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Biosécurité et EEE : protocole appliqué en Nouvelle-Zélande à deux espèces de diatomées

En tant qu’usagers des milieux naturels (habitants, visiteurs, touristes, etc.) nous pouvons tous être inconsciemment vecteurs de pathogènes et d’espèces exotiques envahissantes. Depuis de nombreuses années, les nécessités de mise en œuvre de “bonnes pratiques” permettant de réduire ou, dans l’idéal, d’annuler ces conséquences négligées des déplacements humains se sont progressivement imposées comme des enjeux importants de régulation des impacts négatifs engendrés sur la biodiversité et la santé humaine. L’insuffisance actuelle des évaluations de ces risques de dispersion explique cependant la relative lenteur de la sensibilisation du public dans ce domaine.


Depuis 2014, nous avons proposé un certain nombre d’exemples portant sur de l’évaluation des risques et sur les bonnes pratiques envisageables.

Ils concernaient une large gamme d’organismes végétaux et animaux appartenant à diverses communautés peuplant des biotopes très divers.


 

En complément d’informations sur les enjeux et les objectifs généraux de ces démarches, il s’avère indispensable de préciser les actions concrètes permettant d’en assurer le succès, ce qui revient à présenter des pratiques spécifiquement adaptées aux organismes dont la dispersion doit être empêchée.

En matière de végétaux aquatiques d’eau douce, de nombreux exemples portant sur des macrophytes sont maintenant assez bien connus et documentés, du fait que ces plantes sont capables d’occupations très visibles de biotopes quelquefois de très grandes dimensions, en lien avec la biomasse produite.

Hormis divers exemples concernant les risques sanitaires liés aux développements de certaines cyanobactéries, les algues microscopiques sont moins immédiatement envisageables comme causes de dommages environnementaux et/ou de nuisances notables. Certaines d’entre elles sont toutefois susceptibles d’obliger à des actions de prévention très organisées s’appuyant sur des “bonnes pratiques” précises. C’est par exemple le cas de deux espèces de diatomées, Didymosphenia geminata et Lindavia intermedia, clairement identifiées en Nouvelle-Zélande comme des “pestes” à contrôler.

Elles peuvent produire de grandes quantités de mucilages plus ou moins visqueux composés de substances polymères extracellulaires (EPS) se développant en pleine eau ou sur les substrats des biotopes colonisés en cours d’eau ou en plan d’eau, colmatant ces substrats et autres supports. Ces mucilages, aux noms locaux tout à fait évocateurs (neige de lac -“lake snow” ou morve du lac -“lake snot“), présentent des impacts divers sur les communautés de plantes, d’invertébrés et de poissons et modifient l’apparence des sites colonisés sans impact direct sur la santé humaine, si ce n’est des risques de chute lors des déplacements à pied des pêcheurs et d’autres usagers. Ces impacts ont conduit à leur attribuer le statut d’espèces invasives en Nouvelle-Zélande et à la mise en place de démarches spécifiques de gestion.

 

Deux espèces très particulières

  • Didymosphenia geminata
Didymosphenia geminata © diatoms.org

Originaire des régions nord de l’Europe et de l’Amérique, les premières observations d’efflorescences de cette espèce dans l’île Sud de la Nouvelle-Zélande datent de 2004. En quelques années, elle a été ensuite repérée dans la plupart des cours d’eau de cette île (Kilroy et Unwin, 2011).

En décembre 2005, afin de limiter sa dispersion, l’ensemble de l’île du Sud a été déclaré zone contrôlée, obligeant à un nettoyage préalable à tout déplacement dans un nouveau milieu aquatique de tous les objets, tels que bateaux, matériel de pêche, vêtements et véhicules ayant déjà séjourné dans un milieu aquatique. La campagne de sensibilisation mené par Biosecurity New Zealand semble avoir porté ses fruits puisque à notre connaissance l’algue n’est pas encore présente dans l’île Nord de la Nouvelle-Zélande. Une fiche de présentation de l’espèce est disponible depuis.

En 2007, un premier rapport présentait les résultats de différentes expérimentations menées sur D. marginata pour en évaluer les capacités de survie dans différents régimes de lumière, de température et d’humidité, de salinité et de pH ou après application de différents produits chimiques simples ou produits élaborés pouvant servir d’agents de décontamination (Kilroy et al., 2007). D’autres tests ont porté sur une évaluation des méthodes de décontamination des waders à semelle de feutre qui étaient alors considérés comme des vecteurs probables de la dispersion de l’algue car de plus en plus utilisés par les usagers (pêcheurs et autres) des cours d’eau.

N.B. : Les travaux de Kilroy et de ses collègues publiés sur cette espèce à partir de 2004 ont par ailleurs amené Blanco et Ector (2009) a publier une revue de l’ensemble de la littérature scientifique consacrée à son écologie et à sa répartition mondiale. Selon l’INPN, l’espèce est présente en France dans quelques cours d’eau des Alpes du Sud : https://inpn.mnhn.fr/espece/cd_nom/627057.

Source : NIWA – The Origin of Didymo ; CC BY-ND-NC
  • Lindavia intermedia
Lindavia intermedia © diatoms.org

Diatomée centrique, Lindavia intermedia semble très rare à l’échelle planétaire puisque connue seulement d’Alaska et d’un autre site en Amérique du Nord et, plus récemment, de Nouvelle-Zélande (Cf. carte du GBIF).

Elle a été identifiée en Nouvelle-Zélande suite à des difficultés de gestion des eaux de distribution d’eau potable dans un lac de l’île Sud créées par des colmatages de filtres liés à de la “neige de lac”, agrégats mucilagineux en suspension. Observé à partir de 2004 dans ce lac et dans d’autres plans d’eau de l’île Sud, la multiplication de ce phénomène a conduit à un programme de recherche.

Des examens microscopiques d’échantillons de cette “neige de lac”, prélevée dans différents lacs à partir de 2015, ont révélé qu’elle était dominée par cette diatomée dans tous les prélèvements analysés (Novis et al., 2017). Selon les auteurs, la production de ces EPS peut être due à diverses espèces d’algues mais la présence de L. intermedia semble être nécessaire pour la formation des macro-agrégats connus sous ce nom de “neige de lac“.

Dans le cadre de leur recherche, les auteurs ont porté une attention particulière aux conditions environnementales de faible teneur en nutriments dans lesquelles se déclenchent ces productions d’EPS comme dans le cas de Didymosphenia geminata. Ils remarquent enfin que ces deux espèces semblent être apparues à peu près en même temps en Nouvelle-Zélande (2004) car L. intermedia a été observée dans des assemblages de diatomées d’une carotte de sédiment datés de cette époque.

L’espèce fait également l’objet d’une fiche descriptive disponible en ligne.

 

Campagne “Check Clean Dry

Campagne de communication néozélandaise pour limiter la prolifération des “pestes” aquatique

Cette campagne de sensibilisation à une procédure de nettoyage préalable (“Vérifier, Nettoyer, Sécher”) à l’arrivée dans un nouveau milieu aquatique d’objets devant y être utilisés, mise en place en Grande Bretagne depuis de nombreuses années, a donc été développée en Nouvelle-Zélande à partir de 2005 en réaction aux développements de Didymosphenia geminata dans l’île Sud (en savoir plus sur cette campagne).

Les observations sur les développements plus récents de Lindavia intermedia ont par ailleurs conduit à mettre en place de nouvelles expérimentations sur les techniques utilisables pour contrôler cette espèce à la dispersion très dynamique. C’est dans ce contexte que le NIWA, Institut national de recherche sur l’eau et l’atmosphère néo-zélandais, déjà en charge de la mise en œuvre des pratiques de biosécurité en Nouvelle-Zélande, a réalisé trois séries de tests, en 2017, 2020 et 2021. Ils avaient pour but de faire un nouveau point sur l’efficacité des produits les plus couramment utilisés et d’autres méthodes de nettoyage comme la congélation. Ils se sont appuyés sur les résultats des travaux de Kilroy et al. de 2007.

Le premier rapport de 2017 rassemble les résultats des tests de quatre méthodes de traitement déjà recommandées (détergent pour lave-vaisselle, eau de Javel, eau chaude, congélation), et de deux traitements supplémentaires (séchage, solution saline). Il s’agissait de vérifier la viabilité des cellules de Lindavia intermedia face à ces différents traitements. A la suite de ces tests, la congélation s’est avérée être la méthode la plus efficace car aucune cellule viable n’a été observée après une nuit de congélation et de décongélation. Aucun des autres traitements n’a montré de complète efficacité. Cependant, l’allongement des durées de traitement pourrait permettre d’atteindre une pleine efficacité mais reste encore à être vérifié.

Le rapport publié début 2020 présente des tests de viabilité cellulaire sur les deux diatomées, Didymosphenia geminata et Lindavia intermedia. Les tests de 2017 avaient montré que L. intermedia était légèrement plus résistante que l’autre espèce à la décontamination à l’aide de liquide vaisselle standard. Des tests supplémentaires utilisant quatre autres produits détergents ont été réalisés. Les concentrations recommandées ont été appliquées, soit 5 % pour trois d’entre eux et 8% pour le dernier.

Les résultats de ces tests sont présentés dans le tableau 1 et montrent des efficacités variables pour les deux espèces. Il est intéressant de noter que ces quatre produits ont été moins efficaces sur L. intermedia que sur D. geminata. Cette efficacité moindre s’expliquerait par le fait que les petites cellules de Lindavia sont partiellement protégées par le mucilage qui les entoure.

Tableau 1 : tests 2020, résultats et recommandations (extrait de NIWA, 2020)

 

Parmi ces produits de lavage, Eco-store et Earthwise étaient indiqués comme respectueux de l’environnement. Une des conclusions de ces tests était que l’utilisation d’une solution d’application à 8 % était plus appropriée pour ces produits, par rapport à la solution à 5 % recommandée jusqu’alors. A noter que l’allongement des durées de traitement figurait encore dans les recommandations des auteurs.

Pour affiner les modalités de mise en œuvre de la procédure, les tests présentés dans le rapport produit en 2021 ont porté sur les mêmes produits en évaluant temps de contact et concentrations nécessaires pour assurer une efficacité de 100 %.

Avec tous les produits testés, les résultats de ces tests ont été les suivants :

– l’utilisation d’une solution à 10 % avec un temps de contact de 10 minutes a été efficace à 100 % sur les deux espèces,
– pour D. geminata, l’extension du temps de contact d’une solution à 5 % à au moins 10 minutes a été efficace à 100 %.

 

Compte tenu de ces résultats, les auteurs du rapport ont recommandé de modifier les prescriptions figurant sur le site présentant la procédure ” Check, Clean, Dry” de la manière suivante : “Nettoyez les articles avec une solution de détergent d’au moins 5 % et assurez-vous que le détergent reste en contact avec les articles pendant au moins 10 minutes. Si la présence de Lindavia est connue dans le lac (ou en cas de doute), augmentez la concentration à 10 %“.

En octobre 2021, avec un message affichant “10 pour 10”, la recommandation effectivement appliquée est devenue :

– utiliser un mélange de 10 % de détergent pour vaisselle dans de l’eau,
– laisser l’objet humide pendant 10 minutes.

Capture de la page recensant les bonnes pratiques à destination du public

N.B. : sur cette même page se trouvent de nombreuses informations et des directives de biosécurité en direction de divers usagers.

 

Un commentaire ?

Il s’agit bien d’un exemple de démarche de biosécurité spécifique, mise en place à l’échelle d’un état sur des espèces exotiques dont les capacités d’invasion se sont matérialisées dans des milieux aquatiques d’eau douce aux conditions environnementales particulières. État insulaire, la Nouvelle-Zélande est depuis longtemps engagée dans la gestion d’espèces exotiques envahissantes en développant de nombreuses pratiques de prévention et de régulation d’espèces installées, pratiques dont nous pouvons nous inspirer.

Échanges “recherche-gestion” pour préciser des modalités efficaces d’interventions, campagnes de sensibilisation à long terme pour espérer faire évoluer représentations, actions et responsabilité des usagers, sont autant de pistes déjà suivies depuis longtemps en France comme ailleurs, avec des dynamiques et des succès variables mais dont il est indispensable de poursuivre ancrage et développement dans notre société.

Les recommandations figurant dans la synthèse des journées transfrontalières sur la biosécurité des eaux continentales et marines tenues à Concarneau les 16 et 17 mai 2019 nous semblent toujours d’actualité, dont en particulier la nécessité de mise en place d’une stratégie nationale de biosécurité et le développement de campagnes de sensibilisation sur cette démarche.

 

Rédaction : Alain Dutartre, expert indépendant

Relecture : Madeleine Freudenreich (Comité français de l’UICN)

 

Pour en savoir plus :

Références :

  • Kilroy, C., Lagerstedt, A., Davey, A., Robinson, K. (2007) Studies on the survivability of the invasive diatom Didymosphenia geminata under a range of environmental and chemical conditions. NIWA Client Report CHC2006-116. For Biosecurity New Zealand. 110 p.
  • Phil Novis, Marc Schallenberg, Émilie Saulnier-Talbot, Cathy Kilroy & Michael Reid (2017) The diatom Lindavia intermedia identified as the producer of nuisance pelagic mucilage in lakes, New Zealand Journal of Botany, 55:4, 479-495.

Rapports :

  • National Institute of Water and Atmospheric Research (NIWA). 2017. Testing “Check, Clean, Dry” decontamination procedures: Trials on “lake snow” (Lindavia intermedia). NIWA client report No: 2017158CH. June 2017. NIWA Project: MPI16208. 21 p.
  • National Institute of Water and Atmospheric Research (NIWA). 2020. Testing “Check, Clean, Dry” decontamination procedures: New product tests on didymo and Lindavia. NIWA client report No: 2020044CH. February 2020. NIWA Project: MPI20503. 28 p.
  • National Institute of Water and Atmospheric Research (NIWA). 2021. Testing “Check, Clean, Dry” decontamination procedures: Further tests on didymo and Lindavia. NIWA client report No: 2021178CH. June 2021. NIWA Project: MPI21504. 32 p.

Ressources (en anglais) :