des stations “étendues” aux peuplements denses d’un seul tenant.

Les campagnes de terrain réalisées par VNF en 2022 et 2023 ne comportent pas d’évaluation de superficie colonisée. En répertoriant les points localisés sur les cartes disponibles et leur attribuant comme échelle de superficie pour les trois critères de dimension retenus les valeurs suivantes, 10, 50 et 200 m², il reste cependant possible de proposer un ordre de grandeur de l’ampleur de la colonisation observée (données comportant un * dans le tableau 1).

 

Évolution de la colonisation des sites par S. aloides (2015 – 2023) : extraits des rapports ECOLOR et VNF et commentaires

N. B. : ces rapports sont cités en références en fin d’article et, pour les personnes souhaitant en prendre connaissance, des liens de téléchargements y sont disponibles. Aucun suivi n’a été réalisé en 2018.

2015

Les observations ont été réalisées de fin juillet à début septembre et, selon l’accessibilité aux différents sites, en bateau à moteur, en canoë kayak, ou à pied depuis les berges.

 

Carte de répartition de S. aloides dans l’étang du Stock (ECOLOR, 2015)

Carte de répartition de S. aloides dans l’étang de Gondrexange (ECOLOR, 2015)

Au cours des prospections, une quarantaine de relevés détaillés ont fait l’objet de diverses mesures et observations complémentaires (profondeur, nature du substrat, turbidité de l’eau et identification des autres plantes présentes. Les profondeurs s’étageaient de 37 à 230 cm avec une moyenne de 117 cm, avec des sédiments vaseux. Neuf espèces de plantes ont été identifiées (Ceratophyllum demersum, Myriophyllum spicatum, Hydrocharis morsus-ranae, Najas marina, Lemna minor, Lemna polyrhiza, Potamogeton lucens, Potamogeton perfoliatus, Nymphaea alba). Trois d’entre elles étaient assez fréquentes : C. demersum dans plus de la moitié des relevés, M. spicatum dans plus de 40 % des relevés et H. morsus-ranae présente dans environ 1/3.

La superficie des zones densément colonisées varie de quelques m² à plus de 4 hectares (la zone la plus étendue se trouve dans la cornée de Ketzing). Ces zones se retrouvent fréquemment dans les cornées.

Ce rapport comporte également une partie consacrée aux possibilités de gestion de l’espèce (y compris la gestion des déchets éventuels) et une proposition de “schéma décisionnel des actions à mener pour lutter contre l’invasion des Stratiotes”. Une proposition d’analyses génétiques d’échantillons issus de l’étang du Stock et de la cornée de Ketzing et de populations autochtones proches (Champagne Ardenne et du Bassin Parisien) figurait également dans ce rapport pour établir la provenance des pieds de S. aloides colonisant les plans d’eau.

2016

Les prospections ont été effectuées de fin juillet à début octobre 2016.

Si les observations ont montré une relative stabilité des peuplements dans la cornée de Ketzing et le contre-canal de Gondrexange, il n’en est pas de même pour l’étang du Stock, où aucune station étendue n’a été recensée et où les stations ponctuelles sont rares.

Cette forte régression d’une année à l’autre dans ce plan d’eau pourrait s’expliquer par une très forte et inhabituelle baisse du niveau de ses eaux qui n’a pas concerné les deux autres sites. En effet, alors que les baisses estivales hebdomadaires de niveau des eaux sont de l’ordre de de 3 à 4 cm, les besoins en eau de 2015 pour soutenir le débit du canal de la Marne au Rhin ont conduit à débuter le pompage de l’étang du Stock à partir du mois de juillet et donc à une baisse de niveau d’environ 2 m sur l’étang conduisant à une exondation progressive des zones riveraines des cornées de juillet 2015 à janvier 2016.

Cette mise en assec a pu perturber le cycle de reproduction des plantes qui se sont desséchées pour ensuite probablement pourrir par la mise à l’air durant au moins une partie de l’hiver 2016. Il est également indiqué que l’espèce n’a pas totalement disparu du plan d’eau car durant l’été elle a été observée en situation immergée dans quelques stations ponctuelles.

Peuplements de S. aloides dans la cornée de Ketzing (étang de Gondrexange) avant et après travaux d’enlèvement manuel (Photos PNR de Lorraine)

Par ailleurs, deux expérimentations ont eu lieu pour évaluer une méthode d’arrachage manuel.

Un chantier participatif a été réalisé en août 2016 dans la cornée de Ketzing à l’initiative du Parc naturel de Lorraine et de l’AAPPMA La Sarrebourgeoise pour procéder à un enlèvement manuel d’une zone de S. aloïdes. Les déchets de plantes ont été stockés en forêt. Un compte-rendu de cette expérimentation est disponible.

L’AAPPMA a également mis en place en régie associative une campagne de récolte manuelle de la plante sur des stations ponctuelles dans quelques sites de l’étang du Stock.

Ces deux expérimentations restées relativement modestes quant aux quantités de plantes récoltées avaient pour objectif d’évaluer la faisabilité de ce type d’intervention.

Enfin, le rapport note que cette forte réduction de la colonisation dans l’étang du Stock à cause de l’assec amène à réévaluer les enjeux à court terme de la gestion du site, c’est-à-dire qu’intervenir ne semble plus une nécessité immédiate mais qu’un suivi régulier reste nécessaire.

2017

Les campagnes d’observations ont été effectuées de fin juillet à septembre.

La superficie des stations denses varie de quelque m² à plus de 4 hectares avec une nouvelle fois la cornée de Ketzing comme zone la plus étendue.

Après une quasi-absence en 2016 dans l’étang du Stock, S. aloides y est de nouveau bien présent, occupant une superficie totale de 4,8 ha, cependant deux fois inférieure à ce qui avait été évalué en 2015. Le rapport indique également que certaines cornées ne présentent aucune recolonisation et que les zones colonisées ne sont pas de nature à entraver les activités sur le site.

La colonisation de la cornée de Ketzing au niveau d’eau stable durant toute l’année, un facteur la favorisant, se poursuit, ainsi que le montrent les photos ci-dessous.

Évolution de la colonisation par S. aloides de la cornée de Ketzing entre août 2011 (photo M. Schwaab), août 2015 et août 2017 (photos ECOLOR)

Les zones colonisées dans le contre-canal, aux conditions similaires de stabilité de niveau des eaux, présentent une augmentation de superficie du même ordre.

Le rapport indique également que des secteurs d’intervention situés dans certaines cornées de l’étang du Stock ont été définis pour mettre en place une expérimentation d’enlèvement mécanique. De même, une intervention sur la colonisation de la cornée de Ketzing semble toujours d’actualité, en rappelant que des projets d’assecs hivernaux évoqués en 2015 et 2016 ont été rejetés en raison de leur difficulté technique (la cornée n’est pas directement vidangeable). Un projet d’expérimentation par enlèvement mécanique serait envisagé sur environ la moitié de la surface colonisée mais les modalités de cette intervention sur une zone Natura 2000 devraient faire l’objet d’un partenariat entre VNF et le Parc Naturel de Lorraine avec un financement de l’Agence de l’Eau Rhin-Meuse

2019

Les observations ont été réalisés de mi-septembre à mi-octobre.

Elles ont rencontré quelques difficultés car en raison d’un fort déficit en précipitation depuis l’été 2018, le niveau très bas des eaux de l’étang du Stock a empêché l’utilisation d’un bateau. La prospection n’a été possible qu’à pied et a rencontré diverses contraintes dont la faible portance des vases dans les zones exondées. En zones urbanisées et touristiques, les nombreux pontons et les berges entretenues ont permis d’avoir une vision correcte sur l’étang. Ne pouvant pas accéder à toutes les stations de Stratiotes, il a été décidé d’effectuer un pointage des stations depuis les berges et d’en estimer le recouvrement.

Par ailleurs, considérant qu’une exondation estivale des Stratiotes risquait de ne pas leur permettre un cycle végétatif complets, les relevés ont distingué les plants vivants dans l’eau (stations dites « immergées ») et les plants séchés sur les vases exondées (stations dites « exondées), considéré comme des individus morts. Les cartes présentes dans ce rapport permettent de visualiser ces deux états des plantes.

Carte de répartition de S. aloides dans la partie sud de l’étang du Stock (ECOLOR, 2019)

Au final, le rapport indique que les relevés apparaissent exhaustifs et de qualité dans les zones aménagées et qu’ailleurs il est ponctuel et indicatif.

Remarquons par ailleurs que, comme l’indique la carte établie par ECOLOR, une partie notable des rives n’a pas pu être prospectée ce qui devrait nous amener à la prudence dans les interprétations générales sur l’évolution de la colonisation.

Bien que les résultats de ces observations montrent une forte régression de la colonisation, S. aloides est toujours présent dans l’étang du Stock, en conservant quelques peuplements notables dans certaines cornées ou espaces aménagés mais sans aucun grand peuplement dense causes de nuisances. Cette situation résulte des assecs partiels intervenus en 2017, 2018 et 2019 ayant conduit à une forte mortalité des plants exondés.

Sur Gondrexange, depuis 2017, la colonisation de la cornée de Ketzing s’est poursuivie de manière très importante.

2020

Cornée de Ketzing (20 septembre 2020, photo M. Manigold)

Les relevés ont été réalisés en plusieurs campagnes de mi-aout à mi-septembre. Les niveaux très bas des eaux n’ont pas permis de prospecter l’étang du Stock en bateau à moteur. Les observations ont été réalisées à pied depuis les berges et en canoé dans les cornées.

Cette situation a par ailleurs conduit à des réactions des usagers du plan d’eau. Ainsi, dans un article du Républicain Lorrain du 4 septembre, intitulé “Etang du Stock au plus bas : un collectif d’usagers mécontents émerge”, il était fait état du mécontentement des usagers du plan d’eau à propos d’activités nautiques “au point mort” dues à ces niveaux très bas favorisant par ailleurs des développements de cyanobactéries et du projet de création d’une association réunissant usagers, résidents, clubs nautiques, pêcheurs, etc., pour devenir interlocutrice unique de VNF.

Les relevés montrent une assez nette régression de la colonisation depuis 2019, probablement causée par les assecs antérieurs et ces très bas niveaux de l’année en cours.

Aucune zone colonisée dense ne subsiste et la plante ne semble donc plus constituer une nuisance pour les activités humaines sur ce plan d’eau.

Sur Gondrexange, les zones du contre-canal montrent une régression de la colonisation alors que les peuplements de la cornée de Ketzing conservent la même superficie que l’année précédente.

2021

Trois campagnes de relevés ont eu lieu de mi-juillet à début septembre. L’année 2021 n’ayant pas subi de déficit de précipitation, les niveaux des eaux ont permis de réaliser en bateau à moteur les prospections sur l’ensemble de l’étang du Stock.

Ces relevés mettent en évidence une très forte régression de l’espèce puisqu’aucune station n’a été observée sur l’étang du Stock.

Sur Gondrexange, la régression déjà observée en 2020 concerne maintenant la cornée de Ketzing avec une réduction de plus d’un hectare de la superficie colonisée.

2022

Les observations sur le plan d’eau du Stock ont été réalisées en bateau à moteur fin juillet.

Une présence notable de S. aloides a été repérée sur nombres des cornées du plan d’eau avec des développements relativement visibles dans certaines des cornées de sa partie sud est. Ce renouveau de la colonisation après la régression antérieurement observée semble bien correspondre au maintien assez élevé de niveau des eaux lié à la pluviométrie plus importante de 2021.

Sur les sites du plan d’eau de Gondrexange, quelques pieds ont été observés dans deux zones du contre-canal et de nombreux étaient encore dispersés dans une partie de la cornée de Ketzing ne formant plus de grandes zones d’un seul tenant, semblant correspondre à une poursuite de la régression.

Le rapport conclut qu’à ce stade de colonisation, aucune intervention n’est programmée.

 

2023

Les observations réalisées fin juillet sur l’étang du Stock ont pu utiliser un bateau à moteur.

Elles montrent la relative rareté des plantes observées lors de cette campagne, avec des pieds isolés dans quelques cornées et une présence plus importante dans la cornée de Rhodes, à l’ouest du plan d’eau.

Dans les sites de Gondrexange, seuls des pieds isolés ont été observés dans la cornée de Ketzing, en trois zones distinctes.

Cette nette régression en une année pourrait être la conséquence d’un pompage du plan d’eau assez précoce en 2022 ayant perturbé le développement des plantes en 2023.

Lors d’échanges récents avec VNF, il a été fait état d’une surprise concernant les observations de la poursuite de la régression des peuplements dans la cornée de Ketzing alors que le niveau des eaux est maintenu stable dans ce site en lien hydraulique avec le contre-canal.

 

Commentaires généraux et perspectives

Ce qui avait originellement attiré notre attention sur ce cas très particulier de colonisation végétale incluait particulièrement la nature et le fonctionnement écologique tout à fait surprenant de l’espèce en question mais également son statut d’espèce protégée dans certaines régions en métropole. Venant compléter ces éléments d’étonnement, le type pour le moins inhabituel de nuisances qu’elle était susceptible de causer aux diverses activités humaines sur les plans d’eau concernés : rendez-vous compte, une plante presque invisible en hiver, émergeant en période estivale en herbiers denses et au feuillage hors d’eau au moment du maximum de fréquentation humaine pour empêcher ou réduire toute navigation !

 

Une arrivée mystérieuse et une installation rapide ?

Comme cela a été indiqué dans l’article sur son écologie, cette espèce européenne appréciée pour son intérêt horticole, largement cultivée dans les jardins botaniques et jardins privés depuis le début du XVIIe siècle, a été assez largement dispersée depuis. Ni les origines de la plante ni les voies de son introduction dans le réseau hydrographique des deux plans d’eau ne sont connues : intérêt horticole et introduction par un résident, transport accidentel comme passager clandestin par la navigation de plaisance dans le canal et les deux plans d’eau ? En juin 2019, lors de la réunion de clôture de l’étude menée par ECOLOR depuis 2016 sur l’espèce, une origine suspectée était la vidange d’un bassin proche du plan d’eau du Stock où la plante aurait été présente pour son intérêt ornemental. L’analyse génétique de la plante proposée par ECOLOR pour obtenir d’éventuelles informations sur sa provenance n’a pas été mise en œuvre.

Son arrivée doit cependant être assez récente puisqu’une première observation en 2008, ne préjugeant pas de la date effective de son arrivée, a été rapidement suivie d’une colonisation très visible et déjà largement disséminée dans différents sites des deux plans d’eau ayant amené en 2011 à une campagne d’observations d’ensemble.

Ce pré-inventaire de 2011 réalisé par l’ONEMA avait permis de comptabiliser au total dans l’étang du Stock environ 6 700 m² de peuplements de S. aloides, dont deux secteurs particulièrement importants, l’un de 6 000 m² et l’autre de 1 600 m², tous deux situés dans des cornées proches de zones urbanisées, et six autres avec seulement quelques mètres carrés dans autant d’autres cornées : un début assez explicite de colonisation du plan d’eau. Sur Gondrexange, les observations faisaient état d’environ 700 m² de peuplements, dont 600 se trouvaient dans la cornée de Ketzing.

Notons par ailleurs que l’espèce ne semble pas présenter de dispersion régionale : ses seules récentes observations notées dans le portail du Conservatoire botanique Alsace-Lorraine concernent ces deux plans d’eau et datent de 2018 et 2020.

Une note de Serge Muller de 2012 rapportait une observation de 2011 de l’espèce (citée comme “vraisemblablement introduite”), en compagnie de Pontederia cordata, une “exotique indiscutable”. Apparemment P. cordata n’a pas montré de développement particulier dans ces sites puisque les seules observations régionales la concernant se positionnent dans le département des Vosges.

 

Des milieux accueillants pour cette espèce ?

Les caractéristiques générales des milieux, comme l’absence ou la faiblesse des vitesses de courant dans les plans d’eau et le canal et la configuration des rives, en particulier pour l’étang du Stock, comportant de nombreuses cornées pouvant constituer des zones de calmes des eaux même en conditions de forts vents, sont très favorables à l’installation des plantes aquatiques. Il en est de même pour la nature vaseuse des fonds.

Les observations de 2015 d’ECOLOR sur la gamme de profondeur des peuplements de S. aloides émergés en période estivale correspondent tout à fait aux indications de la littérature, avec un maximum de 2,3 m et une moyenne d’environ 1,2 m. L’espèce peut s’implanter plus profondément mais seuls des pieds immergés peuvent alors s’y maintenir. Aucune information n’est actuellement disponible sur la profondeur maximale de son implantation dans l’étang du Stock (les cornées de Gondrexange, dont celle de Ketzing, sont peu profondes).

 

Des variations de niveaux des eaux avec de forts impacts sur les peuplements observés

Ainsi que le montre la succession des rapports de suivis et le tableau 1, récapitulatif des superficies colonisées, les peuplements importants ayant déclenché le premier suivi de 2015 ont montré des évolutions très différentes dans les deux sites.

Dans le plan d’eau du Stock, après une absence d’observation de peuplements émergés en 2016, ils ont été de nouveau présents en 2017 mais sur une superficie divisée par deux par rapport à 2015, puis ont progressivement régressé jusqu’en 2023. Les différents rapports ont fait état des variations quelquefois importantes des niveaux dans le plan d’eau du Stock rendues nécessaires par les pompages permettant le maintien du niveau des eaux dans le canal. La figure ci-dessous présente l’évolution du niveau des eaux dans le plan d’eau de début 2008 à fin 2022. Il est à noter qu’entre 2008 et 2015, période entre première observation et premier rapport de suivi d’ECOLOR, les variations annuelles de niveau sont restées dans la plupart des cas inférieures à un mètre, sauf fin 2011 avec une baisse rapide atteignant presque deux mètres. Cette période est celle où l’espèce a poursuivi une colonisation relativement rapide pour devenir une nuisance très perceptible et à réguler. La période qui a suivi, à compter de fin 2015 jusqu’à fin 2022, présente une succession de baisses importantes de niveaux dépassant deux mètres, fin 2015, fin 2018 et fin 2020 : elle correspond à une réduction progressive des peuplements observés, jusqu’à devenir extrêmement faibles en 2023.

Comme l’indiquait la littérature consultée dans le précédent article, l’espèce est très sensible aux variations de niveaux des eaux, ce qui est tout à fait démontré pour ce qui concerne les peuplements observés dans le plan d’eau du Stock.

Dans les cornées de Gondrexange la colonisation a évolué de manière assez similaire alors que les variations de niveaux des eaux y sont restées très faibles. Les superficies colonisées, en particulier dans la cornée de Ketzing, ont encore augmenté jusqu’en 2019 puis l’espèce a ensuite fortement régressé, en particulier depuis 2022, pour rester très peu présente lors des dernières observations de 2023. Cette régression en l’absence de variation notable de niveau des eaux est donc une relative surprise, ne correspondant pas avec ce qui a été observé dans le plan d’eau du Stock.

 

Des interventions de gestion des plantes aquatiques pour en réduire les nuisances.

Stratiotes aloides, plante aquatique nouvellement arrivée dans ces sites, venait s’ajouter à d’autres plantes immergées ou émergées déjà présentes pouvant, par leur développement, créer des nuisances plus ou moins importantes vis-à-vis des activités humaines, amenant alors à des interventions de régulation de ces développements.
A propos de S. aloides, le rapport d’ECOLOR présenté en fin d’année 2015 comportait des propositions d’action de gestion et un schéma décisionnel de ces actions à mener, un ensemble adapté à la situation qui semblait se mettre en place en matière de colonisation, comportant des enlèvements de plantes et la poursuite d’un suivi.

Cela a conduit à la mise en place en 2016 des deux expérimentations d’arrachage manuel de S. aloides relativement modestes présentées dans le rapport de 2016, l’une dans la cornée de Ketzing, l’autre dans quelques stations ponctuelles du plan d’eau du Stock. En 2017, à la demande de VNF, une intervention de ramassage mécanique de l’espèce a été mise en oeuvre par une entreprise locale dans deux cornées aux activités humaines importantes. Environ 1 ha de plantes a été traité et cette intervention a été jugée efficace puisque aucune zone étendue de plantes n’était visible l’année suivante dans les secteurs concernés. Une autre intervention (mécanique et manuelle) sur l’espèce, commandée par l’AAPPMA La Sarrebourgeoise et réalisée par la même entreprise, a eu lieu en 2018 dans une zone d’amarrage du plan d’eau.

A notre connaissance, aucune autre intervention de régulation de S. aloides n’a eu lieu depuis. En revanche, d’autres opérations ponctuelles d’enlèvements d’autres espèces de plantes aquatiques dans un contexte d’entretien régulier des sites ont été réalisées de 2016 à 2023 sur le plan d’eau du Stock. Par exemple, en 2016, des travaux à la demande de l’AAPPMA ont concernés des roseaux sur deux sites. A la demande de VNF ont également eu lieu en 2021 et 2022 des interventions pour réguler des développements de l’élodée de Nuttall (Elodea nuttallii), une espèce exotique envahissante (très présente en 2022) ayant fait l’objet d’une évaluation en 2015 par ECOLOR dans son rapport, et d’espèces indigènes comme le cornifle (Ceratophyllum demersum), le myriophylle à épis (Myriophyllum spicatum) et des potamots (Potamogeton spp). En ce qui concerne les espèces de potamots, deux étaient citées dans les relevés de 2015 d’ECOLOR, P. lucens et P. perfoliatus.
Par ailleurs, l’AAPPMA La Sarrebourgeoise nous a signalé des interventions mécaniques en 2022 et 2023 sur des renoncules aquatiques dans des zones de pêche proches des rives dans le Petit Stock, c’est-à-dire la partie du plan d’eau située à l’est du canal.

Ces interventions localisées et réalisées en fonction des nuisances observées dans les différents sites à fortes utilisations humaines permettent donc de réduire ou d’annuler ces nuisances, une forme d’entretien régulier adaptée à la situation, une modalité maintenant assez classique et bien appliquée dans de nombreux plans d’eau abritant de multiples usages.

 

Quelles perspectives ?

Lors des premiers échanges en 2015 avec VNF et ECOLOR, parmi les possibilités d’évolution de cette colonisation végétale avait été évoquée celle d’une faible durabilité, en lien avec des conditions environnementales particulières non durables dans le temps ayant pu la déclencher, ce qui pouvait conduire à une réduction progressive de ce développement assez surprenant. Ce suivi depuis près d’une décennie ne permet cependant pas d’obtenir une certitude quant à son futur : si les progressions et les régressions observées des populations émergées au fil des années semblent permettre de mieux interpréter les impacts de certaines variations de niveaux des eaux sur l’évolution de la colonisation, la régression récente observée dans la cornée de Ketzing vient apparemment infirmer une telle interprétation.

En juin 2019, lors de la réunion de clôture de l’étude menée sur l’espèce, des débats ont eu lieu sur l’intérêt d’un plan de gestion destiné à cibler actions et sites prioritaires et sur des actions destinées à réduire le niveau d’eutrophisation du plan d’eau (dont un assec éventuel) mais l’évolution de la situation depuis cette période vers moins de développements de la plante et donc moins de nuisances semble avoir écarté l’urgence de la mise en place de ces projets.

Il n’en reste pas moins que l’espèce, même très peu visible lors de la dernière campagne d’observation, n’a probablement pas totalement disparu des sites qu’elle colonisait car ses populations peuvent s’installer plus en profondeur, restant alors sous forme immergée, sans émersion estivale. C’est pour cette raison que les campagnes régulières de suivi restent nécessaires pour être à même de mettre en place une gestion adaptée en cas de nouvelle évolution pouvant créer des nuisances aux activités humaines développées sur ces plans d’eau.

Sur les sites antérieurement colonisés, des investigations complémentaires pour localiser les populations immergées résiduelles auraient comme intérêt d’améliorer les connaissances sur leur répartition en profondeur et les conditions de leur développement.

Enfin, de manière plus globale et dans le contexte d’attraits naturels des sites, si cette espèce se maintient dans ces milieux, il pourrait être également utile et intéressant d’en évaluer les gains écologiques : comme le rapporte l’article récent sur son écologie, elle peut en effet constituer une ressource potentielle pour la biodiversité et certaines espèces de faune, dont des odonates. Sa présence dans des sites aux activités humaines moins intensives, comme par exemple la cornée de Ketzing, pourrait ne générer aucune nuisance notable et se présenter bien au contraire comme un atout supplémentaire de naturalité et d’agréments de ces plans d’eau et de leurs environs très fréquentés.

 

Rédaction : Alain Dutartre (expert indépendant),
Relectures : Bruno Dhirson (VNF), Martin Manigold (VNF)

 

 

 

Références