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Entretien : « Construction de la stratégie régionale EEE d’Occitanie, avec de nouvelles dynamiques de coopération et un réseau qui se diversifie »

Iris Lang, Jérome Dao / Madeleine Freudenreich, Lucie Canut et Camille Gilliot

Bonjour, qui êtes-vous et dans quelle région agissez-vous ?

CG : Camille Gilliot. Je suis chargée d’étude EEE Faune au Conservatoire d’espaces naturels (CEN) d’Occitanie depuis juillet 2020, et je travaille sur l’élaboration de la future Stratégie régionale relative aux EEE Faune d’Occitanie.

IL : Iris Lang, je suis également chargée d’étude EEE Faune au CEN Occitanie. Je travaille avec Camille depuis septembre 2020 sur la Stratégie EEE Faune.

JD : Je m’appelle Jérôme Dao. Je travaille au Conservatoire botanique national des Pyrénées et Midi-Pyrénées (CBN PMP), où j’exerce un rôle de chargé de mission PEE à plein temps depuis près de 8 ans (2013). Depuis 2019, nous sommes en collaboration avec le CBN Méditerranéen de Porquerolles (CBN Med), dont fait partie Cyril Cottaz. Ensemble, nous travaillons à la mise en place d’une nouvelle stratégie relative aux plantes exotiques envahissantes en région Occitanie.

Qui sont vos partenaires ? Avec quels organismes travaillez-vous le plus souvent ?

Formation du CBN PMP à Cardeilhac (31) – J.Dao

CG : Côté faune, nous avons deux partenaires financiers, la DREAL et la Région Occitanie. Il s’agit d’un dossier assez récent au niveau régional pour la faune, et la déclinaison régionale a débuté concrètement en 2020. Pour les aspects techniques, nous travaillons avec les deux CBN d’Occitanie pour avoir une méthodologie commune à l’élaboration des listes régionales. Nous travaillons aussi avec la Fédération des CEN puisque la plupart des CEN en France s’investissent aussi sur la thématique des EEE et que beaucoup sont porteurs de stratégies régionales. L’OFB est également un partenaire technique avec qui nous sommes en lien direct, pour échanger sur des aspects méthodologiques mais aussi sur des aspects biologiques et écologiques.

JD : Les acteurs répartis sur trois échelles :

  • Au niveau régional, pour le financement des programmes sur lesquels nous intervenons, nous avons des financeurs complémentaires, avec l’Agence de l’eau Adour Garonne (AEAG) notamment et le fonds européen de développement régional (FEDER). Il y a également des partenaires avec lesquels nous menons des actions concrètes comme l’ARB Occitanie, mais aussi l’Union régionale des CPIE (URCPIE) sur des actions des formations et des actions de sensibilisation. Pour les enjeux de santé, l’ARS, avec son réseau d’observateurs, et la Fredon Occitanie sont les principales structures impliquées. Toujours à l’échelle de la région, le réseau des cellules d’assistance technique sur les zones humides (CATZH), sont également amenés à intervenir sur les EEE.
  • A une échelle plus locale, nous avons les très nombreux les acteurs qui nous sollicitent pour des appuis techniques, des informations, etc.
  • Enfin à l’échelle nationale, l’OFB joue un rôle clé, par son Unité Flore et Habitats qui assure une coordination des CBN sur la thématique PEE, comme le fait la FCEN, et puis il y a aussi le Centre de ressources EEE qui est un acteur incontournable permettant de mutualiser au maximum les productions pour être efficace.

IL : Pour la faune, la démarche étant récente, nous sommes en plein développement du réseau d’acteurs.  Des premiers contacts ont été établis avec un certain nombre de gestionnaires (les PNR, les CATZH, les fédérations de pêche), les naturalistes, les chercheurs et universitaires, qui sont impliqués dans l’élaboration de la liste. L’objectif sera d’animer et de consolider le nouveau réseau ainsi créé.

 A l’échelle de l’Occitanie ce sont 200 jours de travail par an qui sont consacrés aux actions de sensibilisation.

Vos actions concernent-t-elle uniquement la faune ou la flore, ou bien les deux ? Travaillez-vous sur le milieu marin ?

JD : Faune, Flore… Avec le CEN, nous avons à cœur de travailler ensemble le plus possible, car nous interagissons avec les mêmes acteurs. Il faut se coordonner et co-construire. Nous avons échangé ensemble sur les analyses de risques mais aussi les terminologies pour savoir comment communiquer auprès de nos partenaires, concernés aussi bien par la flore que par la faune. Pour le milieu marin, peu d’espèces marines sont concernées pour la flore et il a été décidé de ne pas se pencher sur cette question pour l’instant. Les algues ne sont pas dans nos domaines de compétences. Cependant, nous envisageons d’intégrer la fonge et la bryoflore dans la stratégie.

CG : Côté faune, nous travaillons sur les espèces non indigènes (ENI) marines. Nous nous sommes posé cette question dès le début de la stratégie, puisqu’une grande partie du pourtour méditerranéen est inclus dans la région. Cela nous paraissait donc assez évident d’inclure ce volet, mais nous nous sommes aperçues très rapidement qu’il y avait « deux mondes » entre le milieu continental et marin. Rien qu’en sémantique, puisqu’on parle d’ENI et d’EEE. Surtout, les acteurs du monde marin n’étaient pas forcément en relation avec ceux du milieu continental. Nous avons donc décidé d’inclure les ENI dans notre travail car il y a un gros enjeu lié à la détection et la prévention de ces espèces. Des d’actions voient progressivement le jour, en lien avec l’arrivée problématique du Crabe bleu (Callinectes sapidus) en Méditerranée. Un plan régional d’action est en construction et le CPIE Bassin de Thau déploie un programme pour améliorer la connaissance sur les ENI et pour sensibiliser les usagers aux bonnes pratiques, en développant les sciences citoyennes via le réseau « Sentinelles de la mer ».

JD : L’objectif est de faire une animation qui permette de construire un réseau d’acteurs dynamique qui se pose des questions, et qui sollicite notre expertise pour les plans de gestion, la production de documents de sensibilisation ou les priorités dans le cadre de la prise en compte des plantes exotiques envahissantes.

IL : Pour nous, déjà, il s’agit tout d’abord de réaliser un état des lieux des connaissances sur les EEE présentes en Occitanie. C’est le 1er objectif, celui qui nous occupe le plus actuellement. Nous nous employons aussi à monter un réseau et favoriser la coordination des acteurs à l’échelle de la région. Également, nous avons des missions de communication et de sensibilisation des acteurs et des socio-professionnels. Et pour finir, en tant que gestionnaires d’espaces naturels, nous pouvons aussi proposer un appui technique pour la gestion d’EEE et la restauration de milieux.

JD : Concernant la gestion, nous ne sommes pas des gestionnaires comme le CEN sur ces sites et ceux en lien avec nos compétences respectives. Les CBN seront plutôt dans la collecte de données et l’analyse, et donc en amont des chantiers de gestion et dans le suivi après travaux.

Pouvez-vous présenter en quelques mots votre réseau et sa structuration ?

JD : Il faut nous voir avant tout comme un réseau en construction. En Midi-Pyrénées, le CBN PMP avait construit un réseau autour de la mise en œuvre du plan d’actions sur les plantes exotiques envahissantes de ce territoire, mais nous changeons de dimension. Elle intègre la faune et la flore et s’élargit avec le Languedoc-Roussillon. Pour ces deux raisons, nous sommes pour l’instant surtout dans la construction des stratégies et la dimension réseau vient en parallèle. Il y aura donc des groupes de travail et des débats, c’est à ce moment-là qu’on va commencer à parler de gouvernance et de la place du réseau des acteurs dans la mise en œuvre des stratégies faune et flore.

CG : Lors des COPIL auxquels nos partenaires participent, nous avons constaté que les CBN avaient déjà des référents pour les différents taxons sur lesquels ils travaillent. C’est quelque chose que nous souhaiterions développer pour la faune. En tout cas, nos échanges réguliers montrent que nous avons les mêmes idées et envies. Nous voyons déjà comment les choses pourraient s’organiser. Cette structuration, c’est un travail que nous allons mener dans les prochains mois, pour obtenir un réseau cohérent et structuré.

Êtes-vous en relation avec d’autres coordinations régionales ?

JD : Le CBN PMP a la chance de travailler avec le CBN Med qui apporte son regard sur la situation en Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), puisqu’il est à la manœuvre de la stratégie PACA. En même temps, le CBN PMP a un pied en Nouvelle-Aquitaine, à travers la partie montagne des Pyrénées atlantique, qui nous amène à travailler avec le CBN Sud Atlantique sur leur stratégie flore. Cela fait donc une palette intéressante qui nous nourrit aussi sur la construction actuelle.

CG : Pour nous, le relais se fait beaucoup via la Fédération des CEN (FCEN). Toutes régions n’en sont pas au même point. Par exemple, en région Auvergne-Rhône-Alpes (région voisine), c’est un peu différent. C’est également un CEN qui travaille sur la stratégie régionale EEE, mais il y a un réseau d’acteurs qui existe depuis plusieurs années, bien que la stratégie ne soit pas encore officialisée. En 2020, la dernière réunion du REST nous a permis de rencontrer d’autres personnes porteuses de stratégies et d’avoir une vision sur ce qui était fait dans les régions limitrophes à l’Occitanie. Grâce à la FCEN, nous arrivons également à avoir cette vision, pour savoir où les autres CEN en sont dans la construction de leur stratégie et dans la mise en place des actions.

IL : Il y a une volonté de la part de la FCEN, d’animer les échanges entre le réseau et de mutualiser les données et les listes entre les différents CEN. Nous verrons comment cela prend forme.

Comment décririez-vous votre réseau en un mot ?

IL : En construction ? Mais ça fait deux mots. Sinon « émergent », ça revient un peu à la même idée.

JD : Diversifié. Je fais un lien avec la diversité des thématiques, des compétences, des acteurs du réseau, que ce soit nous en tant que référents ou des gestionnaires sur le terrain, mais aussi cette diversité des attentes et des besoins.

Pouvez-vous m’en dire plus sur l’élaboration des listes hiérarchisées ?

Les différentes catégories de la liste d’Occitanie

JD : La liste de référence à l’échelle Midi-Pyrénées date de 2013. La liste Languedoc-Roussillon repose sur une liste élaborée en 2001. Nous travaillons dorénavant sur une liste à l’échelle Occitanie. Une présentation auprès du CSRPN est prévu en juin 2021, pour faire valider les listes de référence flore et faune. Ces listes seront présentées en deux documents distincts, mais nous avons travaillé ensemble sur la terminologie et la méthodologie.

CG : Exactement, ce sont deux documents séparés mais nous avons employé les mêmes termes et la même symbologie (pour les catégories par exemple).

Et pour la stratégie régionale Occitanie ?

IL : Les listes catégorisées font parties intégrantes de la stratégie régionale. Pour la faune, l’objectif est de finaliser la stratégie pour septembre 2021. Elle est donc en cours d’élaboration, et comme mentionné par Jérôme, nous ferons valider les listes en juin et puis nous finaliserons la stratégie régionale. Le plan d’action se fera dans une seconde phase.

CG : L’idée est de présenter la stratégie et ses grands axes, puis de travailler ensuite plus concrètement sur ses objectifs avec un plan d’action et la construction du réseau d’acteurs.

JD : Pour la flore le calendrier est un peu différent. Nous allons rédiger une stratégie et un plan d’action pour juin 2022. D’ici là le plan d’action pour la faune devrait lui aussi être finalisé.

Sur quels autres projets travaillez-vous actuellement ?

IL : En complément de la liste, nous développons un tableau de bord qui permettra d’avoir une répartition des EEE en Occitanie. Pour l’instant, son utilisation est interne, mais l’objectif sera de le rendre accessible à l’ensemble des acteurs. Cet outil nous a déjà permis d’obtenir la proportion de surface de la région occupée par chaque espèce, et nous a permis de faire notre liste catégorisée.

JD : Au départ, le CBN PMP a beaucoup travaillé sur la surveillance et la création d’un outil de saisie en ligne (SEE). Dans ce cadre, nous avons également étudié les logiques de dispersion par bassin versant lors du plan d’action 2013-2018. Maintenant, nous allons plutôt répondre aux besoins en gestion et produire des retours d’expériences. Ensuite, nous devrons construire la coordination entre CBN : Comment faciliter la mise à disposition de ces listes, c’est-à-dire leur mise en ligne, leur consultation et leur appropriation par les acteurs ?

Quelles sont les EEE sur lesquelles vous êtes actuellement les plus sollicités ?

IL : Nous avons beaucoup été sollicitées au sujet du Vison d’Amérique, qui progresse en Occitanie, et du Ragondin également, dont les populations sont particulièrement difficiles à gérer… Il existe également un fort intérêt concernant une veille sur la progression du Vison d’Amérique, mais aussi du Raton laveur, de l’Écrevisse à tache rouge et de la Grenouille taureau.

JD : Pour la flore, deux types d’espèces nous occupent beaucoup : les largement répandues, sur lesquelles nous sommes sollicités pour de la gestion et de la priorisation (jussies exotiques, renouées asiatiques, ailante ou encore Robinier faux-acacia) ; et les émergentes, pour lesquelles nous sommes sollicités pour de la détermination et de l’alerte, mais c’est plus rare. Nous intervenons souvent sur les espèces aquatiques qui sont largement répandues, et pour lesquelles il existe déjà un réseau avec des capacités de gestion.

Si vous aviez la possibilité de faire disparaître de votre région une population d’EEE, laquelle serait-ce et pourquoi ?

IL : Soit les ragondins, soit les tortues de Floride, deux espèces largement répandues, car les gestionnaires sont assez défaitistes quant à leur possibilité d’éradication locale, malgré la poursuite de leurs actions.

CG : Si on veut prendre le cas de populations plus émergentes, je dirais toutes les populations de « perruches », telles que la Perruche à collier dont quelques populations sont présentes dans les grandes villes. On sait que leur gestion représente un coût important. Il y aura toujours de nouvelles espèces dans les cages des particuliers, qui seront ainsi relâchées. Comme les tortues, ce sont des espèces présentes en animalerie et quand l’interdiction d’introduction d’une espèce est adoptée, une nouvelle espèce qui fait toujours son apparition et il faudra possiblement réussir à la contenir si elle se retrouve dans le milieu naturel.

JD : Plus qu’une espèce, il y a une priorité en termes de coordination à mettre en place. Si nous pouvions déjà avoir une priorisation des espèces cibles, et effectivement des émergentes mais aussi des espèces règlementées ce serait déjà super. Pour exemple, chez nous la Berce du Caucase est encore très peu répandue. Quelques foyers sont cependant présents au niveau d’axes de dispersion à grande échelle, comme les cours d’eau mais il ne faudrait pas qu’elles atteignent le bord des cours d’eau et commencent à se disperser plus largement !

Rencontrez-vous des difficultés ou des contraintes sur certaines thématiques ?

IL : Faire comprendre aux acteurs que les listes catégorisées que nous élaborons sont avant tout des listes de connaissances, c’est-à-dire qu’elles n’impliquent pas d’obligation de gestion et d’effort différencié. La centralisation des données est aussi une partie très complexe du travail que nous menons.

JD : Nous avons deux principaux axes de difficulté. Un sur ces listes de référence et leur compréhension par les acteurs, notamment socio-économiques. La priorité qui est la prise en compte de la problématique EEE aux différentes échelles (européenne, nationale, territoriale) et le débat concernant certaines espèces commerciales ne doit pas nous empêcher de nous faire entendre sur les priorités, notamment de prévention des EEE sur notre territoire. Il faudrait arriver à un dialogue constructif plutôt qu’à des discours d’opposition.L’autre axe est un problème de cohérence entre les politiques publiques sectorielles. Nous pouvons avoir au niveau de la sylviculture ou de la production de biocarburants, des financements associés à la plantation d’espèces exotiques reconnues comme fortement envahissantes mais qui seront tout de même plantées car elles sont très productives ou résistantes. Cela devient donc compliqué de faire comprendre l’importance de la prévention des invasions biologiques, lorsqu’il n’y a pas encore d’impacts avérés sur leur territoire.

Pour finir, quel est l’aspect de votre travail que vous appréciez le plus ?

Iris Lang sur le terrain

JD : Ce qui me plait, c’est que je peux travailler sur un territoire extrêmement vaste, des milieux extrêmement variés et des acteurs différents. Et cela tout en étant dans une co-construction à toutes les étapes. C’est une grande chance.

IL : Les gestionnaires nous font comprendre que c’est un projet qui est attendu, qui est nécessaire. J’apprécie d’avoir le sentiment de servir à quelque chose et de pouvoir aider cette diversité d’acteurs à se coordonner.

CG : Le matin on peut travailler sur une ENI, puis l’après-midi se poser des questions sur un plathelminthe.  Je ne suis pas spécialiste d’un groupe taxonomique particulier et c’est cet aspect très généraliste de nos missions, qui nous permet de toucher à toutes les espèces et les milieux, qui est super.

JD : Il n’y a rien de répétitif ! Par rapport à d’autres métiers naturalistes, on est amené à creuser sur la biologie et l’écologie des espèces pour comprendre ce qui se passe, comment ça fonctionne.

 

 

 

 

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Rédaction : Cet entretien a été mené le 9 avril 2021, en présence de Madeleine Freudenreich (Comité français de l’UICN), Jérôme Dao et Lucie Canut (CBN PMP), Iris Lang et Camille Gilliot (CEN Occitanie). Une relecture a été réalisée par Emmanuelle Sarat (Comité français de l’UICN).